En utilisant une approche ascendante dite bottom-up, l'initiative Deep Decarbonization Pathways a travaillé avec sept pays émergents pour analyser leurs besoins, notamment vis-à-vis des acteurs internationaux, afin d'accélérer l'action nationale en faveur du climat. Un meilleur accès au financement pour la lutte contre le changement climatique, abordable et de long terme, est une condition nécessaire pour atteindre leurs objectifs de développement nationaux et climatiques. Bien que la coopération financière internationale soit particulièrement nécessaire dans les pays les moins avancés et les autres pays en développement, elle l'est également pour la transition dans les économies émergentes, même si des modalités et des types de coopération différents peuvent être pertinents. Adopter une telle approche bottom-up dans le cadre du Bilan mondial de l'Accord de Paris sur le climat permettrait d'identifier les domaines prioritaires pour la coopération internationale afin d'accélérer l'action climatique au niveau national, en se basant sur les réalités de chaque pays.
Identifier les leviers d’action au niveau mondial
Selon le sixième rapport d'évaluation du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, les politiques actuelles ne permettent pas d'atteindre les objectifs de l'Accord de Paris et pourraient entraîner un réchauffement de 2,7°C par rapport aux niveaux préindustriels. Une action climatique accélérée est donc nécessaire, et la transformation pour simultanément atténuer le changement climatique et s'y adapter nécessite « la bonne échelle et le bon type de financement ». Les besoins pour les marchés émergents et les pays en développement (EMDC en anglais), à l'exclusion de la Chine, s’élèveraient à 2 000 milliards de dollars par an d'ici à 2030 pour réduire leurs émissions et faire face aux impacts climatiques ; la moitié de ce total pourrait provenir de sources nationales et l'autre moitié de financements internationaux. Les investissements actuels dans les EMDC hors Chine ne s'élèvent qu'à 500 milliards de dollars.
Les recherches menées par le DDP dans sept pays (Argentine, Brésil, Chine, Inde, Indonésie, Mexique, Afrique du Sud) montrent que la qualité du financement – coût, accessibilité et durée de la coopération financière et des crédits – est cruciale pour la transformation de leurs économies. Ces travaux explorent également les obstacles auxquels le financement doit faire face pour répondre aux priorités d'investissement définies au niveau national par les sept pays. Les résultats de ces travaux de recherche ont été soumis à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques dans le cadre du Bilan mondial (GST en anglais).
Les équipes de recherche de chaque pays ont utilisé des scénarios à faibles émissions pour identifier les conditions qui permettront à leurs pays respectifs d'atteindre leurs objectifs en matière de climat et de développement : ce sont les « conditions favorables globales » (global enabling conditions). Après une série de discussions collectives, l'accès à un financement international abordable et de qualité a été identifié comme une condition globale commune qui peut aider chaque pays à accélérer la réalisation d'un avenir neutre en carbone.
La finance au service des transformations clés
Les résultats obtenus à l’issue des travaux de l'initiative DDP soulignent que tous les types de financement ne permettent pas d'atteindre les objectifs en matière de climat et de développement. Le financement de la lutte contre le changement climatique doit être accessible, abordable et de long terme. L'accessibilité du financement signifie que le temps nécessaire pour demander et recevoir un financement ne doit pas être trop long et que les conditions d'établissement de rapports imposées par les donateurs ne doivent pas imposer de lourdes charges administratives aux institutions nationales ; l'accessibilité financière garantit que les taux sont abordables pour les acteurs nationaux et que le financement à long terme est nécessaire pour la mise en œuvre de projets de long terme.
Les équipes de recherche des pays ont également identifié des domaines spécifiques de transformation dans lesquels des financements supplémentaires sont nécessaires pour mettre en œuvre leurs stratégies en matière de climat et de développement. Il s'agit notamment des transformations qui : 1) reposent sur des acteurs tels que les agriculteurs et les petites et moyennes entreprises ; 2) nécessitent des investissements importants tels que des projets d'infrastructure ; 3) reposent sur des technologies ou des marchés non matures ; 4) nécessitent une action significative en amont ; 5) nécessitent des marchés institutionnalisés qui n'existent pas actuellement ; et 6) nécessitent le développement des marchés pas encore adaptés à des activités à grande échelle.
Les domaines de transformation identifiés ci-dessus sont importants pour une économie neutre en carbone, mais ils se heurtent à des obstacles dans l'accès au financement climatique. Par exemple, les transformations qui reposent sur de petits acteurs comme les agriculteurs et les PME ont une capacité financière limitée et les acteurs sont considérés comme peu solvables. Un autre exemple est celui des technologies de transformation des secteurs de l'énergie et des transports, qui en sont aux premiers stades de maturité et qui peuvent être considérées comme risquées.
La collaboration entre les acteurs nationaux et internationaux est donc nécessaire pour surmonter ces obstacles. Au niveau national, les pays doivent disposer de politiques et de stratégies claires et stables pour inspirer confiance aux investisseurs et établir une stabilité macroéconomique afin de réduire les risques de crédit du pays. Au niveau international, les acteurs financiers doivent développer des mécanismes pour financer les transformations présentant les caractéristiques définies ci-dessus. Bien qu'il existe déjà de nombreuses initiatives de financement de la lutte contre le changement climatique, elles ne sont pas suffisamment fondées sur les priorités financières et les obstacles auxquels les pays sont confrontés au niveau national.
Le Bilan mondial : une opportunité pour une ambition plus forte
Jusqu'à présent, le Bilan mondial n'a pas reçu beaucoup de contributions de la part des Parties à la CCNUCC et n'a pas non plus été en mesure d'organiser des discussions sur les moyens de combler le fossé entre la mise en œuvre et l'ambition en matière de climat. Pour ce faire, nous proposons d'organiser des discussions autour des transformations systémiques et de leurs catalyseurs. Le processus utilisé dans le cadre des recherches menées par le DDP dans sept économies émergentes donne des indications sur la manière dont le Bilan mondial pourrait améliorer la participation des Parties. Ce processus en trois étapes - collecte d'informations au niveau national, analyse et discussions collectives – garantit l’ancrage du Bilan mondial dans les réalités de chaque pays. Cela aiderait au succès d’une COP 28 centrée sur le renforcement de l'ambition nationale et l'accélération des actions nationales. En outre, le processus du Bilan mondial devrait identifier les domaines de collaboration internationale sur la base des contributions nationales et encourager la nécessité d'un travail continu dans ces domaines. Cela pourrait garantir l'appropriation et le leadership dans les pays, ce qui pourrait conduire à une mise en œuvre plus forte et plus efficace des politiques.
Le Bilan mondial qui se tiendra lors de la COP 28 fin 2023 est un moment critique pour s'assurer que le monde est sur la bonne voie pour atteindre l'objectif de l'Accord de Paris de limiter le réchauffement climatique à moins de 2°C. Veiller à ce que la finance climatique réponde aux besoins des pays émergents du Sud est une pièce cruciale du puzzle qui mènera les pays vers un avenir neutre en carbone.