A l’occasion du Congrès mondial de la nature qui se tient à Hawaï (États-Unis) du 1er au 10 septembre, de nombreux gouvernements et organisations de protection de l’environnement vont discuter des enjeux de préservation de la nature. À cette occasion, l’Iddri publie une étude sur des mécanismes innovants pouvant aider les pays africains à mieux financer et gérer leurs aires protégées. L’innovation provient principalement des formes de combinaison d’actions privées et publiques, alliant financement stable et conditionnalités contractuelles. À l’examen de trois études de cas, ces mécanismes semblent dotés d’une efficacité certaine, y compris – ce qui n’était pas garanti – à grande échelle.

Intégrer la biodiversité dans la nouvelle dynamique de gouvernance mondiale de l’environnement

Le Congrès mondial de la nature est organisé par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), union internationale composée de 1300 membres, gouvernements et organisations de la société civile. Ce large réseau environnemental permet aux diverses parties prenantes (gouvernements, ONG, scientifiques, entreprises, communautés locales, groupes de populations autochtones) d’élaborer ensemble et de mettre en œuvre des solutions pour mettre fin à la disparition des habitats naturels, restaurer les écosystèmes et améliorer le bien-être des populations. À Hawaï, sur la lancée de l’accord historique sur le climat signé à Paris en décembre 2015, et notamment des solutions fondées sur la nature contenues dans les engagements des pays, et de l’adoption des Objectifs de développement durable (ODD) en septembre de la même année, les quelque 8 000 délégués originaires de plus de 160 pays et représentant les membres de l’UICN vont discuter plus d’une centaine de motions (propositions), qui vont être votées et influenceront le monde de la conservation, ses priorités, ses logiques et ses actions concrètes. Parmi les décisions à venir figurent l’adoption d’un texte commun sur les compensations des atteintes à la biodiversité, la promotion de la conservation de la haute mer (zones situées au-delà de la juridiction nationale), ou encore la volonté d’atténuer les effets de l’expansion de la culture de l’huile de palme, ainsi bien sûr qu’un appel à la préservation renforcée des aires protégées, cœur de métier originel de l’UICN.  

Discuter de nouveaux outils de financement et de gestion des aires protégées

Sur ce dernier point, l’Iddri, en collaboration avec le Partenariat France-UICN et le ministère français des Affaires étrangères et du Développement international, présente une étude sur le financement innovant des aires protégées dans trois pays africains. L’Iddri contribue ainsi au débat sur les moyens financiers et institutionnels visant à assurer la préservation réelle et efficace de la biodiversité au sein d’aires protégées, présentées souvent comme un (dernier) refuge des écosystèmes et des espèces contre les pollutions et la destruction des habitats naturels.

Il faut ainsi à la fois inciter les acteurs économiques à la conservation et trouver de nouveaux financements qui soient prévisibles, additionnels et stables à moyen et long terme.

Les aires protégées, un réservoir essentiel de biodiversité à sauvegarder

Les aires protégées constituent en effet un réservoir essentiel de biodiversité à sauvegarder, notamment en raison des services (appelés écosystémiques) inestimables qu’elles rendent (séquestration du carbone, lutte contre les inondations, etc.). Toutefois, les fonds publics pour maintenir et gérer ces aires protégées se tarissent, surtout dans un contexte social tendu en Afrique où les demandes de développement et de fourniture de services publics sont pressantes.

Les mécanismes de paiements pour services écosystémiques

Il faut ainsi à la fois inciter les acteurs économiques à la conservation et trouver de nouveaux financements qui soient prévisibles, additionnels et stables à moyen et long terme. Au cœur de la Stratégie pour la mobilisation des ressources de la Convention sur la diversité biologique (CDB) adoptée à Rio en 1992, les mécanismes de financement nouveaux et novateurs – mécanismes de paiements pour services écosystémiques, dispositifs de compensation biodiversité, réforme de la fiscalité, fonds fiduciaires environnementaux, etc. –peuvent être mobilisés en renfort pour remplir ce double objectif.  

À l’échelle : des mécanismes innovants de financement potentiellement efficaces

Analysant trois cas, respectivement en Afrique du Sud (déductions fiscales pour les fermiers privés qui établissent une aire protégée sur leurs terrains), en Sierra Leone (une concession de conservation d’une forêt puis un projet de vente d’unités de carbone), et en Côte d’Ivoire (remise de dette souveraine et fonds fiduciaire), l’étude Iddri montre que ces outils pour la conservation peuvent effectivement dégager des financements nouveaux et significatifs pour créer et maintenir des aires protégées. Dans ce cadre, 3 % du territoire ivoirien sont ainsi préservés grâce au financement pérenne du seul parc national de Taï par la Fondation des parcs et réserves de Côte d’Ivoire (FPRCI), un fonds fiduciaire environnemental qui finance également d’autres aires protégées du réseau de parcs ivoirien. De même, approximativement 2 % de la superficie de la Sierra Leone sont protégés grâce au Parc national de la forêt de Gola, une concession de conservation. Dans tous les cas, tout ou partie des frais récurrents, inhérents aux opérations de gestion des aires protégées, sont couverts par ces nouveaux mécanismes. En outre, l’organisation de ces mécanismes, plus contractuelle et assortie de conditionnalités, permet de mieux contrôler les résultats accomplis, en particulier en termes écologiques.

Innover pour conserver les aires protégées en partenariat : incitations et régulations

Au total, les cas étudiés dépassent le cadre de simples projets pilotes, et montrent qu’un passage à l’échelle régionale ou nationale est possible, à certaines conditions, fondé sur une combinaison innovante entre financements et actions privées et publiques. En effet, le financement privé, qu’il soit associé à la captation du carbone ou à d’autres marchés, ne peut se passer de la force publique pour financer les investissements d’infrastructures, organiser les institutions, et assurer le respect des règles, des contrats et des droits de propriété. Des partenariats flexibles entre ONG, gouvernements, fonds privés et agences d’aide bilatérale peuvent permettre la création d’entités juridiques dédiées à la conservation et ayant une gouvernance mixte publique-privée, qui assurent la conditionnalité et le contrôle effectif des résultats concrets de gestion des aires protégées sur le terrain. Bien sûr, ces modes partenariaux impliquent, et ce d’autant plus à grande échelle, une complexité institutionnelle accrue et des coûts de gestion importants qu’il faudra absolument limiter, même s’il n’est pas certain que, tous comptes faits, ils soient significativement plus élevés que si l’on avait eu recours uniquement à des solutions administratives. À défaut d’une maîtrise de ces coûts de gestion (dits « coûts de transaction »), les mécanismes innovants de financement des aires protégées, en Afrique en particulier, ne pourraient être qu’une solution éphémère, une de plus.