La COP 16 de la Convention sur la biodiversité biologique (CDB) s’est tenue du 21 octobre au 2 novembre au petit matin à Cali (Colombie), deux ans après l’adoption de l’accord historique de Kunming-Montréal (Iddri, 2023). Sous la présidence de la Colombie, cette conférence a connu des débats et des divergences notables entre les pays du Nord et du Sud, laissant certaines décisions cruciales en suspens. Cependant, des avancées importantes ont été réalisées. Que retenir de cette COP 16 et quels défis se profilent pour la suite, notamment pour la COP 17 prévue en Arménie en octobre 2026 ?
L’équité procédurale : une avancée notable
L’un des résultats les plus marquants de la COP 16 réside dans la création d’un organe subsidiaire dédié à l’inclusion des peuples autochtones et des communautés locales. Cet organe, qui symbolise une justice procédurale améliorée, garantit que les voix de ces populations seront mieux entendues et prises en compte lors des futures négociations. Le groupe subsidiaire nouvellement créé aura pour mission de soutenir et d'évaluer la mise en œuvre des décisions de la CDB liées aux peuples autochtones et aux communautés locales, tout en conseillant la COP sur des mesures pour préserver et valoriser leurs savoirs traditionnels dans la conservation de la biodiversité. 7 des 23 cibles du Cadre mondial pour la biodiversité (CMB) font explicitement référence aux connaissances approfondies et au rôle clé des peuples autochtones pour la protection et l’utilisation durable de la biodiversité, dont le rôle positif a été souligné par l’IPBES en 2019.
Une autre décision symbolique et importante pour ces populations et la Colombie est celle de la reconnaissance du rôle des Afro-descendants, alors que la décennie de l’ONU pour les populations afro-descendantes arrive à son terme. Les Afro-descendants sont des descendants des victimes de la traite transatlantique des esclaves et des migrants plus récents, qui représentent certains des groupes les plus pauvres et marginalisés. Ils incarnent souvent des modes de vie traditionnels, et jouent eux aussi un rôle crucial dans la conservation de la biodiversité dans certains pays, notamment en Amérique latine. Les pays sont donc désormais davantage encouragés à faciliter leur participation aux discussions de la CDB.
Le Fonds de Cali : un succès prometteur
Parmi les réalisations positives de la COP 16, la création du Fonds de Cali est sans doute la plus significative. Longtemps réclamé par de nombreux pays en développement, ce fonds incarne une reconnaissance de la nécessité d’une distribution plus équitable des bénéfices liés à l’utilisation et l’exploitation par le secteur privé des ressources génétiques, afin de soutenir la protection de la biodiversité.
Le Fonds de Cali est un mécanisme financier innovant auquel, chaque année, les utilisateurs des informations numériques sur les séquences génétiques (Digital Sequence Information ou DSI) devraient contribuer, à hauteur d’un pourcentage de leur chiffre d’affaires (0,1 %) ou de leurs profits (1 %). Il est prévu qu’il soit géré par les Nations unies via le Multi-Partner Trust Fund Office (qui supervise déjà divers fonds humanitaires et environnementaux), opérant donc en dehors du cadre du Fonds pour l’environnement mondial (FEM), comme cela était demandé par certains pays en développement, et supervisé par un comité de pilotage relevant de la CDB. Les grandes entreprises, notamment celles des secteurs tels que la pharmacie, la biotechnologie, la cosmétique, la sélection végétale et animale, ainsi que les services informatiques liés à l’intelligence artificielle, seront incitées à participer en vue d’obtenir un « certificat » de conformité.
Le fonds prévoit de réserver 50 % de ses ressources pour des paiements directs aux peuples autochtones et communautés locales. En termes de potentiel financier, les revenus des secteurs concernés étaient estimés à plus de 1 500 milliards USD en 2024 et pourraient atteindre 2 300 milliards USD d'ici 2030. Si les contributions sont respectées, le fonds pourrait mobiliser des montants significatifs pour la biodiversité et les populations autochtones et communautés locales. Cependant, plusieurs défis demeurent : garantir la participation effective des entreprises, surveiller précisément l’utilisation des DSI pour identifier qui doit contribuer (qui utilise les DSI ?), ces entreprises pouvant facilement assurer qu’elles ne les utilisent pas, et assurer que le fonds devienne rapidement opérationnel. La COP 17 et les COP ultérieures seront amenées à revenir régulièrement sur les modalités d’opérationnalisation du fonds afin de les préciser et de les améliorer.
Les échecs et les renvois : la question du financement reste en suspens
Malgré ces avancées, la question du financement, et en particulier celle de la création d’un fonds plus « généraliste » pour la biodiversité et les pays en développement, a divisé les négociateurs. La Colombie a entrepris de proposer une solution, mais le manque de consensus et la fatigue accumulée après 24 heures de discussions intenses ont eu raison d’un résultat concret. Il n’y a pas eu de décision à ce sujet, certains délégués étant déjà partis avant la fin des débats.
Cette absence d’accord témoigne de problèmes plus larges : le fossé entre les besoins des pays récipiendaires et la capacité des fonds multilatéraux à y répondre, et les difficultés d’accès des pays du Sud global aux mécanismes de financement multilatéraux. Les pays en développement réclamaient un nouveau fonds, avec une gouvernance et des mécanismes de distribution différents des fonds existants, mais les pays contributeurs étaient réticents quant à la multiplication des mécanismes financiers. La question est maintenant de savoir si la réforme du Fonds pour l’environnement mondial (FEM), prévue en 2025-2026, et le développement du Global Biodiversity Framework Fund (GBF Fund), créé par la COP 15 et placé sous le FEM, pourront répondre aux attentes (Iddri, 2024), et si le Fonds de Cali ouvrira véritablement la voie à de nouveaux financements significatifs. Pour l’instant, les annonces de promesses financières à hauteur de 163 millions de dollars supplémentaires au GBF Fund, portant l’ensemble des promesses à ce fonds à un peu plus 400 millions de dollars, n’ont pas convaincu les pays en développement.
Cette cristallisation des discussions autour de la question d’un nouveau fonds multilatéral a déteint sur la stratégie de mobilisation des ressources, au sujet de laquelle un texte avait été proposé par la présidence, mais qui n’a pu être adoptée non plus. Elle ne se limitait pas aux flux Nord-Sud, mais abordait aussi des points essentiels tels que l'encouragement de la mobilisation de financements domestiques, la réforme ou l'élimination des subventions néfastes (un aspect qui devra être sérieusement renforcé), ainsi que le lien crucial entre le manque de financement pour la biodiversité et les problématiques de dette et les nécessaires réformes des institutions financières internationales.
Un travail colossal à venir
À l’issue de cette COP 16, il reste donc beaucoup à accomplir. Depuis la COP 15, plus de 40 pays ont soumis des stratégies nationales alignées sur le cadre mondial, et près de 120 ont défini des cibles nationales. Cet élan, qui s’est accéléré depuis les quelques jours précédant la COP, montre que le mouvement amorcé par l’accord de Kunming-Montréal ne s’essouffle pas. Cependant, la route reste semée d’embûches : près d’une centaine de stratégies nationales manquent encore à l’appel, et la qualité de celles déjà soumises varie grandement (Kok et al., 2024). Les États devront ensuite en assurer la mise en œuvre, en mobilisant l’ensemble des parties prenantes. À la COP 16, l'incapacité des États à s'accorder sur des points cruciaux laisse un vide et le nouveau Fonds de Cali, qui doit encore prouver sa capacité à générer des résultats, souligne la nécessité de compter sur la société civile comme garant indispensable de la vigilance et de l'engagement pour la biodiversité
Les acteurs non étatiques étaient justement bien présents à Cali. En marge des négociations officielles, l’enthousiasme de la société civile et des entreprises privées était palpable, avec plus de 20 000 participants venus renforcer l’effervescence de Cali. La COP 16 a été le théâtre de nouvelles initiatives visant à améliorer la transparence, le rapportage et l’engagement d’entreprises sur des trajectoires économiques favorables à la biodiversité. Néanmoins, l’absence de coordination au niveau structurant des secteurs, via la COP, l’action des États ou des organisations internationales, ne démontre pas de véritable changement de paradigme au-delà des sphères de la biodiversité.
Vers la COP 17 : maintenir la dynamique
Le manque de consensus et de temps dans les dernières heures a aussi empêché l’adoption de modalités claires pour l’examen mondial (Iddri-PBL, 2024), prévu pour débuter l’année prochaine et culminer à la COP 17. Cet examen, qui doit faire le bilan à mi-parcours du CMB, est pourtant crucial car il doit permettre, par la collection d’un maximum de remontées, d’identifier des leviers et éléments à débloquer sans attendre la fin de la période en 2030. De même, le cadre de suivi du CMB, qui nécessitait des précisions sur certains indicateurs, n’a pas pu être finalisé. Cette décision, incluse dans un « paquet » final englobant plusieurs points majeurs (DSI, planification, mobilisation des ressources, etc.), a été reportée, laissant certains acteurs frustrés. Pourtant, cela ne signifie pas que le processus est stoppé. L’important sera de s’appuyer sur les décisions de la COP 15 pour continuer le travail en amont de la COP suivante et s’assurer que l’examen mondial de mi-parcours à la COP 17 soit solide et soutenu par les États parties mais aussi la société civile, qui aura un rôle clé pour informer cet examen.
L’Arménie, pays hôte de la COP 17, hérite d’une importante responsabilité pour faciliter ces négociations, et donner un élan à la mise en œuvre du cadre mondial en 2026. Elle pourrait être soutenue par la Colombie, dont la présidence est active pour les deux prochaines années.
La COP 16 : révélatrice des difficultés du multilatéralisme
La dernière séance de la COP a été levée samedi matin, le quorum de représentants des Etats n’étant plus atteint. La plénière finale n’a donc pas épuisé tous ses points à l’ordre du jour, dont la mobilisation des ressources et l’examen mondial. Cela a pu arriver par le passé, quoique sur des sujets plus procéduraux. Dans ce cas, des sessions ont pu être ajoutées entre des COP, à l’occasion d’autres événements multilatéraux tels que les réunions des organes subsidiaires de la COP. L’ampleur des discussions restant à mener à la suite du sommet de Cali interroge cependant sur les futurs rendez-vous qui pourraient permettre de définitivement conclure cette COP. Le Bureau de la CDB, composé de représentants élus par les différents pays, aura la charge de cette décision.
Si l’on a pu constater l’importance plus que nécessaire de la poursuite d’échanges mondiaux sur les questions d’environnement et de développement lors de cette COP 16, l’impossibilité d’y aboutir à un consensus matérialise les difficultés du système multilatéral à orchestrer ces dialogues et les mettre en cohérence (Iddri, 2023). La COP 29 de la Convention Climat (Iddri, 2024), qui débute à Bakou le 11 novembre prochain, et la COP 16 de la convention sur la dégradation des terres qui se tiendra à Riyad à partir du 2 décembre risquent de connaître des tensions similaires.
Par ailleurs, d’autres enceintes sont clés pour apporter des réponses aux défis du financement des transitions environnementales, mobilisant notamment les ministères des Finances, les banques de développement et le secteur financier. Le Brésil a abordé cette question dans le cadre de sa présidence du G20 cette année (Iddri, 2024) – et devrait y revenir lors du sommet des 18 et 19 novembre à Rio –, où il a notamment fait adopter des principes de haut niveau pour la bioéconomie et en marge duquel il a dévoilé sa proposition de création d’un fonds d’une nouvelle nature pour financer la sauvegarde des forêts sur pied (Tropical Forest Finance Facility). Le Brésil en fait des sujets clés dans le cadre de son accueil de la COP 30 du climat en 2025, que le pays souhaite notamment placer sous le signe des liens entre climat et biodiversité, tant au niveau des liens entre conventions que des avancées concrètes pour un certain nombre d’écosystèmes centraux pour le climat et la biodiversité, tels que les forêts tropicales.
D’ici là, l’année 2025 sera jalonnée d’événements clés de l’agenda international permettant de faciliter une discussion sur la quantité, la qualité et la convergence opérationnelle des financements du développement, du climat et de la biodiversité, avec la reprise de la présidence du G20 par l’Afrique du Sud, qui va donner lieu à un programme de travail sur toute l’année pour culminer lors du sommet de fin d’année ; le Sommet Finance en commun, réunissant les banques de développement en février 2025, également en Afrique du Sud ; la 4e Conférence internationale sur le financement du développement (FfD4) en juin-juillet 2025 à Séville (Iddri, 2024), dix ans après celle d’Addis Abbeba qui avait précédé l’adoption de l’Agenda 2030 et des Objectifs de développement durable en 2015 ; et l’agenda régulier des réunions de printemps et d’automne de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international.