La COP 25 qui s’est tenue à Madrid sous la présidence de la ministre de l’Environnement chilienne Carolina Schmidt avait un périmètre de discussions technique plus limité qu’à Katowice (Pologne) l’an passé, et souhaitait lancer un signal clair pour relever l’ambition climatique en 2020. Elle obtient au final un résultat très mitigé sur ces deux points, du fait notamment de la polarisation croissante des positions de pays grands émetteurs, malgré le leadership dont ont fait montre les pays vulnérables et l’Union européenne. Les Britanniques en charge du sommet clé de Glasgow l’an prochain doivent sans tarder en tirer les leçons nécessaires et s’engager dans une diplomatie climatique intense, qui inclue notamment collectivités et entreprises, vers ces pays bloquants ou les grands émergents attentistes.
Les résultats obtenus à la COP 25 sont de l’aveu unanime des observateurs, et jusqu’au secrétaire général de l’ONU, très décevants. En porte-à-faux avec son accroche sur « l’heure d’agir », et malgré une présence inédite des mobilisations citoyennes aux portes et jusque dans l’enceinte de la COP, ce sommet onusien apparaît comme déconnecté des demandes d’action exprimées.
L’intention louable de la présidence chilienne était d’être à la hauteur de cette mobilisation, mais aussi des messages contenus dans les trois rapports spéciaux du Giec (1.5°C, Océan et cryosphère, Usage des terres) des douze derniers mois, ou du dernier rapport particulièrement appuyé du Programme des Nations unies pour l’environnement (Emissions Gap Report 2019) sur la « décennie perdue » de l’action climatique. Tous ces signaux concourent à appeler clairement tous les pays à relever l’ambition de leurs contributions déterminées au niveau national (CDN, NDCs en anglais) l’an prochain. Néanmoins, suivant une des « ambiguïtés constructives » de l’Accord de Paris, les signataires sont appelés à soumettre des CDN de plus en plus ambitieuses et alignées avec leur ambition maximale, mais ceux dont la CDN actuelle court jusqu’à 2030 peuvent se contenter de « [la] communiquer ou [de la] mettre à jour » suivant une lecture littérale du paragraphe 24 de la décision 1/CP.21.
Adoptées sous le nom du paquet Chili Madrid l’heure d’agir, les décisions 1/CP.25 et 1/CMA.2 manquent de lancer cet appel clair, universel et à une échéance précise (2020), du fait de l’action conjuguée de nombreux pays bloquants sur l’action climatique (comme le Brésil, l’Australie, les États-Unis ou l’Arabie Saoudite), mais aussi de l’attentisme de pays décisifs. Les pays du BASIC, manifestement poussés par le Brésil et la Chine, ont en particulier utilisé l’insuffisance, réelle, des efforts quant aux engagements pré-2020 comme argument pour diluer le message sur l’ambition, suivant une fausse dichotomie « ambition versus mise en œuvre ». Cependant, pour un observateur avisé, le texte sur l’ambition est inscrit en filigrane au travers des décisions, et la science est plusieurs fois mentionnée, quoique timidement, comme indispensable courroie de transmission de ce relèvement. Il faut néanmoins saluer l’action diplomatique de la ministre espagnole de l’Environnement (et ancienne directrice de l’Iddri) Teresa Ribera, qui a réussi à sauver un texte qui s’annonçait bien plus faible dans les dernières heures du sommet, tandis que l’absence de nombreux ministres de pays dit « ambitieux » a été remarquée.
Sur le plan technique, la COP a manqué de définir trois points sur lesquelles elle était attendue : les règles de mise en œuvre des marchés carbone internationaux volontaires régis par l’Article 6 de l’Accord de Paris, celles gouvernant au rapportage des efforts consentis par les pays (cf. mécanismes de transparence) et à l’alignement de la durée de ces engagements (common timeframes for NDCs). Éviter des règles qui permettent un double comptage des réductions d’émissions, ou qui conduiraient au même problème « d’air chaud » que dans le protocole de Kyoto, était une condition sine qua none des pays signataires des principes de San José pour préserver l’intégrité environnementale des marchés carbone, à l’initiative du Costa Rica, qui s’est opposé au Brésil et à l’Australie, isolés dans leurs positions. L’adoption de règles claires est attendue par le secteur privé, au premier rang desquels le mécanisme CORSIA de l’aviation internationale. Tous ces points sont formellement repoussés à l’année prochaine, faute de consensus, conformément aux règles de procédure.
De plus, certaines consultations sur l’article 6 ont exclu certains pays dans le sprint final, au mépris de la transparence et du caractère inclusif qui fonde la légitimité du processus onusien.
Un Copenhague bis ?
Le fantôme de Copenhague plane-t-il sur Madrid ? En soi, le fait même que la COP ait pu avoir lieu est une prouesse logistique et prouve la résilience du processus. La décision Chili Madrid l’heure d’agir permet de « sauver les meubles » dans un contexte très difficile, les textes ont avancé sur de nombreux points, et des solutions d’assistance technique et d’expertise apportées pour éviter les pertes et préjudices liés au changement climatique. De plus, dans la continuité de l’appel de Pékin sur la biodiversité et le climat, la décision adoptée à Madrid consacre la nécessité de traiter l’atténuation et l’adaptation au changement climatique de manière intégrée avec la lutte contre la biodiversité, un thème porté par l’Iddri en amont de la COP. Par ailleurs, deux dialogues sont annoncés, en juin 2020, sur les thèmes « océan » et « usage des terres », qui auront pour but de guider l’action domestique dans les pays. Le diable est (encore) dans les détails : les grands pays agricoles (Brésil et Argentine en tête) ont réussi à borner la question climat et terres à une question d’adaptation aux impacts dans le cadre de ces dialogues.
Vers la COP 26
À seulement onze mois de la COP 26, les regards se tournent maintenant vers les Britanniques, qui en ont formellement reçu la présidence, et ont renouvelé leur engagement à en faire un succès à la suite de l’élection du conservateur Boris Johnson. Brexit ou pas, l’Union européenne sera un partenaire clé : l’adoption de l’objectif de neutralité carbone en 2050 et la communication des premières pistes de la commission pour son pacte vert (‘Green Deal’) ont inscrit fermement l’Union dans le rang de la coalition pour l’ambition au côté des petites îles vulnérables. Ces annonces, salutaires pour la dynamique générale, sont néanmoins arrivées trop tard dans la quinzaine pour impulser un réel élan politique. Clarifier le contenu de la future CDN européenne le plus tôt possible est nécessaire pour engager la Chine à montrer ses cartes sur l’ambition climatique, ce que l’UE semble être le seul acteur en mesure de faire, et alors que le retour des États-Unis dans l’Accord de Paris est incertain.
La Chine et l’UE ont une responsabilité particulière sur les sujets climat et biodiversité, et devront accorder leurs violons lors du Dialogue de Petersberg (avril) et du sommet de Leipzig (septembre) en amont des échéances internationales à Kunming (COP 15 de la Convention sur la diversité biologique) et Glasgow (COP 26). Mais parier uniquement sur un tandem Chine-UE, en voulant répliquer le « G2 » sino-américain de 2014, est trop risqué. Cette COP ayant révélée des rapports de pouvoir fragmentés, la COP26 devrait s’appuyer sur une stratégie de leadership distribué, fondée sur une intense diplomatie officielle et informelle.