La réunion annuelle du Forum économique mondial débute le 23 janvier à Davos (Suisse). Intitulée « Créer un futur partagé dans un monde fracturé », elle pose avec ce thème une question fondamentale. Quelles réponses y apporter, notamment de la part de l’Union européenne, fer de lance d’un projet de mondialisation équitable et soutenable, mais apparaissant aujourd’hui elle-même fracturée ?
À la fin de la Guerre froide (chute du mur de Berlin et effondrement du bloc soviétique), les pays de l’OCDE ont organisé la paix sur deux piliers : la mondialisation des échanges (signature de l’accord de l’OMC en 1994) et le développement durable, compromis entre la nécessaire correction d’un modèle capitaliste insoutenable et les aspirations à la prospérité des pays en développement (Sommet de Rio en 1992). Or la libéralisation financière, la dérèglementation qui s’en sont suivies à l’échelle mondiale, parmi d’autres mesures issues du Consensus de Washington, se sont accompagnées d’une augmentation des inégalités et d’une pression croissante sur les ressources de la planète. Sur ce terreau se sont récemment développées différentes formes de populisme. L’élection de Donald Trump aux États-Unis et la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne ont remis les intérêts exclusivement nationaux au cœur des politiques menées par deux des pays les plus riches du monde.
Au-delà du Brexit, le projet européen est à bout de souffle, régulièrement critiqué – voire rejeté – pour son manque de vision au service des populations, et l’Union européenne semble risquer l’implosion. Pourtant, elle reste la première puissance commerciale du monde et les principes fondateurs et la réalisation de son projet commun ont irrigué les négociations de l’Agenda 2030 et des Objectifs de développement durable (ODD), adoptés par l’Assemblée générale des Nations unies en 2015. Forts de l’unité démontrée autour de ce projet mondial pour une prospérité soutenable, les pays européens peuvent-il vivifier leurs points communs autour d’une vision partagée pour le monde et ainsi donner une nouvelle impulsion – durable – au projet continental ?
L’Union européenne va connaître lors de la période 2019-2021 une phase capitale pour son avenir : la sortie effective du Royaume-Uni en mars 2019 sera en effet suivie des élections du Parlement européen et du renouvellement de la Commission européenne, avec pour premier enjeu majeur l’adoption du cadre budgétaire pluriannuel de l’Union pour la période 2021-2027. Décisive, cette phase doit se préparer dès 2018, et l’orientation des débats, notamment nourris par différentes communications de la Commission européenne sur le « futur de l’Europe » donnera la tonalité des échéances futures.
Concrètement, plusieurs moments dans l’agenda international du développement durable constitueront autant d’opportunités pour l’UE de montrer des gages de la force et de la cohérence de son projet.
Dès juillet 2018, à l’occasion du Forum politique de haut niveau des Nations unies, une dizaine de pays de l’UE présenteront leur état d’avancement sur la mise en œuvre des ODD (Voluntary National Reviews), livrant ainsi à la communauté internationale de premiers indices et signaux quant à la crédibilité du « modèle européen ». En outre, la Commission européenne publiera en 2018 un « papier de réflexion » sur les suites à donner à ces 17 grands objectifs mondiaux.
Concernant les objectifs de lutte contre le changement climatique, qui nécessitent une intense coopération internationale pour en garantir l’efficacité, l’UE sera en 2018 au cœur d’une année importante : la COP24 se tiendra en Pologne, et sera investie de la responsabilité de devoir exposer les perspectives en matière de contributions des pays, réévaluées et plus ambitieuses, avant 2020. L’Europe est-elle prête à jouer un rôle décisif – et nécessaire, tant pour elle-même en termes de crédibilité de ses propres objectifs qu’au niveau global afin d’asseoir son exemplarité et sa contribution pour qu’existe à nouveau un leadership, même partagé – à cette occasion ?
La COP14 de la Convention sur la diversité biologique aura pour objectif de préparer le bilan – qui aura lieu en 2020 lors de la COP15 – des Objectifs d’Aichi (2010-2020) ; l’Europe contribue à la réalisation de ces objectifs par sa propre stratégie biodiversité à 2020, et devra ainsi montrer les progrès accomplis.
Un an après l’élection de Donald Trump, les secousses ressenties par le système multilatéral de coopération sont indéniables, et confirment la nécessité d’un agenda de développement durable pérenne. La prospérité soutenable et équitable n’est pas une alternative parmi d’autres, mais une obligation en termes de stabilité politique et sociale. L’Union européenne, à la croisée des chemins d’un point de vue politique, et la France en son sein, doivent chacune construire les conditions complexes d’un leadership d’initiative plutôt que de puissance, qui impose de s’allier avec des co-leaders, mais qui permette aussi d’apporter une réponse forte et ambitieuse aux partisans du statu quo, voire du retour en arrière. Le sommet de Davos, où le Président Trump sera présent, est un premier rendez-vous à ne pas manquer !