La COP 26 a marqué le début du processus de deux ans prévu par l'article 14 de l'Accord de Paris sur le climat, connu sous le nom de Bilan mondial (Global Stocktake, GST, en anglais)1 . Visant à évaluer les progrès collectifs vers la réalisation de l'accord et de ses objectifs à long terme en matière d'atténuation, d'adaptation et de financement, ce processus permettra d'actualiser et de renforcer les contributions déterminées au niveau national (CDN), d'apporter un soutien et de mettre en place une coopération internationale pour l'action climatique. En tant qu'élément clé du mécanisme d’accélération de l'Accord de Paris, qui pourrait aider les pays à mieux comprendre ce qui est nécessaire pour accroître leur ambition et leur action, ce billet de blog soutient qu'au lieu de se concentrer uniquement sur une analyse des lacunes pour atteindre l'objectif de 1,5ºC et les autres objectifs à long terme de l'Accord de Paris, ce processus du Bilan mondial devrait se concentrer sur la façon de soutenir l'action nationale à court terme.
- 1 Comme convenu dans le règlement de Katowice (Katowice Rulebook) de 2018 (https://unfccc.int/process-and-meetings/the-paris-agreement/katowice-climate-package), le Bilan mondial sera constitué de trois parties principales : la collecte d'informations, l'évaluation technique de ces informations et l'examen des résultats. Les coprésidents des organes techniques de la CCNUCC ont donné quelques indications (https://unfccc.int/sites/default/files/resource/REV_Non-paper_on_Preparing_for_GST1_forSBs_15Sept.pdf) plus tôt dans l'année sur cette structure, notamment sur les questions qui devraient guider l'ensemble du processus.
Au-delà de l'analyse des écarts par rapport aux objectifs de l’Accord de Paris
Les évaluations réalisées dans le cadre du Bilan mondial (GST) sur l'état d'avancement des tendances et des objectifs en matière d'émissions de gaz à effet de serre, ainsi que sur les efforts déployés en matière d'adaptation ou de respect des engagements financiers, seront très importantes. Elles fourniront des preuves convaincantes pour accélérer l'action dans l'immédiat et à court terme, y compris la révision des CDN, et fourniront des informations solides et précises que la communauté climatique et la société civile publique pourront utiliser pour se mobiliser et exercer des pressions.
Toutefois, cette analyse des écarts ne suffira pas à accélérer l'ambition et l'action en matière de climat. Pour cela, le GST devrait également s'attacher à identifier ce qui entrave et stimule l'action, en comprenant les conditions – politiques, sociales, économiques, ou de gouvernance – qui les rendent possibles. Une analyse plus granulaire et spécifique au contexte des tendances et des progrès des transformations nationales et sectorielles aidera à identifier les conditions pour accélérer l'ambition.
Créer une dynamique pour l'action climatique
La COP 26 a souligné la nécessité pour les pays de mettre rapidement à jour leurs plans nationaux, notamment dès 2022. À cet égard, le GST pourrait :
1) créer les modalités d'une conversation ouverte sur les catalyseurs internationaux de l'ambition nationale, comme condition essentielle pour la débloquer. Dans la plupart des cas, l'ambition d'un pays est limitée par les hypothèses – implicites ou explicites – sur les limites des ressources internationales (par exemple, en matière de technologie, de commerce, de finances, etc.). Avoir une compréhension approfondie de ces conditions peut aider à structurer des discussions constructives sur la coopération internationale qui devrait être appliquée comme une exigence clé pour l'ambition nationale ;
2) organiser un processus de partage des connaissances et d'identification des meilleures pratiques entre les pays, en se basant notamment sur des exemples concrets d'actions déjà en place ou en cours de discussion, qui pourraient inspirer d'autres pays. La présentation de la variété d'actions et de politiques réalisables pourrait accroître la confiance dans la possibilité de s'engager vers des objectifs plus ambitieux et la compréhension des actions politiques et des conditions structurelles nécessaires pour les atteindre ;
3) créer un espace de dialogue ouvert entre les différentes parties prenantes afin de favoriser une meilleure coordination des actions. Condition essentielle pour rendre opérationnelles les nombreuses annonces et coalitions de la COP 26 et s'assurer qu'elles se traduisent par des actions concrètes dans l'économie réelle, car elles constituent des éléments clés pour faire évoluer l’ambition des pays. À cet égard, le GST pourrait devenir un « centre d'échange » visant cristalliser ces accords bilatéraux et multilatéraux ;
4) faciliter l'appropriation par une diversité d'acteurs du défi climatique et des risques et opportunités de la transition vers une économie à faibles émissions et résiliente. L'approche « collective » du GST ne doit en effet pas se limiter à l'échelle internationale, mais nécessite un engagement avec les acteurs de la transition à toutes les échelles, y compris avec la société civile.
Penser l'ambition différemment
En 2021, l'Iddri a coordonné un rapport avec 40 experts, afin d'évaluer l'évolution de l'ambition climatique dans 26 pays et 3 secteurs réputés difficiles à décarboner. L’objectif de ce rapport est d'adopter une approche similaire à ce qui a été souligné ci-dessus, offrant ainsi une perspective complémentaire à l'ambition climatique.
Considérer l'ambition climatique à travers le prisme des transformations sous-jacentes oblige à s'éloigner d'une perspective purement mondiale et repose sur l'adoption d'une approche plus granulaire basée sur les perspectives des pays et de secteurs spécifiques. Dans ce cadre, le rapport de l’Iddri explore les tendances et les progrès de ces transformations, tels qu'observés localement au cours des dernières années, notamment depuis l'Accord de Paris. Le raisonnement est qu'une bonne compréhension et évaluation de la situation passée et actuelle permettront de déterminer la maturité de la politique climatique ainsi que ses forces et ses faiblesses. Cette approche « rétrospective » peut aider à identifier les évolutions qui vont dans la bonne direction, celles qui doivent être accélérées et les tensions majeures qui doivent être traitées en priorité pour éviter de compromettre la mise en œuvre de la transition.
Le rapport identifie les principaux catalyseurs internationaux pays par pays et secteur par secteur, et met en évidence les messages transversaux qui émergent de cette image composite, comme la nécessité d'une coopération internationale. C’est une illustration d'une évaluation transversale et ascendante des progrès collectifs et de l'ambition projetée, qui pourrait servir d'inspiration au GST. En tant que tel, il fournit un exemple du type d'informations qui devraient être prises en compte pour évaluer conjointement l'adéquation et la crédibilité des contributions nationales et leur agrégation au niveau mondial. Il prépare également les termes du dialogue sur ce qui est nécessaire pour débloquer ou accélérer la transformation, en particulier ce qui nécessite une plus grande coopération internationale.
L'adaptation, une autre composante clé du Bilan mondial
L'adaptation a bénéficié d’une attention particulière lors de la COP 26, avec des discussions clés sur le financement et les approches d'évaluation, en vue de contribuer aux défis à long terme vers une action climatique ambitieuse. La manière d'évaluer les progrès et l'efficacité de l'adaptation sur le terrain est une préoccupation politique importante et un défi scientifique majeur. Le Pacte de Glasgow pour le climat « appelle la communauté des chercheurs à approfondir la compréhension des impacts mondiaux et locaux du changement climatique, des options de réponse et des besoins d'adaptation », et demande au Giec de produire d'ici novembre 2022 une synthèse des conclusions de son rapport 2022 (groupe de travail II). Cet appel devrait déclencher des efforts de la part de multiples partenaires pour développer des méthodes plus spécifiques pour évaluer les progrès de l'adaptation et dans le but d'alimenter le processus de la CCNUCC, en particulier le GST, et d'évaluer les progrès vers la réalisation de l'objectif global sur l'adaptation. Ce dernier point est au cœur du programme de travail de Glasgow-Sharm el-Sheikh visant à aider les pays à communiquer et à mesurer les progrès en matière d'adaptation.
L'approche GAP-Track de l'Iddri vise à contribuer à la compréhension des besoins en matière d'adaptation et fait valoir que, outre les approches nationales et les processus de rapportage (communications sur l'adaptation, ou A-NDCs en anglais), une perspective mondiale est nécessaire pour aider la communauté internationale à disposer d'un point de référence et de priorités mondiales en matière d'adaptation. L'évaluation des progrès mondiaux en matière d'adaptation à l'aide de l'approche GAP-Track pourrait contribuer à créer un élan pour stimuler les efforts collectifs de planification et de mise en œuvre de l'adaptation. Cette méthode permettra de mettre en évidence les points communs entre les pays en termes de progrès/manques en matière d'adaptation, ce qui est essentiel pour créer une conversation ouverte et un partage des connaissances sur l'adaptation. Lors de la COP 26, les parties, en particulier les pays les moins avancés, les petits États insulaires en développement et le groupe de négociateurs africains, ont estimé qu'il est essentiel de faire progresser l'objectif mondial en matière d'adaptation, en tant qu'instrument politique international important permettant d'apporter un soutien aux communautés vulnérables face aux effets du changement climatique et de faire en sorte que l'adaptation fasse partie intégrante des stratégies à long terme.
Une évaluation collective et ascendante de l'action climatique
Les méthodologies qui adoptent une granularité par pays ou par secteur et une approche ascendante (bottom-up), et qui mettent en évidence les points communs entre elles, comme le « Rapport Ambition » et l'approche GAP-Track de l'Iddri, peuvent fournir des moyens d’analyse et d'action au sein de la communauté internationale du climat, et seront particulièrement importantes pour informer les domaines clés permettant de faire progresser un programme d'ambition réalisable.
Nous pensons que ces approches devraient être au cœur de la conception et de la mise en œuvre du Bilan mondial en 2022 et 2023. Ainsi, il conserverait sa nature collective, ne se concentrant pas sur un pays spécifique, mais présenterait des images ascendantes plus composites qui aideraient à identifier les conditions pour accélérer l'ambition et l'action. Cela pourrait permettre d'informer des CDN plus ambitieuses, mais aussi de catalyser l'action sur le terrain.