Alors que le changement climatique s'accélère, le fossé entre ce qu’il faudrait faire pour s'adapter et ce qui est effectivement fait se creuse. Le dernier rapport du Giec (2022) souligne ainsi le besoin urgent d'une plus grande ambition et d'une action plus rapide en matière d'adaptation. Si les négociations internationales reconnaissent également cet impératif, traduire l'ambition en actions concrètes reste un défi. Ce billet de blog décrit les lacunes de l'approche actuelle des négociations et propose des moyens d'accélérer les efforts d'adaptation, en se concentrant à la fois sur la nécessité de relever le niveau d’ambition et d’assurer la mise en œuvre. Il appelle au développement d'une vision commune de l'adaptation, fondée sur des processus de prise de décision collective et renforcée par la coopération internationale.

Le déficit de mise en œuvre : un enjeu de plus en plus pressant

La présidence de la COP 29 a appelé à une ambition accrue en matière d'atténuation et d'adaptation au changement climatique, exhortant les pays à soumettre des contributions déterminées au niveau national (CDN) et des plans nationaux d'adaptation (PNA) « ambitieux, exhaustifs et robustes ». En outre, les résultats du premier Bilan mondial (Global Stocktake) invitent les Parties à mettre en place un instrument de politique nationale d'adaptation d'ici 2025 et à progresser dans sa mise en œuvre d'ici 2030.

Cependant, malgré certains progrès, le risque de ne pas être à la hauteur en matière d'adaptation reste élevé. Les efforts d'adaptation actuels sont insuffisants : comme le souligne le Giec, l'adaptation est trop incrémentale, réactive et ne se fait pas à l'échelle requise. L'accent est souvent mis sur la planification plutôt que sur la mise en œuvre effective, qui est entravée par plusieurs obstacles : le manque de données et de connaissances (par exemple, sur la nature du risque climatique et de la vulnérabilité et sur les options d'adaptation disponibles), le manque d'outils de suivi et d'évaluation, des difficultés d'accès au financement et une intégration limitée des priorités en matière d'adaptation dans des plans et des politiques plus larges (PNUE, 2023).

Le processus des PNA, établi en 2010 en vertu du Cadre d'adaptation de Cancun, a été conçu pour aider les pays à définir leurs priorités à moyen terme en matière de gestion des risques climatiques. Cependant, ces plans manquent souvent de cohérence et d'ambition, ce qui réduit leur efficacité. Trop souvent, ils consistent en des listes d'actions à mener sans approche programmatique claire (PNUD, 2022). Cela ralentit l’action en matière d'adaptation, ce qui peut entraîner une augmentation des pertes et des dommages (effets inévitables et irréversibles du climat) sur les moyens de subsistance, les infrastructures et les écosystèmes, ainsi qu'une augmentation des coûts futurs de la lutte contre les impacts du changement climatique.

Des négociations fragmentées : un obstacle majeur

L'un des enjeux principaux de l'accélération de l'adaptation à l’échelle internationale est la fragmentation des négociations dans le cadre de la CCNUCC, qui se traduit par des cycles de négociation à répétition et une inertie dans la mise en œuvre. Plusieurs processus liés à l'adaptation se déroulent en parallèle, mais manquent de liens clairs entre eux. Par exemple, à la suite du constat d’un blocage des efforts initiaux pour rendre opérationnel l'Objectif mondial d'adaptation , le Programme de travail de deux ans de Glasgow-Sharm-el-Sheikh a été lancé sur le sujet en 2021. Il a débouché sur le Cadre des Émirats arabes unis pour la résilience climatique mondiale, qui a à son tour lancé le Programme de travail de deux ans des Émirats arabes unis et de Belém sur les indicateurs permettant de mesurer les progrès en matière d'adaptation.

En 2023, les Parties ont également invité le Comité d'adaptation, en collaboration avec le Groupe consultatif d'experts et le Groupe d'experts des pays les moins avancés, à contribuer à la mise en œuvre du Cadre des EAU pour la résilience climatique mondiale en fournissant des orientations techniques et de matériel de formation. En outre, le groupe d'experts des pays les moins avancés a été invité à mettre à jour les lignes directrices techniques du processus des PNA. Un an plus tôt, les Parties avaient invité le Giec à envisager la mise à jour de ses lignes directrices techniques de 1994 pour l'évaluation des impacts et des adaptations au changement climatique dans le cadre de son septième cycle d'évaluation.

Bien que fragmentés, ces efforts pourraient apporter des informations précieuses. Mais le processus d'élaboration d'orientations, de mise à jour des lignes directrices et d'établissement d'indicateurs risque de prendre des années, car il nécessite un travail méthodologique pour tenir compte des résultats du Cadre des EAU pour la résilience climatique mondiale et du programme de travail sur les indicateurs. Le fait d'attendre leur achèvement retardera encore la mise en œuvre des mesures d'adaptation qui s'imposent d'urgence. Il est paradoxal que tant de temps et d'efforts soient consacrés à l'élaboration d'orientations, de lignes directrices et d'indicateurs alors que l'adaptation qu'ils visent à informer et à suivre continue d'être retardée, laissant le déficit persistant de mise en œuvre sans réponse.

Un décalage des politiques internationales

En février 2023, 140 pays avaient soumis des CDN comprenant une composante d'adaptation, et 130 avaient soumis des versions actualisées (TAAN). En particulier pour les pays non-Annexe I de la CCNUCC, alors que les CDN décrivent les objectifs et les stratégies d'adaptation, les PNA permettent de se focaliser sur les actions spécifiques nécessaires pour atteindre ces objectifs (NAP Global Network, 2019). Cependant, souvent, les pays ne parviennent pas à établir un lien clair entre leurs PNA et les composantes d'adaptation de leurs CDN ; les deux processus sont alors menés séparément, ce qui entrave les progrès. En outre, alors que les CDN successives sont conçues pour s’assurer que l'ambition en matière d'atténuation s’accroisse au fil du temps, elles ne font pas de même pour l'adaptation. Pourtant, même si un tel mécanisme était introduit pour l'adaptation, une mise en œuvre efficace reste cruciale pour accélérer les progrès. Les PNA devraient permettre de fournir une feuille de route claire sur ce que les pays vont faire, avec le soutien des ressources techniques et financières nécessaires. Dans cette optique, le premier Bilan mondial de 2023 a réitéré l'appel du Pacte de Glasgow sur le climat de 2021 à au moins doubler, d'ici à 2025, le financement de l'adaptation fourni par les pays développés aux pays en développement par rapport aux niveaux de 2019.

Toutefois, étant donné que les risques climatiques sont vécus à travers le monde et que les conséquences de ces risques et des mesures d'adaptation peuvent avoir des répercussions d’un pays à l’autre (Anisimov et al., 2023), les efforts d'adaptation doivent également s'étendre au-delà des pays non-Annexe I. L'ambition en matière d'adaptation doit augmenter au niveau mondial, et un meilleur alignement entre les PNA et les CDN, bien qu'important, n'est pas suffisant. Alors qu’il est demandé aux pays de préparer des politiques et des plans nationaux d'adaptation d'ici la COP 30 de 2025, ce sera également l'occasion pour les pays développés de réfléchir à leur stratégie d'adaptation au changement climatique et de l'aligner sur leurs CDN, et ainsi, de se montrer à l'avant-garde d'une planification et d'une mise en œuvre ambitieuses en matière d'adaptation.

Du cadre global à l'action nationale

Alors que les pays mettent à jour leurs CDN et leurs plans et politiques d'adaptation d'ici la COP 30 en 2025, conformément à la feuille de route de la Troïka des présidences de la COP pour faire avancer la « Feuille de route pour une mission 1,5°C », ils doivent tenir compte des priorités aux niveaux international, national et infranational, qui peuvent être mises en œuvre dans le cadre de stratégies de développement régionales et nationales plus vastes. Cela nécessitera une approche systémique avec une participation de la société dans son ensemble,  où l'adaptation n'est pas seulement considérée comme un défi technique, mais aussi comme un défi sociétal et politique, qui peut dépasser les frontières.

Les pays doivent définir une vision collective des niveaux de risque acceptables, qui doit être soutenue au niveau politique et bénéficier de l'adhésion de tous les secteurs et à tous les niveaux de la société. Les décideurs politiques doivent diriger et coordonner cet effort en fixant des priorités claires et en ordonnant des actions qui reflètent cette vision collective. Cela soulève des questions sur la manière de structurer le dialogue entre les parties prenantes à différentes échelles, afin d'identifier et de surmonter les différences de perception des risques et de l'adéquation des efforts d'adaptation actuels. Des outils innovants sont nécessaires pour faciliter ces processus multipartites afin d'éclairer la planification de l'adaptation. 

Cette vision collective de l'adaptation et les processus sous-jacents doivent être renforcés par la coopération internationale. Les décideurs politiques doivent en tenir compte lorsqu'ils soutiennent la planification et la mise en œuvre de l'adaptation au niveau international.