Le 24 septembre dernier, le gouvernement a présenté en Conseil des ministres son projet de loi de finances (PLF) pour 2019. Comme chaque année à cette occasion, les analyses et commentaires ont été nombreux, chacun mettant en exergue les perdants et les gagnants des arbitrages budgétaires du gouvernement, que ce soit en termes de contributions ou de missions de l’État. Les discussions se concentrent généralement sur la hausse – et surtout la baisse – des montants alloués, au détriment de l’appréciation de la situation économique, sociale et environnementale nationale et des politiques publiques qui y sont associées. Lorsque de telles évaluations sont faites, c’est généralement sous l’angle des coûts rapportés au bénéfice escompté en termes de points de croissance, ou de manière très sectorisée (sur l’éducation, les inégalités, le chômage, la dégradation de la biodiversité, etc.), sans qu’une vision globale des différentes dimensions du développement et de la richesse de la France se dessine.
La trop vite oubliée loi sur les nouveaux indicateurs de richesse
Ce constat n’est pas nouveau et avait conduit en 2015 le Parlement français à adopter une loi dite « loi Sas » invitant le gouvernement à publier chaque année, au moment de la présentation budgétaire au Parlement, un rapport décrivant l’évolution de 10 indicateurs de richesse sur plusieurs années. Ces 10 indicateurs, mêlant bien-être, qualité de vie et soutenabilité environnementale, avaient aussi pour vocation de servir de base de discussion pour évaluer les politiques publiques et les réformes entreprises par le gouvernement ainsi que de nourrir la discussion budgétaire. La synchronisation de leur publication avec l’examen du PLF annuel permettait de leur donner une visibilité médiatique et donc de favoriser leur appropriation par les acteurs économiques et sociaux.
La pratique tend cependant à vider cette loi de sa logique initiale : ainsi la publication du rapport de 2017, qui aurait dû intervenir le 3 octobre 2017, a finalement eu lieu le 21 février 2018, et ce dans l’indifférence générale puisque le débat budgétaire était clos depuis de nombreux mois. De ce fait, le rapport sur les nouveaux indicateurs de richesse (NIR) reste un rapport consultatif sans impact sur la gestion de l’action publique[1].
L’opportunité de renouveler le débat sur les politiques publiques…
Cet état de fait est regrettable à plus d’un titre. D’abord, parce que cette loi offre un outil pertinent pour asseoir une nouvelle culture de l’évaluation des politiques publiques, au moment où le gouvernement réfléchit à renforcer cette dimension du travail parlementaire dans le cadre de sa réforme constitutionnelle. Un nouvel espace de discussion s’ouvre ainsi, permettant de rendre compte de l’action gouvernementale à l’aune d’indicateurs choisis collectivement – rappelons qu’ils ont été sélectionnés par France Stratégie (think tank du Premier ministre) et le CESE (Conseil économique, social et environnemental) après consultation de la société civile – et qui reflètent les enjeux publics contemporains auxquels doit faire face l’État. En invitant le débat budgétaire à prendre en compte l’évolution de ces indicateurs ainsi que les mécanismes qui permettraient de les faire progresser dans le bon sens, la loi sur les NIR introduit un processus de réflexivité politique qui ne peut qu’enrichir le débat parlementaire.
… et de reprendre un rôle d’avant-garde sur les indicateurs de développement durable
De plus, cette loi est une opportunité dans le cadre de la mise en œuvre de l’Agenda 2030 pour le développement durable et des Objectifs de développement durable (ODD), adoptés par l’Assemblée générale des Nations unies en 2015 et auxquels la France a souscrit. Le processus budgétaire apparaît en effet de plus en plus comme un élément incontournable pour l’intégration de cet agenda international dans le débat national. Dans une étude publiée récemment, l’Iddri avait ainsi recensé qu’une vingtaine de pays envisageaient ou avaient commencé à relier les ODD à leurs processus budgétaires et nationaux. En redonnant à la loi sur les nouveaux indicateurs de richesse son ambition d’origine et en la liant à l’Agenda 2030, le gouvernement français a donc l’opportunité d’une part d’asseoir solidement son ambition de renouvellement de l’action publique et d’autre part de rappeler son rôle d’avant-garde sur la scène internationale quant à la promotion des indicateurs de développement durable.
[1] Cf. décryptage Iddri sur cette question : Pagnon, F. (2018, à paraître). Nouveaux indicateurs de richesse et projet de loi de finances : un calendrier à respecter. Iddri, Décryptage N°11/18.
Source Photo : www.calvados.fr