Tandis que l’érosion de la biodiversité continue, dans le monde, les États ont deux ans pour négocier le futur cadre mondial qui succédera au « plan stratégique » actuel (2011-2020) des Nations unies pour la biodiversité. Ce cadre devra permettre de renouveler les objectifs de la communauté internationale et, surtout, de poser les bases d’un nouveau fonctionnement de la gouvernance internationale de la biodiversité. La Convention sur la diversité biologique (CDB) est l’arène principale où ces discussions ont lieu : sa COP14, qui se tiendra du 17 au 29 novembre à Charm el-Cheikh, en Égypte, verra le lancement du processus d’élaboration du cadre post-2020, ouvrant deux années d’intenses discussions jusqu’à la COP15, fin 2020 à Beijing , où le nouveau cadre devra être adopté.
Renouveler le cadre de gouvernance globale de la biodiversité
Comme pour le réchauffement climatique, les évaluations scientifiques probantes s’accumulent et démontrent que la situation de la biodiversité empire. Les « maladies » dont elle souffre sont bien connues, et depuis longtemps : surexploitation des ressources, pollutions, changement d’occupation des sols, invasions d’espèces, et changement climatique. Les causes sous-jacentes à ces maladies renvoient pour leur part, en grande partie, aux pratiques de production et de consommation : surpêche, intensification agricole, extension des surfaces agricoles et urbanisées, croissance urbaine non maîtrisée, etc. Pour autant, les mesures annoncées par les États n’ont, pour l’instant, pas eu une portée suffisante pour transformer ces modes de production, d’aménagement et de consommation. C’est pourquoi la recherche d’un nouveau cadre multilatéral post-2020 est placée sous l’invocation générale d’un « changement transformatif », terminologie issue de l’Agenda 2030 pour le développement durable des Nations unies. Implicitement, cela signifie que le nouveau cadre devrait désigner les secteurs d’activité où sont recherchés des changements, et inciter à agir sur eux.
Contrairement à d’autres arènes de négociation, à la CDB, les enjeux de transformations sectorielles sont reconnus explicitement et même régulièrement discutés (par exemple la question des subventions néfastes, sujet pourtant sensible politiquement). Néanmoins, les engagements pris au niveau mondial n’ont pas suffisamment d’effets aux niveaux nationaux et sectoriels. La CDB fait donc face à un casse-tête : comment parvenir à renouveler la manière dont se passent les discussions internationales pour parvenir à déclencher plus d’effets transformateurs, sur le terrain ?
L’Accord de Paris sur le climat : une référence utile ?
Cette question, centrale pour la mise en œuvre des traités multilatéraux environnementaux, s’est également posée pour le climat, et l’Accord de Paris et les décisions prises à la COP 21 en 2015 y constituent une réponse. L’Accord de Paris est ainsi dans tous les esprits des acteurs s’intéressant à la CDB, et sa transposition à la biodiversité est le point de fuite, la principale référence actuelle des discussions menées sur le cadre de gouvernance. Or, une telle transposition ne serait pas en soi une panacée.
Pour le climat comme la biodiversité, la gouvernance par objectifs de type « descendante » (top-down, soit des objectifs décidés à l’échelle internationale devant être déclinés et traduits dans chaque juridiction nationale) n’a pas répondu aux attentes. Pour le climat, l’Accord de Paris lui a substitué, en partie, une approche hybride, où des objectifs mondiaux s’appliquent effectivement à tous (par exemple, le maintien du réchauffement bien en-dessous de 2°C, mais aussi des objectifs quant aux pics d’émissions futurs, et la « neutralité carbone » à atteindre dans la deuxième moitié du siècle), mais où une approche dite « ascendante » (bottom-up) permet aussi à chaque État de décider de la manière dont il va/peut contribuer à l’atteinte de ces objectifs mondiaux.
Les discussions en cours à la CDB laissent suggérer que le cadre mondial sur la biodiversité s’acheminerait également vers une forme hybride, avec un appel à soumettre des « contributions volontaires » d’ici la COP15. Mais seule la dimension « ascendante » de l’Accord de Paris – qui doit encore faire les preuves de son efficacité – semble être retenue. Or la réponse trouvée pour le climat avait au moins quatre composantes[1] :
- une logique descendante avec des objectifs mondiaux s’appliquant à tous ;
- une logique ascendante avec les contributions déterminées au niveau national (CDN) ;
- un ensemble de décisions sur la mesure des progrès réalisés et sur la manière dont les ambitions devront augmenter dans le temps ;
- et enfin un « agenda de l’action », mobilisation propre de la société civile, lancée suffisamment en amont de la COP21 pour créer une très forte dynamique politique, et reprendre, amplifier, voire, dans certains cas, relayer l’action gouvernementale.
Par ailleurs, les objectifs de long terme sur le financement de l’action climatique (ainsi que d’autres sujets, comme l’objectif mondial pour l’adaptation) ont joué un rôle primordial pour permettre de trouver un accord.
Dans le cas du climat, les CDN ne sont intéressantes que dans la mesure où elles sont enchâssées dans cette architecture d’ensemble. Pour qu’un système de contributions nationales soit utile à la gouvernance mondiale de la biodiversité, des conditions impératives, au-delà de la seule logique bottom-up, doivent être mises à l’agenda et discutées au plus vite. Nous relevons au moins quatre discussions à approfondir d’urgence :
- Définir des objectifs mondiaux. À quoi s’agirait-il de contribuer, c’est-à-dire à quels objectifs mondiaux, par rapport auxquels on pourrait juger du caractère suffisamment ambitieux ou non des contributions des États (voire d’acteurs non étatiques) ?
- Définir sur quoi porteraient les engagements. Puisque les résultats attendus en matière de biodiversité ne peuvent pas être mesurés par un unique indicateur agrégé (comme le niveau d’émissions de gaz à effet de serre pour le climat), comment spécifier les indicateurs visés par ces engagements ? Pourraient-ils être conçus pour viser plutôt les activités en cause dans la perte de biodiversité et les transformations à y apporter ?
- Mesurer le progrès et revoir les engagements. Quel serait le processus de revue et de bilan collectif de ces engagements, et dans quelle mesure favoriseraient-ils une amélioration progressive plutôt qu’une régression ?
- Créer une dynamique multi-acteurs. Où se trouve aujourd’hui la dynamique d’engagement de la société civile (entreprises, villes et régions, ONG) susceptible d’amplifier et de relayer les politiques nationales, sachant que « l’agenda de l’action biodiversité » ne fait pas encore l’objet de discussions formelles ?
C’est donc bien la cohérence globale du nouveau cadre, sa propre logique d’action, qu’il convient de clarifier avant d’engager plus loin la négociation sur un dispositif « ascendant » d’engagements volontaires des États. Dans le cas contraire, le risque serait grand d’une transposition formelle et artificielle d’un cadre à un autre, ouvrant la voie à une régression supplémentaire du cadre multilatéral, plutôt qu’à un progrès.
Un enjeu de gouvernance capital, un calendrier serré
Les deux prochaines années vont donc être cruciales pour le futur de la gouvernance internationale de la biodiversité, et c’est la COP14 qui donnera le départ de ces négociations. D’ici à la COP15, fin 2020, ces discussions devraient être organisées en trois phases :
- une première, qui démarrera dès 2019, comportera un certain nombre de consultations (régionales, thématiques, internationale, etc.) pour travailler à une première ébauche du cadre post-2020. Cette phase devrait s’étendre jusqu’à la fin de l’été 2019 ;
- ensuite, une phase de construction de consensus s’étalera jusqu’à la fin du printemps 2020, où une première version du brouillon « final » du cadre post-2020 sera mise en négociation lors d’une réunion intermédiaire[2] de la CDB ;
- la troisième phase, jusqu’à la fin 2020 et la COP15 à Pékin, sera une phase de mobilisation de haut niveau et, il faut l’espérer, de réglage des derniers points en suspens avant que les Parties se rassemblent à Pékin.
La publication de l’évaluation mondiale de l’état de la biodiversité par l’IPBES, au printemps 2019, et celle du Global Biodiversity Outlook 5 par la CBD, au printemps 2020, devraient, en chemin, continuer de sonner l’alerte sur le déclin de la biodiversité et l’insuffisance des progrès réalisés. Il serait utile que ces rapports permettent également d’appuyer la définition d’objectifs et la nature des engagements, au service de la dynamique de clarification des contributions nationales ou des acteurs non gouvernementaux. Le Congrès mondial de la nature de l’UICN, qui se tiendra en juin 2020 à Marseille, sera aussi un point d’étape et de mobilisation important sur la route vers Pékin.
Compte tenu de l’état des discussions et du nombre de questions qui restent ouvertes, la route séparant Charm el-Cheikh de Pékin sera longue ; mais le temps, lui, est bien court. La COP14 sera donc cruciale pour cadrer au maximum les discussions et en délimiter les contours. Il y a très peu de temps de négociation à disposition : rappelons que, pour le climat, six ans ont séparé l’impasse de la COP15 de Copenhague et la COP21 de Paris. Il sera donc primordial d’identifier les points précis à inclure dans la décision de Pékin, et les points de progrès qui seront discutés par la suite, pour faire vivre la mécanique du cadre post-2020. C’est aussi comme cela qu’a fonctionné la COP21, et, dans le cas d’espèce, c’est là une leçon utile de l’Accord de Paris.
[1] Cf. Laurans, Y. et al. (2018). Relancer l’ambition internationale pour la biodiversité : une vision en trois dimensions pour le futur de la Convention sur la diversité biologique. Iddri, Issue Brief N°06/18.
[2] Troisième réunion du Subsidiary Body on Implementation, ou SBI-3