Avec l’implosion de la coalition « tricolore » dirigée par Olaf Scholz et l’annonce des élections législatives anticipées prévues pour le 23 février 2025, l’Allemagne est entrée dans une phase de reconfiguration politique. Si la victoire du parti conservateur du CDU semble presque acquise, la composition de la future coalition gouvernementale reste incertaine. Il en va de même pour son positionnement sur la politique climatique, question reléguée au second plan au profit de l’économie et de l’immigration, suivant la dynamique plus large à l’œuvre en Europe. Mais l’alternance politique devrait tout de même avoir un effet structurant pour l’avenir du tournant énergétique allemand et du Pacte vert européen. 

Le développement des énergies renouvelables, vitrine du tournant énergétique allemand 

En dépit du ralentissement économique et des incertitudes politiques, le développement des énergies renouvelables (ENR) a connu une accélération sans précédent en Allemagne ces dernières années. Portées par un développement record du solaire (plus de 16 GW de puissance raccordés en 2024), les ENR ont atteint près de 60 % de la production d’électricité en 2024, doublant leur part en 10 ans1. Aidé par une consommation en berne et la hausse des importations nettes (notamment en provenance de la France2), l’essor des ENR a permis une nouvelle baisse du charbon (-15 %), dont la part dans la production se limite désormais à 21 % du mix. 

L’objectif d’atteindre un mix électrique à 80 % renouvelable en 2030 (et neutre en carbone d’ici 2035) reste toutefois très ambitieux. Au-delà d’un développement sans précédent des capacités éoliennes et solaires, le succès de la transition électrique dépendra en grande partie de la rapidité de déploiement des infrastructures réseaux (électriques et hydrogène3), mais également du renforcement de la flexibilité du système électrique dans son ensemble (Iddri, 2024), du côté de la demande comme de l’offre (nouvelles capacités pilotables4).

Figure 1. Production d’électricité en Allemagne par source entre 2000 et 2024 (TWh)

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Source : Iddri, données AGEB (2025)

Figure 2. Production d’électricité par source en Allemagne en 2024 (en %)

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Source : Iddri, données AGEB (2025)

Les objectifs 2030 menacés

Entre 1990 et 2024, l’Allemagne a divisé ses émissions de gaz à effet de serre par deux (-48 %), réduction principalement portée par la transformation du secteur de l’énergie (-61 %). Mais un retard s’observe pour les secteurs des transports et des bâtiments, qui s’écartent progressivement de la trajectoire prévue par la loi sur la protection du climat5.
Figure 3. Émissions de GES en Allemagne par grands secteurs en 1990, 2024 et 2030 (objectifs)

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Source : Iddri, données Agora Energiewende (2025)

Deux dynamiques permettent d’illustrer l’incertitude pesant sur les politiques de transition dans ces deux secteurs : avec 380 000 ventes, le marché des véhicules électriques a diminué de 26 % entre 2023 et 2024, signant un écart croissant avec l’objectif de 15 millions de véhicules en 20306. La tendance est encore plus préoccupante pour les pompes à chaleur, avec, en Allemagne comme en Europe, une baisse de 44 % sur l’année7. Dans les deux cas, le redressement de la trajectoire dépendra à la fois d’un renforcement de l’ambition politique et des financements publics, mais également d’une meilleure prise en compte des enjeux de justice sociale, autour d’un ciblage des aides en faveur des ménages les plus modestes, particulièrement affectés par la crise de l’énergie et du pouvoir d’achat8

En effet, les prix des énergies restent toujours élevés pour les ménages et les entreprises, en dépit des légères baisses de prix de l’électricité et du gaz observées en 2024 par rapport au pic de la crise de 2023. Avec une moyenne de 41 centimes par kWh, les prix de l’électricité pour les ménages sont 30 % plus élevés qu’en 2021 (et 60 % plus élevés qu’en France), ce qui pose un souci évident en matière d’attractivité des mesures d’électrification, et ce en dépit d’un prix du gaz lui-même 65 % plus élevé qu’avant la crise9

La situation s’améliore légèrement du côté de l’industrie allemande, très fortement affectée dès 2022 par l’explosion des prix du gaz et de l’électricité, ce qui a généré une importante destruction de la demande. En 2024, la baisse des prix de marché de gros et la forte réduction de l’ensemble des charges et taxes décidée par le gouvernement en 2023 ont toutefois permis de revenir à un niveau de prix de l’électricité légèrement inférieur à l’avant-crise10. La stabilisation des prix du gaz a un niveau 50 % plus élevé demeure néanmoins un frein à la compétitivité, tout en renforçant la pertinence des politiques d’électrification.

Déverrouiller les investissements verts en suspens 

Le retard en matière de politiques de transition s’explique notamment par l’instabilité politique et les débats incessants sur l’équilibre budgétaire, sans oublier l’effet drastique de la décision de la Cour constitutionnelle allemande de novembre 2023 d’invalider le fonds pour la transformation et le climat, ôtant d’un coup 60 milliards de budget aux politiques de décarbonation, avec de fortes répercussions sur les programmes d’aides à destination des ménages et des industriels. Le gouvernement d’Olaf Scholz a toutefois réussi à encourager la conception de projets de décarbonation industriels – tout en déclenchant un nouveau débat sur le partage des risques et des financements entre acteurs publics et privés –, qu’il s’agit désormais de concrétiser. 

De façon plus structurelle, on note une tension forte entre l’attachement – de plus en plus contesté –à la règle du frein à l’endettement11 (Schuldenbremse) et l’urgence d’un grand plan d’investissements publics et privés, que ce soit en lien avec la transition verte ou plus largement pour redresser une économie en stagnation depuis 2019. Selon le think tank Agora Energiewende, les besoins d’investissements pour la transition bas-carbone s’élèvent à 540 milliards d’euros par an en moyenne d’ici 204512.

Durement affectés par la crise énergétique et la stagnation de l’économie, les industriels allemands ont sonné l’alarme en 2024, indiquant qu’un cinquième de la valeur ajoutée de l’industrie était directement menacé par la perte de compétitivité. Contrairement à ce qui aurait pu être attendu, l’industrie allemande – par le biais de sa puissante fédération du BDI – n’a pas souhaité tourner le dos à la stratégie de décarbonation. Au contraire, dans une récente étude, elle appelle à une nouvelle stratégie de politique industrielle beaucoup plus ambitieuse, intégrant la transition énergétique et digitale, avec un besoin d’investissements additionnels estimé à 1 400 milliards entre 2024 et 2030, dont le déclenchement dépendra également en grande partie de l’octroi de nouvelles aides publiques.   

Considérant ces défis et le poids de l’économie allemande, la stratégie de financement et la posture politique de l’Allemagne auront également un impact clé sur les négociations du prochain cadre financier pluriannuel de l’UE (2028-2034), que ce soit en ce matière de définition des priorités sectorielles ou de la capacité à se doter de nouveaux instruments de financement communs après l’expiration du fonds de relance NextGenerationEU en 2026.

Une élection décisive pour l’avenir du Pacte vert européen

L’arrivée d’une nouvelle coalition allemande dirigée par Friedrich Merz et le parti conservateur du CDU pourrait également renforcer la pression politique sur l’agenda du Pacte vert européen. 

Tout d’abord, en renforçant le poids des conservateurs du Parti populaire européen (PPE) en Europe, dont la ligne politique penche actuellement davantage vers un agenda de simplification et un nouvel équilibre entre protection de l’environnement et croissance économique à court terme, avec une place incertaine pour la mise en œuvre du Pacte vert13.

Mais également parce que la position du futur gouvernement pourrait être décisive pour le sort de certains acquis clés du Pacte vert, à l’instar de l’interdiction de vendre des véhicules thermiques neufs à partir de 2035 (explicitement rejetée dans le programme de la CDU) et de la mise en œuvre du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières14. Et ce d’autant plus que la présidente de la commission Ursula Von der Leyen pourrait être plus à l’écoute d’un chancelier issu de sa formation politique. 

Avec un facteur d’incertitude majeur : la position effective du gouvernement allemand dépendra des négociations et rapports de force au sein de la future coalition (dont la formation peut prendre plusieurs mois), et que les nombreuses divergences entre la CDU et ses alliés potentiels (SPD, les Verts) ne faciliteront pas les choses15.

Réconcilier réindustrialisation, compétitivité et décarbonation : un nouveau projet franco-allemand pour l’Europe

L’arrivée de Friedrich Merz pourrait également rebattre les cartes pour le couple franco-allemand : francophile et soutien d’une Europe forte, pro-nucléaire et partisan d’un agenda focalisé sur la simplification au nom de la compétitivité, le futur candidat de la CDU semble à première vue un candidat idéal pour relancer une coopération franco-allemande en berne depuis plusieurs années. 

Avec à la clé l’opportunité de définir une vision stratégique ambitieuse pour l’Europe, sur un juste équilibre entre compétitivité, réindustrialisation et décarbonation, afin d’opérationnaliser par des mesures concrètes le copieux agenda du Clean Industrial Deal (attendu pour le 26 février) et de la simplification réglementaire (objets de deux papiers Iddri à venir), autour de plusieurs axes clés : 

  • concilier l’agenda de simplification et la transition verte de façon pragmatique, en cherchant à être plus efficace tout en maintenant un haut niveau d’ambition16 ;
  • élaborer une politique industrielle commune à l’échelle de l’Europe, tirant profit des opportunités de la course aux industries vertes et dotée d’instruments de financement à la hauteur des défis ;
  • définir une approche harmonisée et européenne pour garantir un accès préférentiel à l’électricité décarbonée aux acteurs industriels, afin de faire de l’électrification et de la décarbonation un axe fort de la sécurité économique et énergétique de l’Europe, en s’appuyant sur les nombreuses initiatives européennes en la matière17 ; 
  • renforcer la coopération en matière de transition électrique en se focalisant sur les enjeux d’électrification et de développement des flexibilités électriques, conformément au plan d’action franco-allemand publié en 2024. 
     
  • 1

     Selon les données provisoiresdu groupe de travail sur les bilans énergétiques (AGEB), les ENR représentent 58,4 % du mix électrique allemand en 2024, contre 29,3 % en 2015. 

  • 2

     Le bilan électrique 2024de RTE indique un solde net de 27 TWh d’exportations françaises vis-à-vis de la zone Allemagne-Belgique.

  • 3

     Dans le cadre de la stratégie allemande pour l’hydrogène, l’Agence fédérale des réseaux(Bundesnetzagentur) a validé fin 2024 le déploiement d’un « réseau-cœur » (Kernnetz)  allant jusqu’à 9 000 km de réseaux H2 d’ici 2032 pour un investissement estimé à 19 milliards d’euros, en grande partie grâce à des projets de reconversion de réseaux de gaz existants. 

  • 4

     Juste avant l’implosion de la coalition, le gouvernement prévoyait d’adopter une nouvelle loi sur la sécurité d’approvisionnement et les centrales électriques(Kraftwerkssicherheitsgesetz), prévoyant notamment de lancer la construction et reconversion de 12,5 GW de centrales à gaz pouvant fonctionner à l’hydrogène, et 500 MW de stockage par batterie dans le cadre d’un nouveau mécanisme de capacité, pour un coût total estimé à 17 milliards d’euros entre 2029 et 2045.  Pour une analyse plus détaillée des défis pour un système électrique allemand neutre en carbone, voir par exemple cette étude.

  • 5

     Adoptée en 2019 et réformée en 2021 et 2024, la loi fédérale pour la protection du climat prévoyait initialement des trajectoires et objectifs de réduction d’émissions annuelles par grands secteurs (énergie, transports, bâtiments, etc.). Depuis la réforme de 2024, la loi ne prévoit plus qu’une seule trajectoire avec objectifs annuels pour l’ensemble des secteurs. 

  • 6

     En raison des tractations sur le fonds climat, le gouvernement allemand n’a pas reconduit le bonus écologique pour l’acquisition de véhicules électriques en 2024, qui permettait jusque-là d’obtenir jusqu’à 6 750 euros de subvention. Au total, l’Allemagne comptait environ 1,6 million de véhicules électriques (hors hybrides) fin 2024.

  • 7

     L’association européenne des pompes à chaleur (EHPA) indiquait un recul des ventes de 47 % pour le premier semestre 2024. Pour le cas de l’Allemagne, le marché des PAC dépend à 80 % des constructions neuves, négativement affectées par la hausse des taux d’intérêts, l’incertitude politique et la récession économique. D’autre part, l’intérêt économique des PAC est également retombé avec la débâcle sur la loi chauffage, la fin de la crise énergétique et la diminution des prix du gaz, désormais 3 à 4 fois moins élevés que le prix de l’électricité pour les ménages allemands.

  • 8

     Historiquement, les aides à la transition (rénovation énergétique et véhicules électriques en particulier) en Allemagne répondaient davantage à un principe d’égalité de traitement pour tous que d’équité et de ciblage en fonction des revenus des ménages. Avec néanmoins des évolutions récentes (notamment pour les aides à la décarbonation des chauffages) et un intérêt marqué pour le modèle français du leasing social pour les véhicules électriques. 

  • 9

     Données issues du bilan annuel de la Fédération allemande des entreprises de l’énergie et de l’eau (BDEW, 2024). La comparaison des prix pour l’Allemagne et la France est donnée pour une consommation de 3 500 kWh et intègre la part fixe, ainsi que la baisse de février 2025 côté français.  

  • 10

     Selon les données du BDEW, le prix de l’électricité pour des industriels consommant entre 160 MWh et jusqu’à 20 GWh a baissé de 43 cents par kWh en 2022 à 17 c/kWh en 2024. La part des taxes et charges est passée de 9 c/kWh en 2021 à 1,49 c/kWh en 2024.

  • 11

     Inscrit dans la Constitution allemande en 2009, le frein à l’endettement vise à atteindre un budget public à l’équilibre, en restreignant le déficit autorisé à 0,35 % du PIB pour l’État fédéral. 

  • 12

     L’étude d’Agora Energiewende indique que les besoins d’investissements additionnels s’élèvent à 3 % du PIB allemand (afin de passer de 8 à 11 % du PIB), soit environ 120 à 130 milliards d’euros par an. 

  • 13

     Comme le rappelle Phuc-Vinh Nguyen de l’Institut Jacques Delors, la « boussole pour la compétitivité » publiée par la Commission européenne ne comporte aucune mention explicite du Pacte vert, tout en insistant malgré tout sur le besoin d’une feuille de route conjointe pour la décarbonisation et la compétitivité, suivant la recommandation du rapport Draghi. 

  • 14

     Par effet domino, un moindre soutien de l’Allemagne au mécanisme d’ajustement carbone aux frontières – porté historiquement par la France – pourrait générer un moindre portage politique de la France sur l’extension du marché carbone (EU ETS) aux bâtiments et transports, historiquement défendu par l’Allemagne et actuellement sous le feu des critiques dans un nombre croissant d’États membres qui exigent un report, voire un abandon de cet instrument. 

  • 15

     La divergence la plus visible concerne l’interdiction des véhicules thermiques dès 2035, rejetée par la CDU et soutenue par le SPD et les Verts. Des différences apparaissent également sur le recyclage des revenus de l’EU ETS 2.

  • 16

     À titre d’exemple, grâce à la simplification engagée dans les procédures d’autorisation, l’Allemagne a enregistré un niveau record d’autorisations pour de nouveaux projets éoliens terrestres, avec 14 GW de nouvelles autorisations en 2024 et 11 GW validés via les appels d’offres. Mais le rythme d’installations nettes est bien inférieur, avec 3,2 GW en 2024 et autour de 5 GW prévus en 2025. 

  • 17

     Le Pacte pour l’industrie propre (2025), le Plan d’action pour l’énergie abordable (2025), le projet de réforme des lignes directrices aux aides d’État et le Plan d’action pour l’électrification (2026).