Définir et mettre en œuvre les politiques climatiques est une tâche complexe, tant sur le plan technique que politique. La politique climatique doit s’appuyer sur les meilleures données scientifiques disponibles, mais elle doit aussi s’articuler plus largement autour des objectifs et paysages politiques de nombreux secteurs, de l’énergie à l’industrie en passant par l’agriculture. Peut-être plus important encore, compte tenu de l’urgence de réduire efficacement les émissions
, ces politiques ont besoin d’un système de suivi et d’évaluation solide et indépendant tout au long de leur mise en œuvre, afin de comprendre ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Une interface science-politique doit exister au niveau de l’UE, de même qu’il existe une interface science-politique à l’échelle des États membres dans les pays dotés de conseils du climat (comme par exemple le Haut Conseil pour le climat en France et, en dehors de l’UE, le Climate Change Committee au Royaume-Uni). Le besoin d’une évaluation impartiale des politiques, fondée sur une compréhension experte des moteurs de l’action climatique, est au cœur du développement d’organes consultatifs d’experts indépendants sur le changement climatique. Présentés de plus en plus souvent dans la littérature comme un élément clé de cadres de gouvernance climatique « robustes »
, ils constituent également une réalité croissante sur le terrain : 10 pays disposent déjà de conseils scientifiques indépendants sur le climat en Europe, et d’autres sont en cours de création
.
Même s’il s’agit de conseils « scientifiques ou d’experts », leur but n’est ni de produire ni d’examiner les données scientifiques existantes concernant le changement climatique ; ils s’appuient plutôt sur différentes disciplines (par exemple la science de l’atmosphère, la biologie, l’économie ou la sociologie) pour appliquer les meilleures connaissances scientifiques au contexte régional et local afin de nourrir les politiques nationales et d’évaluer si elles répondent efficacement au défi climatique. Ces conseils rassemblent ainsi des experts aux parcours académiques et de recherche différents mais complémentaires, qui sont tous reconnus comme des autorités dans leurs domaines respectifs. La légitimité des conseils nationaux sur le climat dépend de la reconnaissance de cette expertise, mais aussi de l’indépendance de ses membres. L’indépendance institutionnelle est également importante : lorsque ces conseils sont créés en dehors des administrations dont ils doivent évaluer les politiques, au lieu d’être des organes internes, leurs membres sont moins susceptibles de se retrouver confrontés à des conflits d'intérêts et seront donc plus à même d'exprimer librement leurs avis d’experts. Pour devenir opérationnelle, cette indépendance par rapport aux institutions nécessite que des ressources suffisantes soient allouées à un secrétariat dédié.
Ces conseils scientifiques jouent un rôle de surveillance et de conseil dans le processus d’élaboration des politiques, en évaluant la cohérence entre les décisions prises à court terme et les engagements sur le long terme. Leur rôle est très éloigné de l’impulsion politique, souvent apportée par les élus, ou de la capacité d’une administration à mettre en œuvre une politique. Les pays européens ont également mis en place différents types d’organismes dans le domaine du climat, tels que des plateformes consacrées à l’engagement des différents acteurs en matière de changement climatique (par exemple les autorités locales, les entreprises, les organisations de jeunesse ou environnementales), ou à la coordination interministérielle
. Ces organismes ont tous pour objectif de mettre en place une « meilleure » politique climatique, mais ils le font chacun différemment.
Au niveau européen, la Commission est déjà chargée d’évaluer les politiques actuelles et d’en proposer de nouvelles, mais un Conseil sur le changement climatique dédié et indépendant serait en mesure d’évaluer la cohérence et l'alignement des politiques développées par la Commission avec les objectifs de la loi sur le climat
. Il fournirait également des éléments fiables pour alimenter les débats sur les questions relatives à la lutte contre le changement climatique qui ont lieu au Conseil de l’UE ou au Parlement européen. Un tel organisme pourrait donc accroître la responsabilité et la légitimité dans la mise en œuvre de politiques climatiques de plus en plus strictes en vue de la neutralité carbone, et soutenir le travail de la Commission. Aucune des institutions existantes (Commission, Agence européenne pour l’environnement [AEE]) ne dispose du cadre institutionnel approprié pour permettre une évaluation indépendante des politiques. Si l’AEE surveille les politiques des États membres en matière d’émissions et d’atténuation, et bien que la gouvernance de l’Union de l’énergie
ait renforcé les règles de planification, de notification et de suivi de ces politiques, elle n’a pas de mandat pour évaluer les progrès ou faire des recommandations ciblées concernant des actions supplémentaires. 12 organismes consultatifs d'experts de 11 États membres de l'UE, membres du réseau des conseils consultatifs européens pour l'environnement et le développement durable (EEAC), ont publié une lettre adressée aux décideurs politiques de l'UE afin de soutenir un organisme au niveau européen. Si les conditions de réussite sont réunies (indépendance, mandat clair, ressources), le Conseil européen sur le changement climatique proposé compléterait efficacement les organismes nationaux existants et les travaux de l’AEE en se concentrant sur l’élaboration des politiques et les compétences au niveau de l’UE, et soutiendrait l’objectif de construire une Europe neutre pour le climat et résiliente.