La conférence Habitat III et l’adoption du Nouvel Agenda urbain (NUA) fin octobre 2016 à Quito (Équateur) ont peu attiré l’attention politique et médiatique. Passée l’effervescence autour de l’évènement, supposé définir les lignes d’action du développement urbain durable dans le monde pour les 20 ans à venir, la communauté urbaine elle-même en revient hésitante. Entre enthousiasme officiel et résistance sociale, quelles leçons tirer ? Les relatives déceptions et retours mitigés d’Habitat III ouvrent des débats aussi critiques et clivés qu’avant la conférence. Négocié entre les 193 États des Nations unies, le NUA tente d’englober tous les enjeux et toutes les revendications. Mais le manque de priorités opérationnelles laisse les acteurs sur leur faim. Plusieurs rencontres ont eu lieu pour « débriefer » dans différentes arènes. Les interprétations parfois contradictoires du NUA illustrent l’absence de ligne directrice, et donc les marges de manœuvre encore importantes pour défendre des visions et modalités différentes de faire la ville.

  1. Contributions scientifiques

    Présentés à Habitat III, les Quito papers[1] se veulent le fondement théorique du NUA. Ils ambitionnent de remplacer la Charte d’Athènes rédigée en 1933 par Le Corbusier, qui a alimenté une vision moderniste et fonctionnaliste de la ville, et un master planning de type dirigiste. Ils défendent une ville ouverte, où la complexité doit être abordée de manière positive plutôt que simplificatrice. Trois principes fondent cette vision : les espaces publics (porosité) sont à aménager par et pour le public en tant que biens communs, afin que les interactions et opportunités y prolifèrent (synchronicité) ; dès lors, la planification ne doit pas viser à délivrer une ville parfaite, mais à poser les bases pour un développement progressif (incomplétude). Si cette réflexion a alimenté le NUA, son élaboration en coulisses et la publication ex post du document, encore confidentiel, en limitent l’appropriation.
    La portée de discours scientifiques sur le NUA reste par ailleurs timide. Le réseau européen N-Aerus a contribué à un policy paper avec Cities Alliance et à un atelier avec des réseaux africains et latino-américains. Défendant que la recherche ne se limite pas à fournir des données, leurs recommandations visent à interpeller décideurs et praticiens. La prise en compte de l’informalité, l’adaptation locale de la planification et des cadres de gouvernance souples y sont promus. On peine cependant à les retrouver dans le NUA, qui reste concentré sur un urbanisme classique sans questionner les causes de son relatif échec des dernières décennies.

  2. Mouvements sociaux

    Trois forums alternatifs à Habitat III ont rassemblé chercheurs et mouvements sociaux. Ils ont principalement défendu le « droit à la ville »[2]. Admettant que le concept d’un droit diffus et collectif reste – juridiquement – inapplicable, ils l’utilisent comme un slogan mobilisateur pour fédérer contre la « marchandisation urbaine » et pour une ville qui appartienne à ses habitants. La mention de celui-ci dans le NUA reste néanmoins perçue comme une demi-victoire, en raison du flou de sa définition et de la présence conjointe d’autres notions contradictoires telles que compétitivité urbaine ou progressivité des droits. En parallèle du processus Habitat III, des chercheurs, collectivités locales et mouvements sociaux français, organisés autour des réseaux Centre Sud et AITEC, défendent l’approche de villes « progressistes ». Une coalition émerge pour défendre l’inclusion des quartiers précaires et lutter contre la financiarisation du foncier et de l’immobilier au Nord comme au Sud. Ces militants regrettent que le NUA n’aille finalement pas au-delà des propositions d’Habitat I en 1976, voire les dilue dans un discours sur les villes comme moteur de croissance. Ils soulignent également l’inintelligibilité d’un texte diplomatique touffu et regorgeant de contradictions, qui nécessite un travail de clarification pour pouvoir servir de cadre de référence.
  3. Perspective institutionnelle

    Le manque d’engouement politique autour du NUA est indéniable. En sus de la fatigue diplomatique liée aux négociations de 2015, la cristallisation des débats autour du futur d’UN-Habitat – l’agence de l’ONU en charge des questions urbaines – a restreint l’intérêt pour les discussions. Le manque d’articulation entre le NUA et les accords sur les Objectifs de Développement Durable (ODD), le climat et le financement du développement a également isolé Habitat III des autres agendas internationaux, et donc de la mobilisation des autres communautés. Les négociateurs attendaient qu’Habitat III traite de la mise en œuvre locale de l’Agenda 2030 pour le développement durable ; les experts urbains se sont concentrés sur des problématiques techniques spécialisées qui n’ont pas interpellé les politiques ni n’ont explicitement alimenté l’Agenda international. Par ailleurs, les collectivités locales se sont imposées comme des interlocuteurs et partenaires incontournables, proactifs, responsables et en première ligne pour mettre en œuvre le développement durable. La place et le rôle de ces acteurs reste un sujet politique sensible ; et malgré leur puissant plaidoyer, la question n’a pas été frontalement abordée. D’une part, les États résistent à s’engager explicitement pour la décentralisation ; d’autre part, le système onusien lui-même n’offre pas de place aux collectivités locales comme partenaires dans le processus de décision. Cela reste un enjeu politico-institutionnel décisif à tous les niveaux, que le NUA ne permet pas d’initier à l’heure actuelle.
  4. Quelle mise en oeuvre..?

    Dans une logique optimiste, la communauté urbaine défend qu’Habitat III n’était non pas un aboutissement, mais un point de départ. Le texte semble suffisamment large, ou flou, pour que chacun y trouve une faille, une promesse, une piste à suivre pour promouvoir sa vision de la ville. Si le texte du NUA n’offre pas de perspective opérationnelle, c’est désormais aux parties prenantes de faire valoir leurs vues et priorités. Le chantier reste ouvert, et le repositionnement de la communauté urbaine à construire. Les futurs forums urbains[3] pourront là trouver une nouvelle fonction, en étudiant en détail des enjeux thématiques plus spécifiques.
    Si les conférences internationales peuvent consolider une communauté épistémique, fournir des cadres conceptuels et créer des alliances, il est encore tôt pour savoir quelles idées structurantes vont émerger d’Habitat III. Le déplacement du débat urbain au niveau local, par, pour, dans et avec les villes, apparaît toutefois comme une question structurante. Cet enjeu transversal mobilise une myriade d’acteurs avec leurs visions propres et leurs interprétations divergentes. Chacun peut et va sans doute défendre le rôle des collectivités locales avec ses propres moyens d’action : identification de champions, promotion de bonnes pratiques, production de données territorialisées, expérimentations de financement, création de coalitions etc. Le changement de paradigme – qui reste à construire – du NUA, et plus globalement de l’Agenda 2030, semble bien être celui de l’affirmation des villes comme partenaires capables de contribuer au développement durable, et légitimes dans la gouvernance internationale.

[1] Élaborés de manière informelle par J. Clos (UN-Habitat), R. Burdett (LSE), S. Sassen (Columbia University) et R. Sennett (NYU), ils ont été et seront présentés à Quito, Paris, Londres, Beijing et New York, mais n’ont pas encore été publiés. [2] Ce droit est défini comme le droit de tous les habitants présents et futurs d’user, occuper et produire des villes justes, inclusives et durables, définies comme des biens communs essentiels à une vie pleinement décente. [3] Organisés par UN-Habitat depuis 2001, les Forums Urbains Mondiaux rassemblent tous les 2 ans la communauté urbaine internationale et le grand public autour des enjeux urbains internationaux.