Dans quelques jours s’ouvrira la 11e conférence ministérielle de l’OMC (du 11 au 13 décembre à Buenos Aires, Argentine), durant laquelle la communauté internationale discutera des subventions accordées au secteur de la pêche. Mais cette question des subventions nuisibles à l’état des ressources et de la biodiversité peut-elle seulement être traitée à échelle internationale ? Raphaël Billé, coordonnateur du projet RESCCUE[1] à la Communauté du Pacifique (CPS) et chercheur associé à l’Iddri, explique comment un projet de développement peut contribuer à relever les défis liés au verdissement de la fiscalité et des subventions.

En quoi consiste l’initiative sur le « verdissement de la fiscalité et des subventions » menée dans le cadre du projet RESCCUE ?

Raphaël Billé - Le projet RESCCUE vise à accroître la résilience des populations et écosystèmes du Pacifique insulaire face au changement climatique. Il opère en particulier à Fidji, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et au Vanuatu. Entre autres leviers d’action, il s’attache à concevoir et mettre en œuvre des mécanismes de financement dits « innovants », en tous cas générateurs d’incitations économiques ou de marges de manœuvre financières additionnelles pour la protection des écosystèmes.

C’est dans ce cadre que nous nous penchons sur les perspectives offertes par le verdissement de la fiscalité et des subventions, en partenariat avec les gouvernements concernés et une équipe d’experts régionaux et internationaux. Nous avons ainsi conduit une revue régionale des mécanismes fiscaux (y compris les défiscalisations) et des subventions ayant des impacts négatifs sur l’environnement et donc susceptibles d’être réformés, et de ceux ayant au contraire des impacts positifs et méritant d’être renforcés. Cette revue régionale a été mise en débat et enrichie récemment au cours d’une série d’ateliers nationaux à Fidji, en Polynésie française et au Vanuatu. En Nouvelle-Calédonie, une analyse plus poussée est en cours qui inclut la modélisation des impacts socio-économiques et budgétaires de possibles réformes, ce qui est crucial du point de vue de la décision politique. Ce travail sera également discuté avec les acteurs concernés en 2018.

Quels sont les mécanismes concernés ?

Raphaël Billé - La plupart des États et territoires insulaires océaniens (ETIO) sont caractérisés par des populations peu nombreuses et isolées géographiquement, et des économies fragiles. La fiscalité et les subventions y orientent donc très fortement les activités. Des pans entiers des économies insulaires sont ainsi portés à bout de bras par des mécanismes incitatifs sans lesquels les profits ne suffiraient pas au maintien de l’activité. Il en va ainsi par exemple de l’exploitation minière en Nouvelle-Calédonie, où l’exploitation et la transformation du nickel, largement défiscalisées, sont à la fois l’une des principales causes d’érosion de la biodiversité terrestre et l’un des principaux moteurs de l’économie et de l’emploi.

Au Vanuatu, de nombreux équipements de pêche commerciale sont exonérés de taxes afin de soutenir ce secteur, ce qui peut avoir des impacts sur la ressource. Le kérosène y fait également l’objet d’exonérations en soutien à la consommation d’énergie des ménages, tout comme à Fidji où le drainage des zones humides à des fins de développement agricole reste également subventionné. En Polynésie française, on retrouve comme en Nouvelle-Calédonie de nombreuses défiscalisations visant à faciliter le développement touristique et urbain, avec des conséquences très concrètes sur l’artificialisation des sols – en particulier à proximité immédiate de la mer. À l’inverse, tous ces pays et territoires ont également mis en place des mécanismes incitatifs favorables à l’environnement : subventions à l’agriculture biologique en Nouvelle-Calédonie et au déploiement de panneaux solaires individuels au Vanuatu, droits de pêche mais aussi exonérations douanières pour l’importation de véhicules hybrides à Fidji, crédits d’impôt sur les investissements dans la collecte, le tri et le recyclage des déchets ménagers et/ou industriels en Polynésie française, etc.

Une des préoccupations soulevées par les acteurs lors de nos ateliers nationaux est que certains de ces mécanismes incitatifs supposés vertueux ont en réalité un bilan écologique soit mitigé, en fonction des paramètres environnementaux considérés, soit fortement dépendant du contexte local. Ainsi par exemple les panneaux photovoltaïques ou les batteries de véhicules électriques/hybrides, une fois hors d’usage, posent des problèmes aigus de collecte et de traitement pour la plupart des îles du Pacifique.  

Quel accueil les États et territoires insulaires du Pacifique réservent-ils à cette initiative ? Y a-t-il une soif de réforme en la matière ?

Raphaël Billé - On nous promettait l’enfer quand nous avons commencé cette initiative ! En réalité, le sujet est plus mûr qu’on ne le croit et il ne faut pas sur-anticiper la réticence des acteurs, publics ou privés, à le mettre en discussion. C’est bien sûr éminemment politique : chaque mécanisme fiscal et chaque subvention dommageables bénéficient à un groupe d’acteurs qui sont susceptibles de pâtir directement de leur éventuelle réforme. Il n’y a donc pas ou peu de mesures faciles, à faible coût politique, en la matière. C’est pour cela que les progrès sont lents au niveau international et le Pacifique n’y fait pas exception. Cela dit, plusieurs leviers ont été identifiés, issus de l’expérience internationale. J’en citerai deux en particulier :

  • envisager des mesures de compensation des effets redistributifs des réformes très en amont : ainsi par exemple, la Convention sur la diversité biologique cite le cas du Ghana, qui a éliminé les subventions au carburant en 2005. La mesure risquant de nuire en premier lieu aux plus démunis, le gouvernement a du même coup supprimé les frais de scolarité et développé les transports publics, grâce aux moyens rendus disponibles par la suppression des subventions au carburant ;
     
  • cibler en particulier les mécanismes fiscaux et de subvention qui non seulement ont des impacts négatifs sur l’environnement, mais qui s’écartent également de leurs objectifs socioéconomiques initiaux, par exemple en creusant les inégalités au profit d’une minorité aisée, ou en ne générant pas les emplois promis au moment de leur mise en place. Ce sont les mécanismes les moins défendables politiquement, et ils sont nombreux.

En prenant ce type de précautions stratégiques plutôt que d’entrer en « croisade » indistinctement et sans contrepartie contre toutes les incitations économiques dommageables, le sujet est loin d’effrayer nos partenaires du Pacifique. Les consultations que nous avons menées ont montré qu’il générait un grand intérêt, y compris politique. L’approche régionale et technique du projet RESCCUE contribue également à dédramatiser les débats en permettant un renforcement des capacités dans cette matière souvent perçue comme absconse. Reste bien sûr à transformer l’analyse en mesures concrètes, ce que seuls des gouvernements résolus poussés par des sociétés civiles dynamiques peuvent réaliser. Certains des États et territoires avec lesquels nous travaillons nous ont déjà demandé de les accompagner plus avant sur la voie de la mise en œuvre.  

[1] Restauration des services écosystémiques et adaptation au changement climatique, financé par l’Agence française de développement et le Fonds français pour l’environnement mondial sur une période de cinq ans (2014-2018).