Sur la route de la 15e Conférence des Parties de la Convention sur la diversité biologique (COP 15 de la CDB), dont la nouvelle date (11-24 octobre 2021) vient d’être annoncée, le développement d’un nouveau mécanisme de transparence constitue un enjeu crucial pour crédibiliser et renforcer les politiques de biodiversité. C’est l’un des éléments clés, et une innovation majeure, attendue pour la COP 15. La crise de la Covid-19 a heurté le processus de préparation de la COP 15 exactement au moment où les discussions internationales se précisaient sur ce sujet crucial. Alors que ce travail d’élaboration reprendra en ligne à partir de début mai, il est important de saisir que, loin de se cantonner à un sujet technique, ce mécanisme de transparence doit être vu comme un élément fondamental pour inventer une nouvelle géopolitique de l’effort pour la biodiversité, qui concernera à la fois les États et les autres acteurs de la société.
Une meilleure transparence pour une coopération renforcée pour la biodiversité
Le multilatéralisme, y compris en matière d’environnement, est depuis déjà un certain temps marqué par une tendance lourde : dans un monde multipolaire, où l’autorité de blocs hégémoniques est de plus en plus contestée, et où les États sont de plus en plus réfractaires à accepter la légitimité d’objectifs internationaux dès qu’ils sont perçus comme imposés et trop contraignants, il est de plus en plus nécessaire de revenir aux bases du multilatéralisme et de comprendre que les instruments internationaux doivent avant tout aider à renforcer la coopération pour une meilleure avancée collective vers l’atteinte d’objectifs communs. Si ce qui peut être perçu comme de l’ingérence dans l’établissement d’objectifs est de plus en plus difficilement toléré, le renforcement des dispositifs de suivi des efforts de mise en œuvre des décisions collectives devient alors d’autant plus nécessaire. L’Accord de Paris sur le climat, en ce sens, peut être vu comme le reflet de son époque : une combinaison de logique descendante (un accord sur de grands objectifs de résultats qui engagent tous ses signataires), de logique ascendante (liberté à chacun de fixer comment il souhaite contribuer aux efforts) et de dispositions pour organiser un cycle politique régulier visant à évaluer collectivement la somme des efforts requis et réalisés et, notamment via des effets de pression par les pairs mais aussi de la part de la société civile, à encourager une réévaluation des efforts individuels des États.
Des parallèles, plus ou moins heureux, entre l’Accord de Paris et ce que l’on pouvait attendre de la COP 15 ont souvent été opérés ces dernières années. Mais ce n’est pas uniquement par une volonté d’émulation de la COP 21 que ces sujets sont également au cœur des discussions pour la COP 15 biodiversité. C’est également parce que la gouvernance de la biodiversité doit elle aussi se renouveler pour repenser son efficacité dans le contexte contemporain. Et c’est, surtout, parce que le suivi de la mise en œuvre des engagements pris à la CDB, et les discussions politiques nécessaires qui l’entourent, ont cruellement fait défaut ces dernières décennies.
C’est ce qui est en jeu dans le mécanisme de transparence en cours d’élaboration. Dans le pré-projet du Cadre mondial sur la biodiversité pour l’après-2020, il est question de transparence et de responsabilité. La responsabilité a été préférée au terme de redevabilité, et il est intéressant d’explorer trois sens que celle-ci peut revêtir et qui peuvent permettre de saisir les enjeux qu’elle recouvre.
- La responsabilité peut d’abord être entendue comme une responsabilité collective : la gouvernance de la biodiversité a besoin d’un meilleur suivi collectif, plus régulier, pour qu’elle soit plus crédible. Le constat est qu’il n’est plus possible de se donner rendez-vous tous les dix ans pour de nouveau constater l’échec.
- La responsabilité peut ensuite être entendue comme responsabilisation individuelle : jusqu’à présent, il y avait très peu de conséquences, même en termes de risque d’image, à faire ou ne pas faire les efforts que l’on s’était engagé à entreprendre au niveau national. S’il s’agit de faire sa part pour atteindre des objectifs mondiaux, un examen plus régulier des actions entreprises (ou non) au niveau national, et les leçons à en tirer, doit permettre de renforcer la pression par les pairs et de la part de la société civile pour faire mieux.
- C’est là où la troisième dimension de la responsabilité est fondamentale : on peut aussi l’entendre comme une responsabilité mutuelle, un principe de solidarité. Les profonds changements de société nécessaires pour freiner l’érosion de la biodiversité demanderont de toute façon de favoriser la coopération : l’apprentissage collectif par le partage d’expériences, une meilleure identification des besoins en termes de capacités et de moyens, ou encore la création de coalitions renforcées autour de certains sujets qui demanderont de toutes façons des dynamiques collectives importantes entre de nombreux États et d’autres acteurs pour avancer (pensons par exemple au commerce international).
Créer des chaînes de redevabilité et résoudre le dilemme de responsabilité de la biodiversité
C’est cette géopolitique de l’effort pour la biodiversité, dans tout ce qu’elle recouvre de mécanismes d’émulation, de compétition et de coopération, dont il faut poser les nouvelles bases cette année. Il reste encore beaucoup de travail d’ici à la COP 15, mais il y a déjà beaucoup d’éléments à partir desquels travailler. Dans l’ensemble, il va d’abord s’agir de renforcer les documents nationaux de planification (en particulier les stratégies et plans d’action nationaux pour la diversité biologique, SPANB) qui reflètent la manière dont les États traduisent et contribuent à leur niveau à l’atteinte des objectifs mondiaux, et les modalités de rapportage pour faciliter la réalisation de bilans individuels et mondiaux. La périodicité et la manière de réaliser ces bilans reste à définir, tout comme ce qu’il en sera tiré comme conséquence. Un mécanisme d’ambition, visant à tirer à la hausse les ambitions des pays sur leurs engagements et/ou les moyens de mise en œuvre, peut être envisagé. Mais il est également tout à fait possible, techniquement, d’envisager des procédures de non-respect, voire un pouvoir d’enquête. Il faut considérer ces derniers points à l’aune de ce que nous évoquions précédemment : ne pas y voir des sanctions, mais plutôt des dispositions permettant de renforcer la coopération et l’assistance mutuelle. Du point de vue de la responsabilité collective, cela permettrait déjà d’envoyer un fort signal politique soulignant qu’à présent, sur la biodiversité, il ne sera plus possible de ne pas entreprendre les efforts annoncés sans avoir à rendre des comptes.
L’Iddri publiera, le 15 avril, une étude synthétisant un ensemble de propositions sur les aspects opérationnels et légaux d’un tel mécanisme. Nonobstant les considérations techniques, trois points semblent essentiels à souligner, à ce stade, sur les effets politiques que l’on pourrait idéalement attendre d’un tel mécanisme.
- Tout d’abord, il est essentiel que le mécanisme de transparence crée un « effet rendez-vous » politique : il y a là une question clé de séquence politique, de rythmique, de mise en scène. Ces moments de redevabilité collective doivent compter et avoir des conséquences ; au niveau international tout d’abord, mais aussi pour créer ces effets d’agenda au niveau national.
- Ensuite, il faut que ce mécanisme permette de contribuer à résoudre ce que l’on appelle le « dilemme de responsabilité » de la biodiversité. Les acteurs qui portent la redevabilité sur l’état de la biodiversité, en général les autorités environnementales des États (ou les directions concernées dans les entreprises, par exemple), ne sont pas ceux qui ont le plus de responsabilité quant à la situation de la biodiversité, dans le sens où ils n’ont en général pas en main les principaux leviers de dégradation comme de changement, qui se trouvent au sein d’autres secteurs (les politiques agricoles, les politiques de pêche, les politiques d’aménagement, par exemple). Les acteurs les plus responsables, quant à eux, sont peu tenus redevables. Il est donc nécessaire de mettre beaucoup plus au cœur des discussions de transparence les dynamiques de transformations sectorielles, les avancées accomplies mais aussi les inerties constatées, et donc aussi les acteurs et institutions concernés. À défaut de quoi, la mesure des progrès réalisés et des difficultés rencontrées manquera de fait une grande partie des questions clés sur lesquelles avancer pour atteindre les futurs objectifs pour la biodiversité. On touche, ici, à un lien fondamental entre le mécanisme de transparence et le dossier du mainstreaming (« intégration ») de la biodiversité dans les autres secteurs.
- Ceci nous amène au dernier point. C’est un ensemble de chaînes de redevabilité qu’il faut pouvoir mettre en place. Comme évoqué précédemment, le mécanisme international de transparence doit favoriser des dynamiques nationales, mais il doit aussi pouvoir embarquer les acteurs non-étatiques dans cette dynamique. D’importants efforts sont en cours pour développer des outils permettant aux villes, aux investisseurs, aux entreprises, à la société civile, voire aux individus, de mieux mesurer leur empreinte sur, et leur dépendance à, la biodiversité1 . D’autres développements vont bientôt permettre de connecter des actions prises au niveau d’un pays, d’un territoire ou d’une organisation, à l’effort de réduction des pressions pesant sur la biodiversité (la métrique STAR, pour Species Threat Abatment and Restoration, en est un exemple prometteur selon nous). Un enjeu clé, ces prochaines années, va être de pouvoir connecter la mesure de ces efforts à la discussion sur l’atteinte des objectifs mondiaux que doit précisément permettre le nouveau cadre de transparence pour la biodiversité. Pour la suite de 2021, et à la COP 15, c’est l’élaboration de cette cruciale architecture d’ensemble qui est en jeu.
Crédits photo : Marcel Jouve
- 1Voir par exemple le travail d’élaboration des science-based targets pour la biodiversité ou encore le Global Biodiversity Score.