La Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) a publié ses premières évaluations en 2016, et finalise actuellement pas moins de cinq évaluations qui seront soumise à l’approbation des États en 2018. Malgré cet important travail, l’IPBES ne bénéficie pas encore d’un soutien à la hauteur de la mission que lui ont confiée les gouvernements. Il est ainsi urgent de trouver les moyens pour soutenir les activités de la plateforme, pour qu’elle puisse mener à bien ses travaux, mais aussi pour dissiper certaines tensions politiques contre-productives entre les États.
Jeune institution diplomatique et scientifique, l’IPBES (Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques) est un outil indispensable pour synthétiser les travaux en cours sur les causes et les conséquences des atteintes actuelles à la biodiversité, mais aussi sur les réponses, notamment en termes de politiques publiques, qui peuvent être apportées pour freiner l’érosion de la biodiversité et mieux l’intégrer dans les stratégies socio-économiques. Similairement au Giec, l’IPBES mobilise actuellement des milliers d’experts dans le monde pour produire des évaluations à grande échelle, du continent à l’ensemble de la planète, qui ont vocation à être adoptées par les gouvernements et alimenter les processus politiques nationaux et internationaux.
La dernière réunion annuelle de l’IPBES, qui a rassemblé les 126 États membres à Bonn, en mars 2017, a été riche en émotions. Si des avancées notables sont à noter sur certains dossiers, le budget de la plateforme a fait l’objet de discussions très tendues, au point où la semaine aurait pu s’achever sur une catastrophe. Ce problème est récurrent depuis la création de l’IPBES, car elle souffre d’un problème budgétaire systémique : seule une vingtaine d’États, essentiellement des pays développés, contribue à son budget. Ceci conduit notamment à trois problèmes majeurs dans le fonctionnement de la plateforme.
Le budget, un problème systémique à l’origine de nombreuses tensions
Premièrement, le faible soutien financier à l’IPBES conduit nécessairement à d’importantes difficultés dans la réalisation de son programme de travail 2014-2018. Pas moins de trois évaluations des connaissances sont en attente, sur des dossiers pourtant cruciaux pour la biodiversité mondiale, comme les espèces envahissantes ou la manière de lutter contre les usages non durables de la biodiversité (comme le braconnage qui décime éléphants, rhinocéros, pangolins et tant d’autres). Or, l’ensemble du programme de travail en cours a été collectivement discuté, planifié et finalement adopté à l’unanimité des États en décembre 2013. Personne n’a donc été pris par surprise ; mais les contributions budgétaires n’ont pas été à la hauteur des moyens nécessaires (et connus).
Deuxièmement, cette situation conduit à des crispations et à un climat de méfiance entre pays donateurs et non donateurs. Les premiers, qui manifestent de plus en plus ouvertement leur insatisfaction de devoir porter seuls les efforts budgétaires, sont constamment soupçonnés de vouloir réduire à la baisse les ambitions de la plateforme. Les seconds, dont d’importants pays émergents, sont souvent accusés d’être déraisonnables dans leurs attentes, voire d’avoir provoqué une inflation du programme de travail de l’IPBES. En conséquence, des considérations liées au budget n’ont de cesse de polluer les autres points de discussion, ce qui ne favorise pas un climat propice aux débats constructifs.
Enfin, ce déséquilibre rend la plateforme vulnérable aux positions de négociation à même de la déstabiliser. Cette année, la délégation américaine, qui a explicitement cité l’administration Trump dans ses argumentaires, a formulé des positions extrêmement dures et a mis sur la table des propositions qui auraient conduit à paralyser l’IPBES l’an prochain et, nous le pensons, auraient pu mettre en danger son existence à moyen terme. Compte tenu de l’expérience des années précédentes, les autres délégations étaient quant à elles arrivées avec des consignes relativement claires : pour les donateurs, envoyer des signaux d’austérité pour signifier qu’ils n’augmenteraient pas unilatéralement leurs efforts ; pour une partie des pays non donateurs, défendre une position où seuls les pays développés participent au budget. C’est donc en toute logique, dans ce climat tendu, que relativement peu de protestations ont pu être exprimées face aux propositions américaines : les uns et les autres étaient, en quelque sorte, pris au piège des positions qu’ils n’avaient eu de cesse de défendre. Ce n’est que grâce au travail des responsables de l’IPBES (bureau et secrétariat) qu’un budget, que l’on peut qualifier de survie, a pu être voté pour l’an prochain, et les discussions de mars 2018 s’annoncent d’ores et déjà difficiles.
On ne peut se satisfaire de cette situation. Il faut tout d’abord rappeler que si les scientifiques et diplomates qui ont élaboré et adopté le programme de travail actuel de l’IPBES l’ont voulu ambitieux, c’est que la biodiversité va très mal. Les populations d’un grand nombre d’espèces sont en déclin et les taux actuels d’extinction d’espèces sont estimés à jusque 1 000 fois ce qu’ils ont été en moyenne au cours des temps géologiques. On ne mesure même pas tous les symptômes, et on ignore bien des conséquences, écologiques comme socioéconomiques, de ce qu’un nombre croissant d’auteurs nomme la « sixième extinction de masse ».
Renforcer la mobilisation pour l’IPBES et la biodiversité
Ce manque de soutien à l’IPBES est à l’image des faibles moyens budgétaires pour les politiques de biodiversité. Selon les sources et les méthodes utilisées, certaines estimations budgétaires aboutissent à un rapport de un à vingt entre les 20 milliards de dollars effectivement dépensés pour mettre en œuvre les objectifs mondiaux et des besoins de 450 milliards ; d’autres parviennent à un rapport de un à trois entre 50 milliards de dépenses pour 150 milliards de besoins. En ce qui concerne l’IPBES, les ordres de grandeur sont bien moindres. L’ensemble du budget nécessaire pour couvrir ses activités 2012-2020 est d’environ 50 millions d’euros, et il ne manque que 3 millions d’euros pour couvrir la plupart des besoins pour 2018. À titre de comparaison, les coûts d’organisation d’un seul sommet du G8 ou du G20 sont estimés à plusieurs dizaines, voire centaines de millions d’euros... Les sommes consacrées à la recherche de traces de vie dans l’espace se chiffrent quant à elles en milliards d’euros (1,3 milliards d’euros pour la contribution européenne à Exomars), alors même que les scientifiques n’ont pas les moyens de décrire l’ensemble des formes de vie présentes sur terre !
Il faut que plus de pays contribuent, chacun à la mesure de ses moyens, à soutenir l’IPBES. Les multiples acteurs travaillant sur les questions de biodiversité doivent se mobiliser, en prenant par exemple contact avec leur point focal national IPBES, pour identifier ce qu’ils peuvent faire et comment ils peuvent contribuer à une dynamique renouvelée pour l’IPBES.