Après quatre années de détricotage systématique des politiques climatiques américaines, l’arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche devrait offrir un nouveau souffle à l’action climatique, tant aux États-Unis que pour le reste de la communauté internationale. Le sujet a tenu une place de choix durant la campagne, notamment au cours des primaires démocrates, permettant à Joe Biden d’étoffer sa plateforme afin de rassembler son parti. Ambitieux, puisqu’il propose de rétablir les législations de l’ère Obama, d’atteindre la neutralité carbone à 2050 et la neutralité électrique dès 2035, son programme est nécessaire pour rattraper le retard et ramener l’Amérique sur une trajectoire compatible avec +2°C. Mais il sera difficile à mettre en œuvre du fait des contraintes politiques qui réduisent les marges de manœuvre du nouveau Président.

Tout est en place pour un retour américain sur le front de la lutte contre le changement climatique. Joe Biden avait annoncé durant sa campagne que le climat serait un des fils rouges de sa politique étrangère et qu’il réintègrerait l’Accord de Paris dès son premier jour en fonction. Symbole fort, c’est l’objet de son premier tweet au lendemain des élections, ce 4 novembre, date de la sortie officielle des États-Unis de l’Accord. Ce volontarisme international est le pendant d’une ambition manifeste pour son pays. Après une campagne des primaires démocrates où les prétendants ont redoublé d’ambition climatique dans leur programme, Joe Biden, plutôt modéré et peu connu pour sa ferveur écologique, a pourtant su rassembler derrière lui l’ensemble des forces progressistes, en particulier celles qui avaient milité pour un Green New Deal. La nomination de Ron Klain cette semaine en tant que directeur de cabinet du Président-élu a soulevé l’enthousiasme dans le camp progressiste : la sénatrice Elizabeth Warren a vanté le choix de celui qui était le favori des militants, comme le montre un sondage réalisé par Data for Progress, un des think tanks derrière le Green New Deal. Collaborateur du Vice-président Al Gore, puis du sénateur Ed Markey1 , son choix confirme l’intention des Démocrates et de leur nouveau Président-élu d’intégrer la lutte contre le changement climatique de façon transversale à l’ensemble des politiques fédérales. Au-delà des questions énergétiques ou de protection de l’environnement, la nouvelle administration entend intégrer davantage les considérations climatiques au sein d’autres ministères tels que l’agriculture, l’économie, la ville et le logement, afin d’agir aussi vite et efficacement que possible. C’est dans ce sens qu’il devrait créer un poste dédié au climat, au plus haut niveau de la Maison Blanche, bénéficiant d’une vision panoramique pour assurer un pilotage cohérent2

Au-delà du ralliement de l’aile progressiste, la vision que propose Joe Biden à travers l’innovation, l’emploi, la croissance économique et la modernisation des infrastructures est susceptible de séduire des Démocrates plus modérés qui devront à nouveau batailler en terre républicaine dans deux ou quatre ans. Car malgré la forte polarisation du Congrès, l’opinion publique évolue vite et les Démocrates espèrent attirer de jeunes conservateurs sensibles à la crise climatique et déçus de l’absence d’offre républicaine en la matière. Le soir de l’élection, Fox News révélait dans un sondage de sortie des urnes que 70% des Américains seraient favorables à davantage de financements fédéraux pour les énergies renouvelables. Une récente étude du Pew Research Center montre qu’une majorité de sympathisants républicains sont favorables à des restrictions d’émissions plus drastiques, pour les véhicules comme pour les centrales électriques, et seraient prêts à taxer les émissions des entreprises. 

Enfin, l’Administration Biden pourra s’appuyer sur les coalitions d’acteurs américains, comme la US Climate Alliance, qui regroupe la moitié des États fédérés, 55% de la population et de la richesse nationale, et ainsi récolter les fruits de ces quatre dernières années d’efforts, d’expérimentation, de règlementations, d’avancées. La Californie a ainsi décidé en septembre d’interdire la commercialisation de véhicules diesel ou à essence dès 2035. Un standard qui devrait faire tache d’huile dans d’autres États et achever de convaincre les constructeurs automobiles américains d’accélérer leur conversion vers les véhicules électriques. L’initiative America’s Pledge, qui mesure l’impact de ces actions décentralisées menées par entreprises et territoires, estime qu’en collaborant avec la puissance fédérale, les réductions d’émissions pourraient atteindre 45% à 50% en 2030 par rapport à 20053

Transformer le pays nécessite d’en avoir les moyens et le volontarisme affiché devra s’affranchir de contraintes politiques fortes. Même si les Démocrates crient haut et fort que leur mandat sur le climat est clair et sans équivoque, leur tâche sera ardue. Et le contexte peu favorable : Joe Biden sera le premier Président démocrate élu depuis le XIXe siècle à ne pas disposer d’une majorité parlementaire lors de sa prise de fonction. En effet, non seulement la majorité démocrate à la Chambre des Représentants s’est réduite, mais les Républicains devraient conserver le Sénat4 . Il faudra donc choisir parmi les nombreuses priorités démocrates. L’action climatique risquerait ainsi de souffrir d’arbitrages défavorables en temps de de crise sanitaire et économique. Il sera bien difficile, dans ce contexte, de s’attaquer au gaz de schiste, sujet sur lequel le candidat démocrate est resté très prudent pendant la campagne.

Par ailleurs, l’administration sortante laisse un paysage institutionnel désolé : elle a affaibli l’ensemble des agences gouvernementales censées réguler le climat5  en y fermant des bureaux, réduisant les budgets et effectifs, ou ne remplaçant pas les postes vacants. Réparer les dommages environnementaux survenus ces dernières années suppose donc de reconstruire les capacités d’action fédérales, afin de préparer le prochain plan climat américain qui permettra de conduire la transition aux États-Unis et d’atteindre la neutralité carbone envisagée à 2050. Comme Barack Obama, Joe Biden disposera d’instruments règlementaires tels que les décrets présidentiels lui permettant de limiter les émissions de gaz à effet de serre des véhicules, des centrales électriques ou la production d’hydrocarbures. On a pourtant vu les limites de ces dispositions lors de la précédente alternance puisqu’il n’a fallu qu’un trait de crayon au Président Trump pour revenir sur les avancées gagnées de haute lutte par son prédécesseur. D’autant que le changement de visage de la Cour suprême, plus conservatrice, ne va pas faciliter les prérogatives du pouvoir fédéral et de ses agences gouvernementales face à celui des États fédérés.  

Contraint dans ses options nationales, le nouveau Président pourrait, comme nombre de ses prédécesseurs, choisir d’investir son énergie et d’engager son leadership sur la scène internationale. Ce serait une excellente nouvelle pour l’Accord de Paris, puisque la première économie manque cruellement pour régler collectivement un problème commun. Cinq ans après la COP 21, alors que le moment est venu pour tous les pays de rehausser leur ambition, l’Accord de Paris pourrait bénéficier d’un second souffle. Les récentes annonces de la Chine, du Japon et de la Corée du Sud, qui prennent des engagements pour la neutralité carbone, un an après la main tendue par l’Europe avec son Pacte Vert, montrent que la dynamique politique de l’Accord fonctionne, même sans les Etats-Unis, mais les progrès se concrétiseront plus efficacement, et peuvent laisser espérer un élan irrémédiable positif en embarquant le second émetteur de la planète. Néanmoins les attentes sont fortes, et il ne suffira pas de déclarer « America is back » pour satisfaire ses partenaires multilatéraux. Après les atermoiements et volte-face des deux dernières décennies, les États-Unis devront donner des gages. D’abord, à court-terme, il leur faudra mobiliser des financements pour appuyer les pays en développement et notamment les plus vulnérables dans leur transition, pour s’acquitter de leurs arriérés de paiement6  et endosser leur part de responsabilité7 . Il leur faudra ensuite présenter des plans climats solides et durables susceptibles de survivre à un nouveau retournement de majorité dans le pays. Le Sénat joue un rôle crucial dans ces deux domaines et risque de limiter les prétentions du nouveau locataire de la Maison Blanche. 

Pour faire face à ces enjeux domestiques et internationaux, la future administration, mobilisée face à l’urgence climatique, s’est préparée à un scenario institutionnel sous contrainte, et devra montrer sa capacité à engager des politiques permettant de dépasser les clivages bipartisans.

  • 1Parrain du Green New Deal, le sénateur Markey était également l’un des concepteurs de la législation avortée visant à établir un système de plafond et d’échanges d’émissions de CO2 en 2009 au début du mandat du Président Obama.
  • 2https://www.washingtonpost.com/climate-environment/2020/11/11/biden-climate-change/
  • 3Pour mémoire, l’engagement américain actuel pour 2025 est une réduction de 26 à 28%, par rapport à 2005. La réalité est plus proche des 20%.
  • 4Le parti Républicain dispose actuellement d’une majorité (50-48). Les deux derniers sièges sont encore en jeu en Géorgie et seront déterminés lors d’un second tour le 5 janvier 2021. Il est fort peu probable que les Démocrates puissent remporter les deux sièges.
  • 5L’Agence de protection de l’environnement (EPA), le Département de l’énergie (DOE), le Département d’État (DOS), le Département de l’Intérieur (DOI – en charge de la gestion des ressources naturelles et des espaces protégés).
  • 6Lors de la capitalisation initiale du Fonds Vert pour le Climat, en 2015, le Président Obama avait promis $3Mds. Un seul a été versé avant que son successeur ne dénonce cette politique et s’oppose aux versements supplémentaires. $2Mds sont donc nécessaires pour tenir l’engagement initial.
  • 7Le Fonds Vert pour le Climat a été recapitalisé en 2019. Les principaux contributeurs comme la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni et la Norvège ont doublé leurs contributions. Ainsi pour s’aligner avec les efforts de leurs principaux partenaires, les États-Unis devraient doubler leur promesse initiale et abonder de $6Mds lors du second cycle.