Nouvelle route soie Chine

Le Sénat français vient de publier un rapport évaluant le cadre économique et géopolitique de l’Initiative chinoise des Nouvelles Routes de la Soie – Belt and Road Initiative (BRI). Le rapport encourage la poursuite de la participation à la BRI, mais souligne également le besoin de transparence et de réciprocité, plaidant pour que les pays concernés en bénéficient pleinement et pour une prévention du surendettement. Le discours du Premier ministre français lors de sa visite officielle en Chine en juin est allé dans le même sens. Il est intéressant de noter que tous deux ont souligné le rôle de la coopération avec les pays tiers, un mécanisme officiel mis en place en 2016 entre la France et la Chine.

Ce billet soutient que la coopération avec les pays tiers peut être un moyen efficace de tirer parti de la BRI pour contribuer à atteindre les objectifs de l’Accord de Paris sur le climat et ceux de l’Agenda 2030 pour le développement durable. Cela pourrait également représenter un choix tactique permettant à la France et à l’Europe d’approfondir le dialogue avec la Chine en matière de financement international durable. La France pourrait envisager de prendre les devants sur cette question en Europe.

Des inquiétudes communes vis-à-vis de la BRI

Les différents scénarios développés au sujet de la BRI peuvent être positifs ou alarmants. D’un point de vue géopolitique, un scénario positif pourrait être celui d’une stabilisation de la région, favorisée par le développement économique. Le président chinois Xi Jinping a annoncé qu’il souhaitait que la BRI permette de construire une « communauté de destin pour l'humanité », proposant une version chinoise de la paix et du développement mondial. Présentée comme inclusive et ouverte, la BRI est cependant parfois considérée comme trop large et imprécise, son articulation avec les principaux agendas mondiaux restant flous. En outre, le « Programme 16+1 », qui vise à renforcer la coopération bilatérale de la Chine avec les pays d’Europe centrale et orientale, est un sujet très préoccupant pour l’Union européenne.

 

Pour ce qui est des enjeux économiques, le Center for Strategic and International Studies (CSIS) a présenté son analyse « China’s Belt and Road Initiative: Five Years Later » avant la réunion de la Commission d’examen économique et de sécurité des États-Unis. Cette analyse expose les principales failles de l’initiative, à savoir le manque de transparence et les obstacles à la participation des entreprises étrangères, mais aussi ses impacts sur le développement durable, les pays récipiendaires, le surendettement et les déficits commerciaux. Ainsi le caractère « gagnant-gagnant » de la BRI n’est-il pas encore reconnu à l’échelle mondiale.

 

Augmenter la participation des entreprises étrangères dans les projets de la BRI

En se fondant sur sa base de données Reconnecting Asia, l’analyse du CSIS révèle que 89 % des entreprises engagées dans des projets financés par la Chine sont chinoises, contre seulement 29 % des entreprises engagées dans des projets financés par des banques multilatérales de développement.

D’un point de vue commercial, ce phénomène n’est pas surprenant car les entreprises chinoises possèdent généralement les connaissances, les réseaux et parfois les avantages institutionnels nécessaires pour accéder aux fonds souverains et commerciaux chinois (il est certain qu’il est généralement plus facile pour les entreprises publiques chinoises d’accéder aux fonds que pour les entreprises privées).

Les conséquences de cette situation sont importantes en ce qui concerne la BRI. Compte tenu du poids financier considérable du projet, la Chine ne pourra réaliser les objectifs de la BRI avec seulement ses propres fonds (ce n’est d’ailleurs pas son objectif annoncé). La participation du secteur public et, plus important encore, du secteur privé est essentielle pour aboutir à des résultats véritablement bénéfiques pour la Chine et les autres pays, les secteurs public et privé, ainsi que pour le développement et l’environnement. Cela nécessite une parité raisonnable entre les entreprises chinoises et étrangères en matière de participation aux projets conjoints.

Selon le rapport du CSIS, la participation des entreprises étrangères aux projets de la BRI serait facilitée par l’existence de projets clairs en préparation, pouvant garantir la transparence et la faisabilité de projets conjoints.

Le Silk Road Fund, fonds souverain chinois créé fin 2014 et visant à soutenir les investissements sous forme de projets solvables dans le cadre de la BRI, a initialement été doté de 40 milliards de dollars. En 2017, le Fonds a créé une plateforme de co-investissement dans les infrastructures énergétiques avec GE Energy Financial Services, une filiale de General Electric, avec pour objectif d’investir au niveau mondial dans les domaines de l’énergie, du pétrole et du gaz ainsi que des énergies renouvelables. Le Fonds a également signé un protocole d’entente avec le Fonds européen d’investissement (FEI) définissant une nouvelle coopération stratégique visant à favoriser les investissements en fonds propres. Selon le FEI, le fonds commun devrait s’élever à 500 millions d’euros et vise à soutenir l’investissement transformationnel en faveur du développement durable. En plus de la coopération entre le FEI et le Silk Road Fund, l’Allemagne a établi avec la Chine un centre conjoint sur le développement durable en 2017, en vue de promouvoir les investissements en Afrique.

 

Pourquoi la France devrait être en pointe sur la coopération avec les pays tiers 

 

Comparée à ces deux mécanismes, la coopération franco-chinoise avec les pays tiers est plus systématique, concrète et opérationnelle, que ce soit au niveau politique, administratif ou exécutif. Le sujet a été abordé dès 2015 par le Premier ministre chinois Li Keqiang, ce qui s’est rapidement traduit par des mesures après le quatrième Dialogue économique et financier de haut niveau franco-chinois en 2016, marqué par la création d’un fonds commun de 300 millions d’euros (pouvant s’élever jusqu’à 2 milliards d’euros) et d’un comité mixte présidé par des hauts fonctionnaires. Ce mécanisme de coopération avec les pays tiers peut fournir un soutien financier supplémentaire et aider les entreprises de l’UE à participer à des projets financés par des institutions chinoises dans le cadre de la BRI. Avec les projets existants et en cours, cela peut donner à la France un avantage en termes d’expérience avec la Chine dans ce domaine.

Le mécanisme de coopération avec les pays tiers offre la possibilité de développer en commun des normes d’investissement respectueuses du climat, basés sur des projets spécifiques, et peut devenir un moyen pour la France et l’Europe de développer une BRI qui soit compatible avec les programmes de développement durable, ou qui y contribue même activement.

Les exemples concrets (et financièrement rentables) de coopération franco-chinoise avec les pays tiers ont jusqu’ici été initiés uniquement à des fins commerciales, notamment : le projet de barrage et de traitement des eaux de SUEZ-China Machinery and Engineering Corporation dans la rivière Sanaga (Cameroun) ; l’investissement conjoint de Bolloré et China Harbour Engineering Corporation dans le port de Kribi (Cameroun) ; ou encore le partenariat NOX-China Railway Construction Corporation sur la O Tower à Rabat (Maroc). La liste de projets envisageables de coopération avec les pays tiers proposée par le Premier ministre français à la Chine est sans aucun doute un bon point de départ pour que l’UE accélère la participation des entreprises des pays membres aux projets de la BRI, et pourrait également ouvrir la voie pour une sélection de projets orientés vers la réalisation des ODD.

Le Président français Emmanuel Macron a exprimé sa volonté d’effectuer des visites annuelles en Chine. Parallèlement, la visite officielle du Premier ministre en Chine a assuré de nouvelles mesures concrètes et prometteuses pour accélérer les projets conjoints (avec les pays tiers) dans le cadre de la BRI. La France doit continuer à faire de cette coopération un mécanisme et un outil européen de travail avec la Chine sur les questions de la BRI.

 

Photo © Nicolas Sridi