La COP 16 s’est finalisée à Rome fin février, après des mois d’ajournement à la suite de l’interruption des négociations à Cali, pour adopter plusieurs décisions phares sur la mise en œuvre du cadre mondial de Kunming-Montréal (GBF). Obtenir un accord sur le financement de la biodiversité relevait du défi, tant ce sujet cristallise les tensions. Pourtant, les négociations ont abouti à un compromis structurant. Comment un tel accord a-t-il été possible ? Que nous dit-il de la feuille de route collective des prochaines années pour la biodiversité ? 

Une COP sous haute tension mais qui tient bon : les coulisses d’un accord

L’ambiance de la suite de la COP 16 à Rome était marquée par une tension palpable, alimentée par la crainte de voir les négociations une nouvelle fois ne pas aboutir, après la déception des derniers jours de Cali et dans le contexte des multiples attaques de Donald Trump contre la coopération internationale en matière de développement durable (sortie de l’Accord de Paris sur le climat, suspension de l’USAID, etc.), même si les États-Unis ne sont pas Partie à la Convention sur la diversité biologique (CDB). Un échec aurait en effet privé la communauté internationale d’avancées nécessaires à la mise en œuvre du cadre mondial à 2030 adopté à la COP 15 en 2022 et d’un dialogue continu jusqu’à la COP 17, qui aura lieu fin 2026 en Arménie et qui marquera le moment de l’examen mondial à mi-parcours des avancées et lacunes en vue de 2030. L’enjeu était donc considérable, tout comme la nécessité de préserver un minimum de coopération multilatérale dans un contexte global déjà fragmenté.

La présidence colombienne a joué un rôle central, multipliant les consultations en amont et sur place, et en incitant l’organisation de coordinations par groupes de pays. Pour la première fois à la CDB, le groupe des BRICS, menés par le Brésil, a structuré ses positions et proposé des solutions concrètes. Grâce à sa présidence des BRICS en 2025 et celle de la COP 30 sur le climat en fin d’année, le Brésil a secondé la présidence colombienne. En proposant un texte alternatif, il a permis d’établir une base de compromis entre pays en développement et pays développés. Et plutôt que de s’enfermer dans des logiques d’opposition, tous les acteurs se sont montrés disposés à avancer quel que soit l’initiateur des propositions. 

Les compromis obtenus ont permis l’adoption de décisions sur plusieurs volets clés : le financement de la biodiversité, les modalités de l’examen mondial à mi-parcours et les indicateurs de redevabilité des pays, ainsi que la coopération avec d’autres organisations internationales traitant d’environnement et de développement. Sur le financement, les pays ont accepté de séquencer la manière de répondre aux demandes des pays en développement. 

Ce résultat confirme que malgré un contexte international plus que tendu, des avancées restent possibles lorsque les conditions de confiance et d’écoute illustrées ci-dessus sont réunies, en particulier sur des sujets aussi complexes que le financement. 

La feuille de route à horizon 2030 adoptée à Rome

La décision adoptée à la COP 16 sur le financement s’articule autour de deux priorités majeures : d’une part, mobiliser davantage de ressources pour atteindre les objectifs fixés1 dans le GBF, et, d’autre part, organiser la « structure institutionnelle » sous l’autorité de la COP qui gérera une partie des flux financiers pour les pays en développement. Cette dernière était une demande clé des pays en développement, dont certains souhaitaient dès maintenant la création d’un nouveau fonds dédié. Le compromis trouvé repose sur l’adoption d’une séquence de décisions pour évaluer quelle serait la structure institutionnelle idoine, qui pourrait être composée d’une ou plusieurs entités existantes (Fonds pour l’environnement mondial [FEM], GBF Fund, Cali Fund2, ou d’autres), réformées (la réforme du FEM a débuté) ou futures (une nouvelle entité dédiée). 

Ce travail sera informé par la première liste de critères définissant les caractéristiques de cette structure, qui devra être affinée à la COP 17. La suite du processus compte plusieurs étapes : lors de la COP 18 (2028), après un examen approfondi des entités existantes et des lacunes en matière de financement, les pays devront décider s’il est nécessaire de créer une nouvelle entité ou s’ils peuvent adapter celles déjà en place. Dans le cas où une nouvelle entité serait nécessaire, elle devra être pleinement opérationnelle d’ici à la COP 19 (2030), afin de garantir un soutien efficace au-delà de 2030. 

Parallèlement, plusieurs processus sont lancés pour accroître le financement disponible. L’une des questions les plus épineuses, celle de l’élargissement de la base des contributeurs, sera discutée en intersession jusqu’à la COP 17. En complément, une analyse des obstacles au financement de la biodiversité sera réalisée, afin d’identifier des mesures concrètes pour améliorer la mobilisation des ressources. Ce travail s’appuiera sur une série d’études et d’examens portant notamment sur la responsabilité de certains acteurs du financement, comme les banques multilatérales de développement et les garanties environnementales et sociales qu’elles appliquent, ainsi que les synergies entre les financements climat et biodiversité. Les liens entre durabilité de la dette et financement de la biodiversité feront également l’objet d’un examen approfondi. Au niveau national, un dialogue structuré entre ministères des Finances et de l’Environnement sera initié pour améliorer l’intégration de la biodiversité dans les politiques économiques et budgétaires. Par ailleurs, la COP 16 a finalement adopté une décision précisant le processus de l’examen mondial : calendrier, sources, gouvernance etc. Cet exercice de bilan viendra évaluer la mise en œuvre de l’ensemble des cibles et objectifs du GBF, mais aussi nourrir les réflexions sur le financement.

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Prochaines étapes

Si la COP 16 a apporté des avancées majeures et des clarifications, trois grands chantiers sont maintenant prioritaires : la définition du rapportage (reporting) du financement et des critères d’évaluation des véhicules idoines, l’accélération et le renforcement du calendrier de l’examen mondial, et la connexion avec d’autres instances clés de coopération internationale.  

Suivi et clarification des véhicules de financement

Au-delà de l’accroissement et de la nature des véhicules de financement, l’un des principaux défis des années à venir sera d’en assurer un suivi transparent et robuste. Un travail sur les méthodologies communes pour guider les décisions d’investissement et le reporting a déjà commencé, entre banques multilatérales de développement, au sein de certains pays cherchant à mieux intégrer la biodiversité dans leur budget, mais aussi entre donateurs. L’enjeu est désormais d’anticiper la discussion sur ces méthodologies de reporting, clarifier leurs bases, garantir leur divulgation pour renforcer la confiance et permettre une revue indépendante. Le défi ne se limite pas à comptabiliser les flux : il s’agit aussi de garantir une évaluation crédible, vérifiable, et de s’assurer que cette transparence soit un levier d’action pour mobiliser davantage de financements alignés avec les besoins et soutenant les actions pour la biodiversité. Il faudra articuler des évaluations bottom-up (« ascendantes ») basées sur les besoins réels des pays et plusieurs analyses top-down (« descendantes ») menées par les institutions internationales ou des experts3, avec des méthodologies claires et actualisées.   

Les discussions sur la structure institutionnelle du financement (les fonds) ont permis d’établir des critères essentiels, mais le travail ne fait que commencer. Il ne s’agit pas seulement de débattre d’une nouvelle entité ou de la réforme des fonds actuels, mais d’apporter des réponses précises aux besoins réels des pays. La liste de critères adoptée doit être utilisée comme un outil décisionnel, permettant d’arbitrer sur des bases factuelles, et d’établir une architecture financière qui assure un accès équitable et une efficacité réelle des financements multilatéraux. Les fonctions et principes des fonds multilatéraux pour la biodiversité identifiés par l’Iddri pourraient alimenter ces réflexions.  

Examen mondial : accélérer dans un agenda serré 

Le calendrier de l’examen mondial est extrêmement serré : pour le réaliser de manière crédible d’ici à la COP 17, il devra se fonder sur une mobilisation rapide des rapports nationaux (d’ici février 2026), mais aussi sur d’autres sources d’analyse pour combler les lacunes actuelles. Il reste encore trop de pays qui n’ont pas mis à jour leurs stratégies4, et de manques dans l’évaluation de leurs résultats. Il faudra accompagner les pays et les communautés les moins bien outillés. En parallèle, certaines recherches doivent être accélérées et prises en compte (les informations techniques devront être disponibles avant octobre 20255 afin d’être intégrées à l’examen), notamment sur les écarts et obstacles à la mise en œuvre du GBF, afin que l’examen ne se limite pas à une photographie des avancées, mais identifie aussi des solutions concrètes pour lever les blocages. Pour éviter que son impact politique soit limité, un travail de structuration doit également commencer dès maintenant, avec des dialogues supplémentaires pour poser les bases des messages clés.      

Dépasser le cadre de la CDB

Comme l’a souligné la ministre colombienne Susana Muhamad, le GBF a maintenant « des jambes, des bras et des muscles » – mais faut-il encore les utiliser. Les opportunités ne manqueront pas, et pourraient être utilisées comme des pistes d’atterrissage par ce dialogue ministériel finance-environnement lancé à la CDB. D’une part, la conférence sur le financement du développement (FfD4) à Séville en juin 2025 et les différents cadres de discussion de la réforme de l’architecture financière internationale, le succès de la mise en œuvre du GBF dépassant largement le cadre de la CDB et nécessitant l’implication des institutions financières internationales, des acteurs publics et privés au-delà des ministères de l’Environnement, et des fonds multilatéraux qu’il faudra mieux articuler avec les besoins de la CDB. D’autre part, la COP 30 de Bélem (Brésil) en novembre 2025 cherchera à lier les enjeux de climat et de biodiversité. La COP 16 a permis d’établir les bases d’un suivi structuré et d’un financement mieux organisé, mais sans une présence active dans ces autres enceintes, ces avancées risquent de rester théoriques. Il faudra donc frapper aux bonnes portes, et ce dès maintenant.

Ce travail reçu le soutien de l'Office français de la biodiversité (OFB).

 

  • 1

     Le GBF adopté en 2022 indique qu’il faut combler l’écart de financement total pour la biodiversité de 700 milliards de dollars USD par an, en augmentant les ressources de toutes les sources pour atteindre 200 milliards par an, avec une enveloppe dédiée aux pays en développement de 20 milliards par an en 2025 et 30 milliards par an en 2030, et une réduction des subventions et incitations néfastes de 500 milliards par an. La décision de la COP 16 précise des objectifs et actions (aux niveaux international, national, privé) pour atteindre ces objectifs globaux chiffrés.   

  • 2

     Créé avant le sommet de Rio, le FEM est aujourd’hui l’entité principale agissant en tant que mécanisme de financement de la CDB et d’autres conventions internationales ; il finance à travers la capitalisation des pays développés des projets dans les pays en développement pour répondre aux enjeux environnementaux mondiaux en mobilisant des ressources domestiques et privées. Le GBF Fund, sous le FEM, a été créé en 2023 pour soutenir la mise en œuvre du cadre mondial ; il vise à accélérer le financement des objectifs de Kunming-Montréal en ciblant en particulier les populations autochtones. Le Cali Fund est un fonds récent adopté à la COP 16 visant à mobiliser les ressources financières pour la biodiversité des entreprises privées utilisant des ressources génétiques numérisées (DSI). Toutefois, il reste encore largement à structurer, notamment en mobilisant des contributions volontaires du secteur privé concerné

  • 3

     Revue des évaluations existantes https://www.ucl.ac.uk/bartlett/public-purpose/publications/2024/oct/bridging-gap-biodiversity-financing 

  • 4

     46 pays ont soumis leur stratégie à ce jour ;125 pays ont soumis des « cibles nationales ».

  • 5

     Pour le SBSTTA-27, au Panama.