Au cours d’une campagne riche en rebondissements, la lutte contre le changement climatique s’est imposée comme l’un des sujets majeurs de la discussion politique allemande. Le défi est de taille, car la décarbonation en Allemagne comme dans le reste de l’Union européenne est aujourd’hui trop lente et c’est bien un changement de braquet dans l’ensemble des secteurs qui sera nécessaire pour permettre à l’Allemagne de remplir ses objectifs climatiques pour 2030 et 2045. La pression mise par la décision de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe, les jeunes du mouvement Fridays For Future et l’accent plus fort mis par la grande majorité des partis politiques allemands permettra-t-elle de transformer les bonnes intentions en résultats ? Alors que s’amorcent les négociations pour former la coalition gouvernementale en Allemagne, ce billet de blog propose un état des lieux des principaux enseignements de l’élection, des points qui restent en négociation et de ce que cela pourrait signifier pour la France et le reste de l’Europe.
Climat : l’Allemagne dos au mur
L’Allemagne, comme l’ensemble des pays européens, se trouve aujourd’hui face au défi de l’accélération de la réduction de ses émissions de gaz à effet de serre (GES) pour atteindre ses propres objectifs climatiques et contribuer à l’objectif collectif de l’Accord de Paris sur le climat. Ces objectifs ont été récemment revus à la hausse : -65 % d’émissions de GES en 2030 par rapport à 1990 pour atteindre la neutralité climatique en 2045, à la suite de la décision de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe en avril 2021 qui, sur la base du droit des générations futures, a retoqué la loi climat allemande. Cette décision a accru significativement la pression pour augmenter l’ambition des politiques climatiques et respecter les objectifs climatiques globaux, européens et nationaux. Or, si l’Allemagne a atteint son objectif 2020 de -40 % de réduction d’émissions de GES par rapport à 1990, c’est en grande partie dû au facteur conjoncturel et à l’impact de la crise sanitaire de la Covid-19 sur l’activité économique qui a fait plonger les émissions de GES de 8,7% entre 2019 et 2020 uniquement. La crise passée, un rebond des émissions est déjà à l’œuvre depuis 2021, montrant qu'une grande partie de ces réductions ne reposent pas sur des mesures structurelles et ne sont donc pas pérennes. Si l’on omet l’impact de la crise sanitaire, le rythme de réduction des émissions de GES demeure aujourd’hui insuffisant et devrait doubler pour atteindre -28 millions de tCO2 par an entre 2021 et 2025, puis -41 millions de tCO2 de 2026 à 2030 pour atteindre ces nouveaux objectifs climatiques. Un défi de taille qui reposera pour moitié sur la décarbonation du système électrique allemand et pour moitié sur les réductions d’émissions dans le bâtiment, le transport et l’industrie, secteurs dans lesquels les réductions sont jusqu’à présent trop lentes ou même en hausse. Dans les secteurs des transports, la hausse du trafic automobile et du poids des véhicules a ainsi jusqu’ici contrecarré les progrès en termes d’efficacité énergétique des véhicules.
Un débat politique qui intègre la question climatique
Dans ce contexte, la campagne électorale a permis de mettre la lutte contre le changement climatique au cœur des débats politiques. Les mobilisations pour le climat des mouvements de la jeunesse et les conséquences des inondations catastrophiques dans la vallée du Rhin du mois de juillet 2021 ont contribué à faire du climat et de l’environnement le premier sujet de préoccupation des électeurs allemands, ce qui a poussé l’ensemble des partis à construire des propositions étayées sur le sujet, permettant d’embrayer rapidement sur une discussion quant à la mise en œuvre de mesures concrètes, à condition qu’elles soient reprises dans l’accord de gouvernement, et traduisant des visions différentes de la manière de lutter contre le changement climatique. Alors que les élections fédérales allemandes ont abouti à une situation politique inédite qui pourrait voir pour la première fois la formation d’une coalition comprenant trois partis politiques, la politique climatique pourrait devenir la clé de voûte de l’accord de gouvernement.
Les différences programmatiques sont réelles sur le climat entre les partis, et l’équilibre dépendra de la capacité à trouver un compromis, notamment entre libéraux du FDP et parti écologiste qui se trouvent dans une position centrale pour entrer dans le gouvernement avec les sociaux-démocrates (SPD), sinon avec les conservateurs (CDU/CSU). Trois points clés semblent se dégager et seront au cœur des négociations pour les semaines à venir. Tout d’abord, le rehaussement de la trajectoire du prix carbone national pour les bâtiments et les transports, en vigueur depuis janvier 2021 et souhaité par les écologistes, tandis que les autres partis souhaitent un maintien du statu quo. Ensuite, le paquet de politiques pour la décarbonation des transports autour du rythme du renforcement du prix carbone sur le transport et la réglementation sur les normes d’émissions de GES et de fin des véhicules thermiques à 2030 poussé par les écologistes. Enfin, l’innovation et l’investissement dans les technologies bas-carbone de rupture telles que l’hydrogène ou la capture et stockage du carbone seront au cœur de la politique industrielle allemande, faisant consensus entre les divers partis.
Si le calendrier de sortie du charbon occupera une place centrale dans la politique énergétique allemande des prochaines années, il est amené à s’accélérer sous l’effet des divers mécanismes en place et ne sera probablement pas au cœur des négociations à venir. Des divergences pourront porter sur le rôle de l’État dans les politiques climatiques et leurs financements, alors qu’une étude récente d’Agora Energiewende estimait à 46 Mds d’euros par an le besoin d’investissements publics entre 2021 et 2030 pour atteindre les objectifs fixé à l'horizon 2030, soit 3 fois lus que prévus aujourd'hui.
Quelles conséquences pour le Pacte vert ?
Les arbitrages du prochain gouvernement allemand sur la tarification du carbone, les normes pour les véhicules ou le volume des investissements publics pèseront en outre sur la discussion européenne autour du paquet de mesures climatiques « Fit-for-55 ». La campagne a notamment permis de montrer que les partis politiques allemands avaient évolué sur la mise place d’un ajustement carbone aux frontières, la voyant plus positivement alors que l’Allemagne avait un positionnement plus réservé jusqu’alors en raison du risque de rétorsion commerciale. L’enjeu est de taille, car les mesures du Fit-for-55 doivent aboutir rapidement pour être retranscrites sur le plan national afin de trouver leur plein effet dans moins de 10 ans. À ce titre, la conclusion rapide d’un contrat de coalition pour un prochain gouvernement serait une bonne nouvelle pour permettre d’avancer sur la mise en œuvre de ce paquet de mesures cruciales pour la mise en œuvre du Pacte vert européen.
Enfin, le positionnement de la nouvelle coalition sur l’ampleur des investissements publics en faveur de la transition écologique allemande pourra avoir un impact sur la politique fiscale européenne, déterminante pour la poursuite et le renforcement des investissements en Europe. Alors qu’il apparaît plus que jamais nécessaire d’investir aujourd’hui pour limiter demain les coûts du dérèglement climatique, le débat est lancé sur une réforme du Pacte de stabilité et de croissance européen1 permettant de maintenir l’effort au-delà des deux ans du plan de relance.