Après avoir été longtemps aux oubliettes, la planification fait son grand retour dans les politiques publiques. Jugée trop technocratique, rigide, laborieuse et centralisatrice, elle avait rebuté un certain nombre de pays. Pourtant, face au foisonnement des politiques publiques pour l’environnement et au besoin de cohérence, plusieurs gouvernements ont choisi de remettre cette planification écologique au goût du jour. Mais qu’entend-on réellement par planification écologique ? Et comment peut-elle s’imposer comme un levier essentiel pour intégrer pleinement la biodiversité, deuxième pilier de la transition écologique, dans les actions publiques ? Enrichi par les enseignements de la littérature existante, ce billet de blog propose un décryptage de cette approche et des critères de réussite pour le succès de sa mise en œuvre. 

Pourquoi s’intéresser à la planification quand on parle de biodiversité ? Parce que celle-ci continue de s’éroder, malgré les efforts pour l’intégrer dans diverses politiques, ce que la Convention sur la diversité biologique (CDB) appelle le « mainstreaming ». En d’autres termes, il s’agit de s'assurer que la biodiversité et les services qu'elle offre soient pris en compte dans les politiques et pratiques des secteurs au-delà de celui de la conservation, comme l’agriculture par exemple. Cependant, ces efforts restent encore timides, en comparaison avec les avancées réalisées pour le climat, relativement bien intégrées. Par exemple, on trouve des politiques et stratégies pour préserver et gérer la ressource en eau, mais les réalisations sur le terrain pour réduire les pesticides ou restaurer les zones humides et les cours d’eau restent insuffisantes au regard des besoins. La planification écologique, en proposant un cadre structuré et cohérent, vise à combler ces lacunes, et à garantir une mise en cohérence de différentes politiques. La plupart des politiques sur la biodiversité se limitent à la réduction des impacts négatifs, sans s’attaquer aux causes profondes de cette perte. Pourtant, au regard des interactions profondes entre les systèmes sociaux, économiques et environnementaux, ignorer ces multiples facteurs compromet le succès potentiel de l’ensemble des transitions environnementales. 

Pour y remédier, la planification écologique offre un cadre structurant. Elle permet d’intégrer la biodiversité dans le développement et l’aménagement du territoire, tout en s’appuyant sur une coordination étroite entre acteurs à différentes échelles (nationale, régionale, locale) dans une logique de cohérence. Des pays comme le Brésil, les Pays-Bas, et plus récemment la France, misent sur cette approche pour accélérer et territorialiser la transition, démarche que l’Iddri décrypte dans un Document de propositions sur les COP régionales de la planification écologique et leçons à tirer pour la gouvernance de la biodiversité (Iddri, 2024). Mais qu’est-ce qu’on entend vraiment par planification écologique ? Pour mieux comprendre ce concept, nous avons exploré la littérature académique afin d’en dégager les grandes lignes. 

Poser le cadre de planification écologique, un approche multi-dimensionnelle 

Définir précisément la planification écologique n’est pas chose aisée, tant les approches varient. Néanmoins, des points communs ressortent des travaux sur le sujet. Elle repose sur l’utilisation de données scientifiques, biophysiques, sociales et économiques pour orienter la concertation, tout en favorisant une coordination efficace des actions. Ces données permettent de saisir les enjeux écologiques d’un territoire, d’évaluer les contraintes et potentiels des sols, et de fixer des critères d’aménagement. Cela facilite les arbitrages, la prise de décision et garantit que les transformations du paysage s’alignent au mieux sur le fonctionnement des écosystèmes.

La littérature révèle quatre dimensions phares de la planification écologique. La dimension spatiale tient compte de la configuration et des spécificités du paysage, qu’il soit rural, urbain, périurbain, naturel ou couvrant des bassins de vie. La dimension sectorielle englobe les activités liées à l’aménagement, les infrastructures, l’usage des sols, les pratiques agricoles, la gestion de l’eau, ainsi que les activités récréatives et touristiques, en veillant à aligner la santé des milieux naturels avec les intérêts économiques. La dimension sociale s’attache aux pratiques culturelles, à l’attachement aux paysages et à la qualité de vie des habitants. Enfin, la dimension temporelle invite à planifier la mise en œuvre des actions à court, moyen et long termes.

De l’utilité de penser les échelles de gouvernance et la manière de faire dialogue

La planification est aussi un processus visant à favoriser les synergies entre les acteurs publics (État, régions, collectivités, etc.), la société civile et les experts (anthropologues, forestiers, géographes, urbanistes et spécialistes des milieux naturels) pour faire dialogue à tous les niveaux de gouvernance pertinents. La littérature insiste souvent sur cette vision décentralisée, qui cherche à fédérer autour d’une vision partagée, co-construite avec l’ensemble des parties prenantes sur la base de concertations inclusives, mais sans réellement approfondir le « comment » de cette dynamique. En France, depuis les années 2000, cette coordination multi-niveaux repose sur des stratégies et plans nationaux (SNB, SNBC, PNACC) et divers documents d’aménagement territoriaux à l’échelle des régions et collectivités, auxquels s’ajoutent les documents thématiques, tels que les SDAGE, pour la gestion de la ressource et des écosystèmes aquatiques, ou les SCRE consacrés à la préservation des trames vertes et bleues. Pour autant, leur multiplicité rend la coordination institutionnelle complexe, lente et fastidieuse. In fine, les concertations sont souvent fragmentées, les instances de participation publique se multipliant sans réelle synergie entre elles. À cela s’ajoute une faible inclusion des populations locales, affectant la légitimité des projets adoptés.

Privilégier un modèle plus lisible, flexible et inclusif 

Certains pays européens ont ainsi décidé d’innover. Aux Pays-Bas, la gestion intégrée des paysages (Integrated Landscape Management) illustre une transition réussie d’un modèle hiérarchique (top-down) à une gouvernance collaborative, impliquant collectivités, associations, entreprises et citoyens pour des solutions adaptées localement. En Suède, la planification de l’adaptation au changement climatique fondée sur les écosystèmes s’organise en deux étapes : des objectifs nationaux fixés par le gouvernement, puis des plans détaillés, révisés tous les quatre ans par les communes, pour une gestion à long terme (10 à 25 ans). 

Notre tour d’horizon de la littérature1 nous a permis d'identifier cinq critères de réussite de la planification écologique, qui dépassent la seule biodiversité ou la réduction des émissions de gaz à effet de serre et soulignent la nécessité d’une approche intégrée à l'ensemble des enjeux d'un territoire et leurs interactions.

  • Définition claire des objectifs : fixer des objectifs précis dans le temps et l’espace pour une planification mesurable.
  • Inventaire et analyse des données : intégrer une vision transversale des interactions du système grâce à une collecte et une analyse approfondies des données.
  • Pertinence des propositions : enrichir la planification par des données socio-économiques (utilisation des forêts, poids industriel, sensibilités culturelles) pour une prise en compte globale de la biodiversité.
  • Scénarios alternatifs et concertation : proposer des scénarios alternatifs permet d'élargir les sphères de concertation et de faciliter les négociations entre acteurs, en recherchant un consensus sur les objectifs et les méthodes.
  • Mise en œuvre, suivi et évaluation : assurer un suivi rigoureux avec des rôles clairs, en tenant compte du soutien politique à toutes les échelles et des priorités sectorielles et territoriales.

Ces recommandations soulignent l'importance de « spatialiser » le dialogue, afin d’identifier les points de tension et localiser précisément les zones où les interventions sont les plus pertinentes. Les outils de modélisation, comme la cartographie ou les systèmes d’information géographique, sont efficaces pour cette démarche, à condition que leur lecture soit simplifiée afin que chacun puisse les comprendre et les utiliser. De plus, bâtir les conditions propices à un consensus dès les premières étapes de l’élaboration des plans reste un défi majeur. Enfin, bien que l’approche participative nécessite des ressources humaines et financières importantes, elle reste souvent essentielle pour renforcer les collaborations, aligner les intérêts des acteurs et construire un langage commun, clé de la réussite de la planification écologique (Iddri, 2024).

  • 1 Cette revue de la littérature repose sur la compilation de 80 articles publiés entre les années 1970 et aujourd’hui, dont 10 ont été sélectionnés pour une analyse approfondie. À noter que cette recherche ne visait pas à évaluer les plans ou politiques publiques de planification mentionnés dans la littérature.