La 15e Conférence des Parties (COP 15) de la Convention sur la diversité biologique (CDB) se tiendra en octobre 2020 à Kunming, en Chine. Les négociations internationales doivent y aboutir à l’adoption d’un nouveau cadre mondial post-2020 sur la biodiversité. La première réunion du « groupe de travail à composition non limitée sur le cadre mondial de la biodiversité pour l’après-2020 » s’est tenue à Nairobi du 27 au 30 août. Il s’agissait de la première session de discussion officielle sur le contenu du cadre post-2020, se basant notamment sur une première « maquette » de sa structure et de ses éléments, produite par les deux co-présidents du groupe de travail (l’Ougandais Francis Ogwal et le Canadien Basile van Havre) sur la base des discussions ayant eu lieu au cours de l’année. Le résultat principal de Nairobi est la production d’un non-paper (document officieux) décrivant la structure et les éléments possibles du cadre post-2020. Véritable brouillon évolutif, ce texte devra aboutir, l’été prochain, à la version qui sera mise en négociation à Kunming, en octobre 2020. Quelles en sont les points saillants, et quels enjeux de négociation mettent-ils au jour ?
Quatre grandes familles de sujets pour renouveler la gouvernance de la biodiversité
La COP 15 sera une échéance historique dans l’histoire de la gouvernance internationale de la biodiversité. Cela fait maintenant deux décennies que, sur la biodiversité, la communauté internationale se fixe des objectifs très ambitieux à dix ans (objectifs pour 2010 pris en 2002, objectifs à 2020 pris en 2010) et est tenue en échec. Malgré un grand nombre de conventions internationales s’occupant de la biodiversité ou d’une de ses composantes, et ce depuis plus d’un demi-siècle, l’érosion de la biodiversité continue. En cause, la faiblesse relative des actions en faveur de la biodiversité, comparée à l’augmentation continue des pressions qu’elle subit. Les discussions sur le futur « cadre mondial post-2020 sur la biodiversité » ont commencé depuis près d’un an, lancées officiellement à la COP 14 de la CBD qui s’est tenue à Charm el-Cheikh (Égypte), en novembre 2018.
Toute négociation se structure autour d’éléments clés, de « piliers », souvent en interaction, et sur chacun desquels un compromis doit être trouvé entre les pays. Depuis la COP 14, quatre groupes de sujets (clusters) ont émergé et se retrouvent dans les grandes rubriques du non-paper :
- Cluster 1 : Les objectifs post-2020, au sens large. Il s’agit ici de définir plus concrètement des objectifs de long terme (Vision 2050), les étapes intermédiaires (Mission 2030) et la liste des objectifs qui viendront succéder aux Objectifs d’Aichi, y compris les indicateurs qui serviront au suivi de leur mise en œuvre.
- Cluster 2 : Les moyens et conditions de mise en œuvre. Ce groupe inclut des sujets comme la mobilisation de ressources financières, le renforcement de capacités et la coopération scientifique et technique entre pays développés et en développement, mais aussi les synergies avec les autres accords et processus environnementaux multilatéraux ou encore l’implication des acteurs non-étatiques dans la mise en œuvre du cadre post-2020.
- Cluster 3 : Mécanismes transparence et de redevabilité. Ce groupe concerne les changements possibles dans la « mécanique » de la mise en œuvre des objectifs globaux : amélioration des outils de déclinaison nationale de la CDB (les « stratégies et plans d’action nationaux »), l’exploration de nouveaux outils de prise d’engagements par les États (les « contributions volontaires ») et l’amélioration des outils et moyens de redevabilité, pour renforcer le suivi et l’évaluation des politiques domestiques et leur mise en discussion régulière.
- Cluster 4 : Questions transversales et intersectorielles. Il est ici question des interactions avec les secteurs socioéconomiques, de l’en-capacitation (empowerment) des peuples « indigènes et communautés locales », ou encore des jeunes, de l’égalité des genres ou encore des approches par les droits.
Il était à craindre, l’an passé, que les discussions sur le cadre post-2020 ne se limitent qu’à la seule question des objectifs post-2020 (Cluster 1). Le secrétariat de la CDB a assez tôt voulu insuffler l’idée que la COP 15 devait constituer un vrai changement dans le cadre international, lui permettant d’avoir plus d’influence dans les trajectoires socioéconomiques des pays. Les discussions entre États semblent, pour l’instant, effectivement s’orienter vers un renouvellement du cadre international qui soit plus que du dépoussiérage (les sujets traités dans le Cluster 3, notamment, peuvent constituer des nouveautés intéressantes). Mais la question de jusqu’où ce renouvellement pourra aller reste assez largement ouverte, et l’ambition de la COP 15 encore bien incertaine.
Le thème choisi par la Chine pour la COP 15 est Ecological Civilization: Building a Shared Future for All Life on Earth (« civilisation écologique : construire un futur commun pour toute forme de vie sur Terre »). Comme pour les appels au « changement transformateur » du secrétariat de la CDB, si l’on comprend que l’ambition est d’apporter une réponse politique à la hauteur de la crise que connaît que la biodiversité et encore rappelée par l’IPBES cette année, ce que cela peut vouloir dire en pratique est loin d’être trivial. L’IPBES a rappelé et hiérarchisé les moteurs (drivers) de la perte de biodiversité : changement d’usage des sols, surexploitation des espèces, changement climatique, pollutions, espèces invasives. Pour être utile, le nouveau cadre adopté à la COP 15 devra apporter une valeur ajoutée pour réduire ces pressions.
Le temps est court, mais la route est longue : quelle ambition espérer pour la COP15 ?
Mais comment faire ? Un certain nombre de Parties, de pays développés comme en développement, demandent à ce que ces cinq pressions apparaissent comme telles dans l’accord et fassent l’objet d’engagements précis. Néanmoins, lorsque les discussions entreront « dans le dur », il est difficile d’imaginer que des objectifs quantifiés sur, par exemple, l’agriculture mondiale, fassent facilement consensus dans les négociations. D’autant plus que les pressions ne font malheureusement pas l’objet d’une consultation thématique et que peu de propositions concrètes sont sur la table, contrairement, par exemple, aux objectifs sur les aires protégées, avec l’idée d’un objectif de 30 % d’aires protégées en 2030 qui gagne en soutiens.
Difficulté supplémentaire pour définir l’ambition, les sujets liés à des réformes sectorielles touchent de plein fouet les trajectoires de développement des pays : toute volonté de monter en ambition de front sera tributaire des avancées sur le volet financier (Cluster 2), front sur lequel règne un encore un flou important (un rapport d’évaluation des besoins en financement et des stratégies envisageables pour les mobiliser devrait être publié en mai prochain seulement).
Une stratégie intégrée pour la prise en compte des pressions semblerait la plus prudente à ce stade : outre la question des objectifs et des cibles, plus d’attention devrait être accordée à la place des pressions dans le cadre de transparence, mais aussi dans les synergies à construire avec d’autres conventions et arènes sectorielles (voir un exemple ici avec le cas des pesticides et les conventions de Stockholm et Rotterdam), et dans les sujets liés au mainstreaming (soit l’intégration des sujets biodiversité dans l’ensemble des politiques) ; en outre, plus d’interactions sont nécessaires avec les coalitions multi-acteurs qui se créent autour de certains secteurs – l’Agenda de l’Action, lancé lors de la COP 14 mais toujours sous-utilisé, pourrait servir précisément à cela.
Dans le non-paper issu de Nairobi, on compte 91 points de discussion (sur les quatre clusters et d’autres éléments), dont 34 pour le seul Cluster 1. Il est à craindre que les objectifs et les cibles accaparent une très grande part du temps de négociation, et que les autres sujets ne fassent l’objet que d’un accord a minima lors de la COP 15. Comme nous l’indiquions déjà avant la COP 14, comme pour la COP 21 et l’Accord de Paris, qui ont aussi marqué le renouvellement d’un pan entier de la gouvernance environnementale, il va devenir assez urgent de faire la part des choses entre les éléments à verrouiller lors de la COP 15 et les éléments programmatiques qui devront être actés à Kunming et développés dans les années suivantes. Ce sera là une dimension clé pour définir l’ambition, et évaluer le succès, de la COP 15, et donc un sujet à instruire urgemment.