Une baisse continue de la consommation d’énergie et des émissions de GES
S’appuyant sur une présentation de la Fédération allemande des bailleurs immobiliers professionnels (GdW), l’article du Monde indique que les milliards investis dans la rénovation énergétique n’ont pas eu d’effet notable sur l’évolution des consommations d’énergie et des émissions de CO2 du secteur, particulièrement ces dix dernières années.
Or, ce bilan très négatif ne semble pas réellement faire justice aux résultats statistiques
, comme l’illustre le graphique ci-dessous, qui compare pour chaque indicateur l’évolution sur deux périodes de temps (1990-2008 et 2008-2018), afin de vérifier en particulier l’hypothèse d’une « stagnation » des résultats en matière de rénovation énergétique sur ces 10 dernières années.
Évolution des indicateurs énergie-climat du secteur résidentiel en Allemagne entre 1990 et 2018

Source : IDDRI, données
BMWi 2020
- La consommation d’énergie finale du secteur résidentiel a été globalement stable en Allemagne entre 1990 et 2018, avec une augmentation de 8 % entre 1990 et 2008, suivi d’une baisse de 9 % sur les 10 dernières années
. Les gains d’efficacité énergétique unitaires (par m²) ont donc été fortement compensés par la croissance du parc résidentiel en surface (+36 % depuis 1990).
- Les émissions de CO2 du secteur résidentiel baissent continuellement et se situent en 2018 à un niveau inférieur de 37 % à celui de 1990 (-44 % en incluant le tertiaire). Contrairement à ce que semble sous-entendre l’article, cette baisse atteint 23 % sur les dix dernières années (2008 à 2018), soit bien plus que les -18 % réalisés entre 1990 et 2008
.
- La consommation d’énergie finale par m² pour le chauffage (corrigée des variations climatiques) affiche une réduction de 23 % entre 1990 et 2008 et de 11 % entre 2008 et 2018, traduisant un léger tassement de la tendance
.
- De même, les émissions de GES par m² de surface habitable ont fortement baissé (-53 % depuis 1990), tendance qui s’est d’ailleurs accélérée sur les dix dernières années (-27 %).
Dès lors, que faut-il retenir de cette analyse des données ? En premier lieu, que l’absence de résultats de la rénovation énergétique en Allemagne sur ces 10 dernières années ne semble pas réellement se vérifier dans les chiffres. Au contraire, le rythme de réduction annuel des émissions de GES a même nettement accéléré depuis 10 ans, comme le montre le tableau ci-dessous.
En ce qui concerne l’indicateur de la consommation finale de chauffage par m² repris par la GdW et l’article du Monde, on peut noter un léger tassement du rythme d’amélioration sur ces 10 dernières années, sans pour autant qu’il s’agisse d’une stagnation. On peut par ailleurs signaler l’incidence des corrections des variations climatiques : en valeurs « réelles », la consommation d’énergie finale par m² a baissé beaucoup plus vite sur ces dix dernières années qu’auparavant (dernière colonne du tableau). Expliquer l’évolution de cet indicateur reste néanmoins difficile et exigerait une analyse spécifique, soulignant par ailleurs que cet indicateur ne dit pas grand-chose sur l’efficacité des rénovations énergétiques, puisqu’il concerne tout le parc résidentiel et pas uniquement les bâtiments qui ont fait l’objet d’une rénovation.
Tableau 1. Comparaison des taux de croissance annuels moyens des différents indicateurs sur deux périodes de temps
Consommation finale d’énergie
Emissions de GES
Emissions GES par m² habitable
Conso. finale de chauffage par m² (CVC)
Conso. finale par m² (réel, sans CVC)
1990-2008
0,43 %
-1,09 %
-2,42 %
-1,48 %
-0,92 %
2008-2018
-0,97 %
-2,54 %
-3,16 %
-1,11 %
-1,60 %
Source : Iddri, données BMWi 2020
L’économie de la rénovation énergétique : un débat difficile
L’article du Monde signale par ailleurs que les économies d’énergie ne permettent pas de compenser le coût des travaux. Pire encore, les rénovations pourraient agir comme un facteur d’augmentation des loyers, souvent disproportionné. Or aucune explication ou source n’est associée à ces affirmations
, et l’appréciation des enjeux économiques de la rénovation énergétique représente un sujet aussi explosif que complexe, qui mériterait plus de transparence et d’objectivité.
De prime abord, il semble ainsi essentiel de clarifier le périmètre des « coûts » et « bénéfices » considérés. De nombreuses études (en France comme en Allemagne) raisonnent le plus souvent en « coût d’investissement complet », ce qui revient à faire porter à l’objectif d’amélioration de la performance énergétique l’ensemble des coûts de la rénovation.
Autrement dit, cette approche néglige le fait que la majorité des investissements engagés constituent une dépense d’entretien ou de modernisation dont la finalité première n’est pas d’améliorer la performance énergétique : on change ses fenêtres parce qu’elles sont vétustes ; la chaudière parce qu’elle est en panne ; et le ravalement de façade obéit avant tout à des considérations esthétiques.
À l’inverse, si l’on veut analyser le ratio coûts-bénéfices de la rénovation énergétique, c’est bien les surcoûts directement liés à l’amélioration de la performance énergétique qu’il faut considérer : l’isolation des murs ou des toitures en fait partie, tout comme le surcoût de fenêtres très performantes comparées à des fenêtres « standard », d’une chaudière très efficace comparée au milieu de gamme, etc.
Des rénovations performantes « rentables » pour le bailleur et le locataire ?
En distinguant ces deux périmètres de coûts et en analysant le retour d’expérience de 350 rénovations énergétiques performantes dans des immeubles locatifs, l’agence allemande de l’énergie DENA a trouvé des résultats intéressants :
- Le surcoût directement lié à la performance énergétique représente entre 33 à 50 % du coût complet de la rénovation (entre 80 € et 230 € par m² sur un coût global de 275 à 420 € par m² pour atteindre des niveaux de performance « basse ou très basse consommation »
).
- Pour la majorité des projets
, il est possible de rembourser le surcoût de la performance énergétique grâce à une augmentation de loyer dont le montant reste inférieur aux économies d’énergie du locataire, permettant de respecter la règle de « l’équilibre en trésorerie » pour le locataire : le coût complet du logement n’augmente pas, malgré un confort largement amélioré.
- En intégrant les aides publiques, la quasi-totalité du coût complet de la rénovation peut être compensée par le cumul entre l’aide et une augmentation de loyer « neutre » pour le locataire (inférieure aux économies d’énergies).
- En raison de la progressivité des aides à la rénovation, fortement indexées sur la performance atteinte après travaux, l’investissement « restant à charge » du bailleur est nettement plus faible (49 € contre 112 € par m²) pour une rénovation visant à atteindre le plus haut niveau de performance (Effizienzhaus 55) que pour une rénovation moins performante (Effizienzhaus 100).
- Enfin, en ce qui concerne la vérification des consommations réelles après travaux, une autre étude de la DENA, conduite sur 63 projets, indique que les économies d’énergies prévues initialement (-80 % en moyenne) ont effectivement pu être atteintes en mesurant les consommations réelles deux ans après les travaux (-76 %), battant en brèche l’hypothèse de l’effet rebond qui viendrait anéantir une grande partie des économies d’énergie.
Comment atteindre les objectifs 2030 ?
L’objectif de réduction des émissions des bâtiments allemands pour 2030 est-il hors d’atteinte ? Faut-il « abandonner les rénovations énergétiques et les isolations de plus en plus chères, et opter pour une fabrication d’énergie décentralisée faible en carbone », comme semble l’indiquer le directeur du GdW
?
En Allemagne, comme en France, le constat semble clair : avec la tendance actuelle, il sera très difficile d’atteindre les réductions d’émissions visées (-67 % pour l’Allemagne, -53 % d’ici 2033 en France). Mais il n’est pas trop tard, à condition d’accélérer résolument le rythme des rénovations énergétiques, et de renforcer de manière conséquente les politiques incitatives, et réglementaires.
Comme le souligne le Haut Conseil pour le climat dans son rapport « Rénovons mieux : leçons d’Europe », cela exige en premier lieu une massification rapide des rénovations énergétiques très performantes, en s’appuyant sur différents leviers complémentaires :
- un dispositif d’aide unique combinant prêt et subvention, indexé sur la performance énergétique et associé à un suivi après travaux, inspiré par le dispositif allemand ;
- des aides conséquentes pour les ménages modestes, dans une logique de transition juste ;
- une obligation de rénovation élargie, telle que l’a proposée la Convention citoyenne pour le climat et associée à la mise en place de dispositifs d’accompagnement (guichet unique) et de financement adaptés ;
- la structuration d’une offre de rénovation globale à l’échelle des territoires, capable de répondre à la massification des projets et surtout, de regagner la confiance des ménages grâce à des réalisation de qualité, intégrant un suivi de la performance.
Vaste programme, mais qui comporte également une bonne nouvelle. Le dilemme entre maîtrise de la demande et décarbonation de l’énergie, qui fait tant couler d’encre, n’a plus lieu d’être : face au double objectif de neutralité climatique et de transition juste, l’ensemble des leviers d’action doivent être mobilisés à la hauteur de leur potentiel.