Un récent article scientifique de l’Iddri et LIENSs (La Rochelle Université-CNRS) démontre le rôle majeur joué par les activités humaines dans l’affaiblissement de la capacité naturelle des îles des Maldives à s’ajuster aux changements affectant l’océan, et donc aux risques côtiers croissants dans ce pays. Il préconise l’élaboration de trajectoires d’adaptation diversifiées fondées sur les types d’îles. 

L’affaiblissement du service de protection côtière

Le rapport spécial du Giec sur l’océan et la cryosphère dans le contexte du changement climatique (Ocean and Cryosphere in a Changing Climate, SROCC) apporte de nouvelles preuves quant aux effets du changement climatique sur l’océan, notamment le réchauffement, l’acidification et la désoxygénation des eaux et l’augmentation du niveau de la mer. Les conséquences attendues sont considérables pour les écosystèmes et les sociétés humaines, en particulier dans les zones tropicales. Les écosystèmes clés tels que les récifs coralliens d’eau chaude seront confrontés à des risques élevés à très élevés d’ici la fin du siècle et ce même si l’on considère un scenario à faibles émissions de gaz à effet de serre. Davantage d’écosystèmes, notamment les mangroves et les plages sablonneuses, atteindront des niveaux de risque identiques en cas d’émissions plus élevées. À titre d’exemple, il est attendu que la fréquence des évènements de blanchissement du corail à large échelle s’intensifie dans les décennies à venir. Ce qui est en jeu, entre autres choses, est l’affaiblissement du service de protection côtière offert par le système île-récif dans les atolls (récif corallien + île elle-même, voir Figure ci-dessous), qui pourrait à terme rendre les atolls inhabitables en raison de la hausse du niveau de l’océan. Le service de protection côtière renvoie essentiellement (1) à la réduction des inondations marines et de l’érosion côtière (en raison de l’atténuation des vagues par l’écosystème récifal et les plages de la façade océanique), et (2) à la capacité d’ajustement naturelle de l’île à l’élévation du niveau de la mer au moyen de la construction verticale (en raison de l’apport de sédiments générés par l’écosystème récifal). Par ailleurs, le rapport du Giec conclut qu’à moins que des efforts ambitieux en matière d’adaptation soient entrepris, les peuplements côtiers tropicaux de faible altitude tels que les atolls urbanisés seront confrontés à un risque modéré à élevé d’ici la fin de ce siècle même dans le cas d’une trajectoire à basses émissions, et à un risqué très élevé si l’on considère la fourchette haute probable du scenario RCP 8.5 à hautes émissions, à savoir +110 cm en 2100 par rapport à la période 1986-2005.

Figure. Les services de protection côtière du système des îles coralliennes

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Source : Duvat, V.K.E., Magnan, A.K. Rapid human-driven undermining of atoll island capacity to adjust to ocean climate-related pressures. Sci Rep 9, 15129 (2019) doi:10.1038/s41598-019-51468-3. Original picture: https://www.nature.com/articles/s41598-019-51468-3/figures/1.

Les risques futurs ne dépendront toutefois pas uniquement de la vitesse et de l’étendue des changements qui affecteront l’océan en raison du changement climatique et des aléas associés (par ex. ondes de tempête et vagues de chaleur marines). Des facteurs non climatiques tels que le développement des infrastructures et la dégradation environnementale causée par l’homme ont joué un rôle majeur au cours des dernières décennies, et continueront à le faire à moins que les trajectoires de vulnérabilité observées dans les dernières années soient inversées ou au moins réduites. L’article de l’Iddri et de LIENSs publié dans Nature Scientific Reports fait progresser les connaissances quant au rôle joué par les activités humaines dans l’affaiblissement des capacités naturelles des îles coralliennes à s’ajuster aux changements de l’océan liés au climat, en particulier la hausse du niveau des mers.  

Cet article s’appuie sur le cas des Maldives, le pays composé d’atolls le plus peuplé de la planète (>400,000 habitants en 2014), et sur une base de données unique regroupant 608 îles représentant plus de la moitié du nombre total d’îles et de la superficie totale du pays, ainsi que plus de 85 % de sa population totale. Les résultats se concentrent sur les changements qui se sont opérés au cours de la dernière décennie (de 2004-2006 à 2014-2016) et met en lumière, tout d’abord, la vitesse et l’étendue des changements provoqués par l’homme, et qui ont conduit à l’affaiblissement substantiel de la capacité naturelle de l’île à répondre aux changements de l’océan liés au changement climatique. Cela résulte en partie de la combinaison de contraintes physiques majeures (c’est-à-dire : îles dispersées et de petite taille), d’une considérable pression démographique (la population du pays en effet a doublé tous les 25 ans environ depuis le milieu des années 1960) et la volonté des gouvernements successifs de doter les îles habitées d’infrastructures de transport (principalement des ports, mais également des aéroports) et de services de santé (notamment des dispensaires). Bien que les perturbations causées par l’homme illustrent en particulier la situation des îles habitées et exploitées (c’est-à-dire dédiées au tourisme, à l’agriculture, à l’aquaculture, à l’industrie, et porteuses d’infrastructures) qui sont essentielles pour l’habitabilité future de ce pays, une forte baisse du nombre d’îles naturelles (en raison du développement de nouvelles activités ou installations humaines) est également signalée.

Un point de bascule anthropique ?

Ensuite, les résultats indiquent que les îles ont connu différents niveaux d’affaiblissement du service de protection côtière fourni par le système île-récif, et qu’il est donc nécessaire de prendre en considération la diversité des types d’îles existant, depuis les îles naturelles aux îles peu, modérément, hautement et extrêmement perturbées (qui représentent respectivement 54,1 %, 11,5 %, 22,2 %, 2,3 % et 7,6 % de l’échantillon de 608 îles). En conséquence, l’article préconise la mise au point de trajectoires d’adaptation fondées sur les types d’îles rencontrés plutôt que sur des stratégies universelles qui tendent à prévaloir au sein des arènes de décision internationales. Appuyer le développement de stratégies d’adaptation liées au contexte est d’autant plus important pour les pays et territoires composés d’atolls que des publications récentes démontrent que la taille des îles des atolls est généralement restée stable – quand elle n’a pas connu une augmentation – au cours des 4 à 5 dernières décennies, ce qui vient donc malmener l’idée généralement admise selon laquelle les îles rétrécissent et qui conduit souvent à encourager un seul avenir ultime pour les habitants des atolls : la migration internationale. Bien qu’il convienne de prendre en compte l’incertitude entourant l’avenir des îles des atolls, l’article soutient qu’à ce stade, il reste des marges de manœuvre en termes d’adaptation, et que l’existence de différents types d’îles nécessite la mise au point de stratégies d’adaptation différenciées.

Enfin, les résultats suggèrent que les îles évoluent de plus en plus, et ce à un rythme rapide, d’un type dans lequel les perturbations subies sont légères à modérées à un type où ces dernières sont fortes à extrêmement fortes. Cela signifie qu’un effet de dépendance de sentier s’opère à l’échelle nationale, et qui se traduit par l’usage croissant de structures de protection lourdes pour stabiliser le littoral de l’île et protéger les biens humains (c’est à dire les populations, les bâtiments, les infrastructures et équipements, ainsi que les activités économiques) des effets de l’érosion côtière et des inondations marines. Pour schématiser, plus forte est la pression humaine exercée sur le littoral et sur le platier récifal, plus le service de protection côtière fournit par le système île-récif est sapé ; et, par voie de conséquence, moins l’île est en mesure de s’ajuster et de s’adapter naturellement aux changements de l’océan dus au changement climatique, et plus l’intervention humaine est nécessaire pour préserver les îles, qui sont ensuite piégées dans une « voie dure ». L’article estime que 20,1 % et 46,2 % des îles habitées et exploitées des Maldives ont déjà atteint ou pourraient atteindre dans un futur proche, un « point de bascule anthropique » au-delà duquel « fortifier » les îles habitées constituera l’unique solution pour préserver les îles face à l’augmentation du niveau de la mer et aux événements météorologiques extrêmes. Cependant, les incertitudes sont grandes concernant la future habitabilité de telles îles « fortifiées », car elles seraient situées sous le niveau de la mer et donc susceptibles d’être également touchées par d’autres aléas, par ex. les intrusions d’eau salée.

Cette analyse fournit la première évaluation à la fois à l’échelle nationale et à celle de l’île de la situation d’un pays insulaire, rendant ainsi ses résultats pertinents au-delà du cas particulier des îles des Maldives. La conclusion générale qui peut être tirée est que dans ce pays, représentatif de la situation de la plupart des atolls à forte densité de population de par le monde (par ex. : Fongafale, île des Tuvalu ; Majuro dans les Îles Marshall ; ou Rangiroa, atoll de l'archipel des Tuamotu en Polynésie française), les activités humaines ont provoqué les récents changements ayant affecté les îles, et les perturbations anthropiques des dynamiques naturelles des îles ont opéré à un rythme relativement élevé. Comme les changements climatiques affectant l’océan aggraveront ces problématiques, il est nécessaire de mettre au point, et ce de manière urgente, des stratégies d’adaptation afin de contenir toute avancée supplémentaire et préjudiciable dans le sens d’une dépendance de sentier telle que déjà entamée. Ceci étant dit, la fenêtre pour développer une adaptation diversifiée se referme rapidement, du moins aux Maldives.