La crise actuelle liée à la pandémie de Covid-19 a des racines profondes dans la façon dont nous interagissons avec la biodiversité, la gérons et la conservons. Elle a jeté un nouvel éclairage sur les problèmes de gestion des espèces sauvages en Chine, et a lancé de nouvelles réflexions et de nouveaux développements de réponses politiques potentielles, y compris (mais pas seulement) l'interdiction de certaines formes de commerce d'espèces sauvages. Symbole fort, la crise s'est également produite alors que la Chine prépare le plus plus important sommet multilatéral qu'elle ait jamais accueilli sur l'environnement : la COP 15 de la Convention sur la diversité biologique, initialement prévue pour octobre 2020 à Kunming. À l’occasion de cette COP, les pays devraient adopter un nouveau cadre international visant à apporter une réponse politique à la perte de biodiversité mondiale, en mettant l'accent sur les moyens de mise en œuvre. Quels sont les développements récents de la politique de gestion des espèces sauvages en Chine ? Quels sont les défis et les opportunités que la crise liée au Covid-19 a créés pour la préparation de la COP 15 ?
Ce billet de blog résume brièvement la discussion du webinaire qui s’est tenu le 24 avril 2020. Voir le webinaire en replay et accéder aux présentations des intervenants.
Au-delà des wet markets : comprendre la complexité de la question du commerce des espèces sauvages
Une grande attention a été accordée aux wet markets dans la couverture internationale de la crise liée au Covid-19. Ils ont été présentés comme des marchés urbains où des animaux vivants sont vendus pour la consommation. Cependant, cette image déforme la réalité de la plupart des wet markets et ne reflète pas la complexité de l'élevage et du commerce des animaux sauvages en Chine, et donc les défis que pose leur réglementation. L'industrie de l'élevage d'animaux sauvages dans son ensemble représenterait quelque 520 milliards de RMB par an (près de 70 milliards d'euros) en Chine : il ne s'agit donc pas d’un secteur économique restreint ou anecdotique, et sa réforme doit prendre en compte différentes dimensions, juridiques, sociales, éthiques et économiques.
Le principal cadre réglementaire sur ce sujet en Chine est la Loi sur la protection des espèces sauvages : elle détermine les catégories d'espèces protégées, et comprend des exigences et des mécanismes pour l'élevage et le commerce des espèces sauvages ; elle autorise le commerce, même d'espèces protégées, à des fins diverses, en exigeant soit des permis spécifiques soit simplement la preuve de l'origine légale des spécimens commercialisés, selon la catégorie de protection ; elle ne contient cependant pas de définition précise des formes de « commerce d'espèces sauvages » qui peuvent être autorisées, et la plupart de ses dispositions les plus opérationnelles ne concernent que les espèces terrestres protégées. Le fait que la loi contienne des mécanismes autorisant le commerce d'espèces sauvages menacées a pour effet de légitimer la demande de produits de la faune et de la flore sauvages. On constate également un manque de transparence et de traçabilité sur l'origine de certains produits, malgré un mécanisme d'étiquetage censé démontrer que le produit provient de sources légales. Par exemple, bien que le commerce international des produits à base de léopards et de pangolins soit interdit par la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction (CITES), leur utilisation en médecine traditionnelle est toujours autorisée en Chine. Les autorités affirment que les spécimens faisant l'objet d'un commerce légal proviennent de stocks existants, mais des inquiétudes liées à la transparence subsistent quant à la possibilité d'exploiter le mécanisme pour blanchir des spécimens obtenus en violation de la CITES.
À la suite de la crise du Covid-19, on a constaté des signes de renforcement de l'application des règles existantes, et de nouvelles notifications et décisions juridiques ont été publiées. Le Comité permanent de l'Assemblée populaire nationale, la plus haute instance législative de Chine, a par exemple interdit l'élevage et le commerce de la plupart des espèces sauvages terrestres pour la consommation alimentaire. Compte tenu de l'importance économique du secteur de la faune et de la flore sauvages, la question demeure de savoir dans quelle mesure cette interdiction sera permanente, comment elle sera appliquée, de manière efficace et éthique, et comment soutenir le secteur et ses parties prenantes dans la transition vers d'autres formes d'activités génératrices de revenus. Ce dernier point est particulièrement important, car il existe un risque de voir les acteurs se tourner vers le marché noir si d'autres moyens de subsistance ne sont pas mis à leur disposition.
La Loi sur la protection des espèces sauvages sera modifiée cette année. Les modifications à venir pourraient apporter de la clarté et aborder de manière globale la multitude de pratiques commerciales préoccupantes. La révision de la loi pourrait aboutir à la consolidation du principe de précaution, ce dont témoignent des mesures récentes, apportant plus de clarté, fournir une meilleure lisibilité sur les espèces qui peuvent être élevées légalement à des fins commerciales, une définition plus large de la « vie sauvage », et un meilleur équilibre entre la conservation et l'utilisation de ces espèces. Parallèlement, le gouvernement pourrait soutenir la transition vers l'abandon de la marchandisation des espèces sauvages et promouvoir des moyens de subsistance alternatifs pour les communautés touchées par les nouvelles réglementations afin d'éviter les effets contre-productifs. Toutefois, si la révision juridique ne parvient pas à traiter le commerce des espèces sauvages menacées à des fins non alimentaires, elle pourrait représenter une nouvelle occasion manquée de s'attaquer de manière plus globale à la demande de produits issus de la vie sauvage, qui entraîne actuellement des niveaux élevés de braconnage et de trafic de nombreuses espèces et fournit un moyen de générer des revenus pour les réseaux du crime organisé.
Une mobilisation multi-acteurs pour la biodiversité en Chine
Il est important de souligner que, comme dans la plupart des pays, la mise en œuvre des décisions prises par les autorités centrales en Chine dépend d'une dynamique complexe impliquant plusieurs parties prenantes. Premièrement, l'immensité et la diversité du pays exigent un contrôle au niveau local et une coordination entre les autorités centrales et provinciales. Malgré quelques efforts exemplaires récents dans l'application et la mise en œuvre des politiques environnementales, tels que les techniques d'enquête avancées utilisées par les douanes chinoises et certains bureaux locaux de la police forestière, des problèmes d'application cohérente et efficace de la Loi sur la protection des espèces sauvages subsistent. Au-delà des modifications de la réglementation, il faudra accorder une plus grande attention à ces questions concrètes dans la pratique, par exemple en veillant à ce que les ressources humaines nécessaires soient disponibles dans les agences concernées et en s'attaquant résolument aux problèmes de corruption locale.
Outre les changements réglementaires, une mise en œuvre plus rigoureuse, une transition juste dans le secteur de la vie sauvage et des efforts spécifiques seront nécessaires du côté de la demande. La société civile chinoise est active sur ces différents fronts depuis des années. Certaines ONG ont joué un rôle de surveillance au niveau local, en suivant et en signalant les pratiques illégales, et d'autres ont joué un rôle actif depuis le début de la pandémie pour sensibiliser aux questions relatives au commerce des espèces sauvages et pousser davantage à la réduction de la demande de produits issus de ces espèces. De nombreux universitaires et ONG chinois participent activement à la modification de la Loi sur la protection des espèces sauvages. Les entreprises et les industries ont également un rôle important à jouer dans la promotion de sa mise en œuvre. Certaines entreprises technologiques, par exemple, soutiennent actuellement les autorités dans le contrôle du commerce illégal d'espèces sauvages sur les réseaux sociaux. Parallèlement, certains experts en médecine traditionnelle ont souligné que la plupart des produits de médecine traditionnelle ne contiennent pas de produits issus parties d'animaux sauvages et qu'il existe des substituts pour les produits qui en contiennent.
Effets de la crise liée au Covid-19 sur la préparation de la COP 15
La COP 15 sera un moment important dans l'histoire de la gouvernance internationale de la biodiversité, et aussi un moment pour apporter une réponse politique à plusieurs questions qui sont à l'origine de l'émergence de Covid-19. D'ici à la COP 15, qui pourrait avoir lieu en 2021, il sera important de maintenir une forte mobilisation, au niveau international, mais aussi en Chine.
À la suite à l'épidémie de Covid-19, les appels se sont multipliés en Chine et dans le monde entier en faveur d'un modèle économique moins consumériste, afin d'éviter à la fois la dégradation des écosystèmes et le risque associé d'apparition de pandémies. En tant que futur hôte et président de la COP 15, la Chine pourrait montrer son leadership, au niveau domestique en donnant un exemple positif concret par la réforme de son système de gestion des espèces sauvages, au niveau international en faisant pression pour que les chapitres consacrés à la mise en œuvre dans le Cadre mondial pour la biodiversité post-2020 soient encore plus ambitieux.
Le financement de la biodiversité doit également être repensé. À la lumière des conséquences économiques de la crise du Covid-19, le financement public et privé de la protection de la biodiversité devrait être de plus en plus considéré comme un moyen de réduire le risque de futures pandémies. Une mobilisation internationale plus forte à cet égard, dans laquelle la Chine jouerait un rôle clé, sera nécessaire pour s'assurer que les décisions adoptées lors de la COP 15 soient mises en œuvre.
Les liens entre les pandémies et la biodiversité pourraient contribuer à souligner l'importance de ce processus, et ce discours global sur la santé de la planète doit être mis en avant au plus haut niveau. Les prochaines étapes (prévues) en vue de la COP 15 sont les réunions des deux organes subsidiaires de la CDB (17-29 août), où les discussions techniques devraient reprendre. À un niveau plus politique, le Sommet sur la biodiversité de l'Assemblée générale des Nations unies (AGNU), les 22 et 23 septembre, constituera une plate-forme où des voix de haut niveau devraient souligner l'importance des résultats de la COP 15 pour l'avenir de la biodiversité et de la santé humaine.