Dans un billet de blog publié le 9 janvier dernier (Iddri, 2025), l’Iddri souligne le rôle indispensable que doivent jouer, alors que l’ordre mondial est bousculé de toutes parts, le dialogue et la diplomatie pour, notamment, « contrer des approches purement transactionnelles de court terme par des accords trouvés sur des intérêts bien compris à long terme ». Sur la base de ce constat relatif aux enjeux géopolitiques actuels, ce nouveau billet de blog entend montrer que les négociations environnementales sont d'abord aux prises avec des questions qui leur sont propres et historiquement ancrées, et propose des voies possibles pour faire avancer la coopération environnementale multilatérale.
Des négociations qui piétinent
Un faisceau d'indices, apparemment concordants, donneraient à penser que l’état actuel du multilatéralisme mettrait en danger le déroulement et l'aboutissement des négociations au sein des accords multilatéraux sur l’environnement (AME) anciens ou en cours d'élaboration. De fait, on note les difficultés rencontrées en 2024 au sein des COP climat et biodiversité, le niveau trop faible de ratification de l'accord haute mer et, pour ce qui est des initiatives nouvelles issues des résolutions de l'Assemblée des Nations unies pour l'environnement (ANUE), le piétinement depuis deux ans de la négociation sur le projet de traité sur l'élimination de la pollution plastique d'ici 2040 ou le report de l'accord sur la mise en place d'un panel international produits chimiques/déchets/pollution.
Les obstacles à la progression sont d'abord liés à des divergences sur le financement, mais également en termes d'approches, qui donnent à penser que ce qui est attendu de la coopération multilatérale environnementales fait de moins en moins consensus et que les divergences de nature géopolitique viennent contaminer les négociations environnementales, créant une inquiétude grandissante notamment au sein des ONG et dans la communauté scientifique. Pour autant, l'influence du contexte géopolitique ne doit pas cacher le fait qu'il existe des divergences propres et spécifiques aux enjeux environnementaux qu’il importe d’identifier et de traiter.
Un échiquier géopolitique mouvant
On simplifierait les questions en opposant un Occident vertueux et engagé à un Sud global réticent, avide de crédits d’aide publique au développement (APD) et soutenu par la Chine et la Russie selon une vision destinée à aggraver la mise en cause des pays occidentaux. En réalité, le Sud global ne se présente pas uni dans les négociations : les coalitions sont à géométrie variable, et la Chine ne soutient pas systématiquement les initiatives de la Russie, laquelle s'est trouvée par exemple totalement isolée avec ses alliés de base (Iran, Cuba, Corée du Nord, Venezuela, Nicaragua et Syrie) au récent Sommet de l'avenir des Nations Unies (Iddri, 2024), où son amendement visant à rappeler avec force le principe de non-ingérence n'a pas été soutenu par une énorme majorité de 143 voix ; en la circonstance, ni le Sud global, ni les BRICS, ni la Chine ne se sont retrouvés derrière la Russie.
Il en est de même dans les négociations environnementales, où l'on voit se créer des coalitions ad hoc, comme lors des discussions sur le futur traité sur l'élimination de la pollution plastique (Iddri, 2024). Cependant, l'unité des pays du Sud retrouve toute sa force lorsqu'il s'agit des questions du financement des investissements et des activités de mise en œuvre des conventions. Elle se fonde sur des références appuyées et régulières au principe 7 de la déclaration de Rio de 1992 ou au principe 12 de la déclaration de Stockholm de 1972. Ces textes s'inscrivent dans le cadre du principe de « responsabilité commune mais différenciée » (CBDR en anglais ; Iddri, 2015) dont découlent à la fois la possibilité de différencier les engagements des pays et l'engagement spécifique des pays développés de contribuer de façon additionnelle au soutien financier des pays en développement. C'est pour y répondre que le Fonds ozone a été créé en 1990 dans le cadre du protocole de Montréal relatif à la protection de la couche d'ozone et que le Fonds pour l'environnement mondial a été établi en 1991, sur une initiative de la France soutenue par l'Allemagne, pour soutenir la mise en œuvre des obligations découlant des conventions internationales, d'abord celles de Rio, puis les conventions chimiques ; il abrite désormais le financement du programme Kunming-Montréal de la Convention sur la diversité biologique.
La finance au cœur des tensions
Le dialogue sur le financement entre pays développés et le groupe des 77+Chine est devenu difficile à raison des montants très importants, et en constante augmentation1, désormais sollicités pour la mise en œuvre des conventions climat et biodiversité. Et ce dans un contexte de méfiance aggravé par le déficit de financement affecté à la réalisation des Objectifs de développement durable et le non-respect à ce jour (à l'exception de 5 pays2) de l'engagement politique de porter l'aide des pays développés à 0,7 % de leur revenu national brut3. La question de l'APD ne devrait cependant pas saturer le sujet de la mise en œuvre des conventions par les pays en développement récipiendaires, dont l'engagement devrait être accentué et devenir plus effectif 4; l'aide, notamment multilatérale, ainsi que la mobilisation des agences et ONG internationales pour mener des projets dans les pays ne sauraient avoir comme corollaire un trop faible engagement de ces derniers, minimisé sous prétexte du principe de CBDR5. Notons également le retard, relatif mais hautement symbolique, des pays donateurs à atteindre le niveau de 100 milliards de dollars annuels dans le contexte de la Convention Climat6. On voit désormais apparaître des positions de conditionnalité du respect des engagements environnementaux par les pays du Sud à l'obtention de financements extérieurs7.
La finance est donc devenue une composante critique des négociations internationales sur l'environnement et le développement durable, et Il est crucial que cette question soit traitée à l'occasion de la Quatrième Conférence internationale sur le financement du développement qui se tiendra à Séville du 30 juin au 3 juillet 2025.
De nouvelles injonctions, structurelles et disruptives
Là où le droit international de l'environnement traitait principalement des externalités négatives des activités humaines ou de questions patrimoniales (espaces ou espèces remarquables), un déplacement sur les enjeux économiques et plus généralement sur les drivers économiques, sociaux et même culturels s'est opéré. On parle ainsi de « changement transformatif » dans le rapport publié par l'IPBES en décembre 2023, soit une vision très ambitieuse des transformations nécessaires pour mettre fin à l'érosion de la biodiversité. La sortie progressive des énergies fossiles est évoquée dans les discussions sur le climat, et dans le cadre de la négociation plastique, la Coalition pour la haute ambition plaide pour une prise en compte de la totalité du cycle des plastiques avec le souci d’en plafonner et d’en réduire la production, rencontrant ainsi la vive opposition de certains pays producteurs qui privilégient une approche cantonnée à la gestion des flux de déchets. À l’inverse, c'est peut-être parce que l'accord haute mer a évité les questions de pêche et plus généralement les questions économiques qu'il a pu aboutir.
L'idée même de « changements transformatifs » est de nature à changer les négociations, mais de nombreux pays (tels que la Russie, la Chine et l'Arabie saoudite, voire les États-Unis de Trump) ne veulent pas traiter de questions économiques dans les enceintes environnementales. Ils ne sont pas non plus disposés à accepter les références aux droits humains : ainsi, lors de la COP 16 sur la biodiversité, la Russie, soutenue par l'Indonésie, s'est opposée à la création d'un nouvel organe représentatif des populations autochtones (Iddri, 2024). L’approche par les droits reste une question en pointillé au niveau global.
Une autre question émergente depuis une dizaine d'années est celle du renforcement des obligations de redevabilité incombant aux pays, fondées sur une ingérence consentie de tous chez tous : obligations renforcées de rapportage, création de comités de conformité, revues par les pairs inspirées des pratiques de l'OCDE, inspections dans les pays à l'exemple de l'AIEA et de l'OMS, autant de développements qui nourrissent chez nombre de pays le sentiment de contournement du principe de non-ingérence et qui conduisent certains à durcir les règlements intérieurs ou à accroître les possibilités de blocage par les pays minoritaires au nom du principe de consensus. On note également un mécontentement de la société civile et de certains membres sur leur capacité d’influencer les négociations et ceci malgré une ouverture croissante des procédures des organisations internationales (Iddri, 2025).
Quelles pistes pour avancer néanmoins ?
Ces différentes évolutions dans les processus de négociation créent un contexte de méfiance réciproque dans lequel s'insinuent les données géopolitiques. Le Sud global, par ses différentes composantes régionales, est de plus en plus actif, animé par un ressentiment vis-à-vis de pays occidentaux soupçonnés de tenter d'échapper ou de minimiser leurs engagements, renforcé par les approches « décoloniales » et la critique de l'occidentalisme8.
Mais les pays du Sud global sont également enclins à s'allier aux pays développés si leur intérêts convergent. Un contexte diplomatique à géométrie variable qui appelle un effort constant de compréhension de l'autre pour faire avancer les négociations environnementales, un impératif qui reste catégorique. Mais un contexte qui invite également à approfondir les données nouvelles des positions en présence et à en tirer des conséquences utiles à l'avancement de la coopération environnementale multilatérale. Rien ne serait plus hasardeux que de vouloir reproduite à l'infini les données diplomatiques du passé. Prendre en compte les visions nouvelles y compris celles produites par l'anthropologie9, donner un sens positif à la responsabilité partagée mais différenciée pour tenir compte de la diversité du monde et actualiser à cet égard les principes du droit international public, renforcer l’expertise notamment économique dans les négociations, ajuster, comme convenu depuis plus de 60 ans, le niveau de l'APD et enfin renforcer les alliances avec les pays pauvres mais désireux d'avancer : des voies nouvelles déjà ouvertes ou qui devraient l'être.
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1 000 milliards de dollars évoqués pour 2030, 1 300 pour 2035, dans le rapport du groupe d’experts indépendant sur la finance climat publié en novembre 2024 en amont de la COP 29 sur le climat. Le groupe d’experts mentionne notamment la part que pourrait prendre l’APD dans ces montants ; à cet égard, rappelons que le montant total de l’APD financement a atteint 223 milliards de dollars en 2023.
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https://focus2030.org/La-politique-d-aide-au-developpement-de-la-France
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À cet égard, le retard des États-Unis, qui ont toujours décliné cet objectif, est important, son volume d’aide publique au développement étant limitée à 0,25 ‰ de leur RNB.
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C'est particulièrement le cas des pays asiatiques dans le cadre du futur traité plastique, tant leur contribution à la pollution de l'océan par les déchets plastiques est devenue critique faute d'infrastructures appropriées pour traiter la pollution et de politiques suffisamment actives dans la maitrise des sources. L'exemple déjà ancien de Singapour qui a accompagné son développement économique d'une politique certes autoritaire, mais très active, d'environnement dès les années 1970, montre que le souci de l'environnement devrait accompagner le développement économique et en être une composante.
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A cet égard, on peut noter la réussite du projet de sauvetage du tigre du Bengale par une initiative lancée par l'Inde dès 1973 avec ses propres ressources et poursuivie avec constance depuis 50ans, obtenant un quasi doublement des populations de tigres (3 167 en 2023) en coopération avec les communautés locales et appuyé par une administration dédiée.
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C’est le cas dans le dernier document de travail sur le traité plastique publié le 1er décembre 2024, qui comporte entre crochets une proposition de ce type introduite par le groupe africain.
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Ian Burma et Avichai Margalit, "Occidentalism", Atlantic books, London, 2004 et Dipesh Chakrabarty "Provincialiser l'Europe" Editions Amsterdam, 2020.
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Voir sur ce point les travaux de Jordi Blanc Ansari sur le « Bien vivir »