Rénovation énergétique : objectifs, investissements et bénéfices
« Quand le bâtiment va, tout va. » L’adage économique semble aussi vrai en ce qui concerne la décarbonation. Le secteur du bâtiment représente plus de 40 % de l’énergie finale consommée et 25 % de l’empreinte carbone de la France, en incluant l’ensemble de la chaîne de valeur, de la construction à l’usage des bâtiments.
C’est également le secteur pour lequel le rythme de décarbonation d’ici 2030 doit être de loin le plus rapide, avec l’objectif de diviser par deux les émissions de gaz à effet de serre entre 2022 et 2030, selon la planification publiée par le Secrétariat général à la planification écologique (SGPE). Atteindre cet objectif impliquerait une quasi-sortie du fioul (-90 % de consommation) et une division par deux de la consommation de gaz fossile dans les bâtiments en 8 ans. Un objectif très ambitieux, mais atteignable, à condition de clarifier les orientations stratégiques et de déployer les moyens à la hauteur de cet objectif, comme le montre un récent décryptage publié par l’Iddri.
Cette trajectoire implique également une accélération sans précédent du nombre de rénovations énergétiques performantes et globales, pour les faire passer de moins de 100 000 par an aujourd’hui à 900 000 par an après 2030, selon les orientations de la stratégie française pour l’énergie et le climat. Avec des besoins d’investissements additionnels plus que conséquents : selon le dernier panorama des financements climat publié par I4CE, la trajectoire visée implique un doublement des investissements dans la rénovation énergétique des logements, pour atteindre plus de 30 milliards d’euros par an (contre 16,4 milliards d’euros en 2022), le gros de l’effort additionnel devant porter sur les rénovations performantes et globales.
Les aides publiques (MaPrimeRénov et les certificats d’économies d’énergie) représentent actuellement un quart des investissements totaux déclenchés dans la rénovation énergétique des logements privés. En maintenant ce ratio entre fonds publics et privés, cette trajectoire d’investissements impliquerait donc de doubler le budget initialement accordé à MaPrimeRénov pour 2024 (4 milliards d’euros, finalement réduits à 3), en veillant à réorienter les aides vers les rénovations d’ampleur
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Si le débat se focalise dernièrement beaucoup sur la dépense publique, il est indispensable de considérer également les nombreux bénéfices des politiques de rénovation énergétique
, en matière de décarbonation
, de lutte contre la précarité énergétique
, de sécurité énergétique
, de santé publique
et de création de valeur et d’emplois
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Un recul sur les moyens, la stratégie, …et l’ambition ?
La pertinence des coupes budgétaires sur les aides à la rénovation énergétique annoncées en février 2024 peut ainsi être questionnée au regard de ces multiples bénéfices, et plus largement du corpus d’études identifiant les impacts macroéconomiques des politiques d’efficacité énergétique, qui semble indiquer que les aides publiques à la rénovation peuvent produire un gain direct et rapide pour les comptes publics, grâce à l’activité économique additionnelle et aux recettes fiscales générées
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Les annonces politiques récentes
semblent d’autant plus préoccupantes qu’elles ne se bornent pas seulement à une réduction des moyens alloués (moins 1 milliard d’euros pour le dispositif MaPrimeRénov), mais qu’elles y associent également un recul sur les orientations stratégiques et l’ambition politique, avec notamment l’annonce que l’objectif de 200 000 rénovations performantes en 2024 ne serait pas atteint.
Ce revirement soulève d’importantes interrogations sur la forme et sur le fond. Tout d’abord, sur la forme, le caractère soudain des décisions marquant une rupture par rapport à la méthode de co-construction et de concertation avec l’ensemble des parties prenantes appliquée avec succès tout au long de l’année passée
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Sur le fond, les raisons avancées pour défendre ce revirement inattendu semblent du moins en partie ignorer les débats et travaux qui ont justement abouti à la réforme des dispositifs d’aide présentée à l’été 2023, sur la base des travaux du SGPE.
En effet, les décisions récentes se réfèrent à l’effondrement du marché des travaux « mono-gestes » pour justifier le retour de leur éligibilité (y compris dans les passoires thermiques), là où le processus de 2023 avait justement convergé sur la nécessité de fortement encadrer les aides aux travaux mono-gestes au profit des rénovations d’ampleur, afin de limiter les effets d’aubaine et pour garantir un résultat des travaux à la hauteur des attentes (en ce qui concerne le gain de confort et la réduction de la facture énergétique pour le ménage, et la réduction des émissions de GES pour la puissance publique). Dans le contexte d’austérité budgétaire, ce retour aux travaux mono-gestes soulève ainsi également des questions en matière d’efficacité de la dépense publique.
La trop grande « complexité » du nouveau dispositif axé sur les rénovations performantes et globales a également été mise en avant pour justifier le recours à un nouveau « choc de simplification ». Argument qui peut paraître surprenant dans la mesure où le dispositif en question n’avait été présenté qu’en octobre 2023 et mis en œuvre depuis à peine 6 semaines, sans aucune chance de faire ses preuves, ou même de produire un retour d’expérience permettant d’étayer cet argument. Il apparaît pourtant logique qu’une réforme d’ampleur nécessite du temps et un effort d’adaptation à tous les niveaux de la chaîne de valeur pour se concrétiser.
En troisième lieu, la généralisation de l’accompagnement des ménages par un tiers de confiance labelisé (« mon accompagnateur Rénov’ ») constituait une autre pièce essentielle de la stratégie annoncée en 2023 qui pourrait être menacée. C’est oublier que cette volonté de généralisation fait justement suite à un consensus assez fort sur la nécessité de traiter trois obstacles majeurs pour les ménages : la complexité du processus de montage technique et financier du projet de rénovation, le manque de confiance dans la qualité des travaux réalisés, et les risques de fraude de plus en plus marqués. Le manque d’accompagnateurs peut conduire à un goulot d’étranglement momentané, Mais pour y faire face, il semble primordial d’augmenter les moyens alloués à la formation et la labélisation des accompagnateurs rénov’, plutôt que de freiner la dynamique naissante.
Enfin, on peut s’interroger pourquoi ce « choc de simplification » se focalise sur le seul dispositif de MaPrimeRénov. En effet, le dispositif des certificats d’économies d’énergies (CEE) mobilise un budget financier a priori plus conséquent (4 milliards d’euros estimés pour 2024
) et fait aujourd’hui l’objet d’interrogations tout aussi importantes, en ce qui concerne à la fois les fraudes massives, les gisements exploitables et les objectifs fixés.
Maintenir le cap et l’ambition dans la durée
Avec recul, cette séquence politique s’inscrit dans une longue liste de revirements politiques autour des dispositifs d’aide à la rénovation énergétique, constamment tiraillés entre la nécessité – de mieux en mieux comprise – de structurer le marché de la rénovation performante et globale avec toute sa complexité d’une part, et la tentation d’une massification rapide des travaux « mono-gestes » pour obtenir des gains rapides d’autre part, comme l’analysait en détail l’étude publiée par l’Iddri en 2022.
Et ces revirements donnent parfois la sensation de naviguer « à vue » au fil des réformes successives, aboutissant à ce que la commission d'enquête sénatoriale de 2023 dénonçait comme « une politique publique en manque de constance et de lisibilité ». Et c’est bien là l’un des défis majeurs pour la planification écologique : maintenir le cap stratégique et accompagner les transformations structurelles, tout en résistant à la tentation des revirements conjoncturels, qui nuisent à la lisibilité et la crédibilité de l’action publique.
Cela ne signifie pas qu’il faille ignorer les demandes légitimes des acteurs professionnels dans un contexte économique difficile. Mais l’ambition politique portée par la refonte des dispositifs décidée en 2023 doit être conservée, et les mêmes constats peuvent parfois induire des solutions différentes :
- la réduction progressive de l’activité en matière de rénovations mono-gestes était l’un des effets recherchés par la réforme initiale, et n’appelle pas nécessairement un retour à l’ancien dispositif ; mais elle exige de tout mettre en œuvre pour faire décoller au plus vite le marché de la rénovation performante, qui offre un marché potentiel sans commune mesure pour les professionnels ;
- le ralentissement de l’activité de construction neuve (prévu depuis un certain temps) impose de développer une vraie stratégie de transition et de formation des professionnels pour répondre au besoin conséquent dans le secteur de la rénovation, enjeu par ailleurs bien identifié par la stratégie emplois et compétences du SGPE ;
- si la montée en puissance des accompagnateurs Rénov’ est identifiée comme un frein à l’activité, il faut tout mettre en œuvre pour l’accélérer au travers d’un « choc d’offre », capable de porter la dynamique dans les prochaines années ; limiter l’accompagnement par des tiers et simplifier les dispositifs porte à l’inverse le risque d’ouvrir encore davantage la porte aux fraudes potentielles ;
- et si les ménages ne déclenchent pas assez de projets de rénovations globales à la suite de la réforme du dispositif, il s’agit dans un premier temps de comprendre quels ajustements seraient nécessaires pour faciliter le passage à l’acte, plutôt que de restaurer le fonctionnement antérieur, qui avait justement été critiqué pour son inefficacité, et sa complexité.
Enfin, ce processus ne doit pas négliger ce qui fait la force principale du modèle de transition écologique à la française, depuis le Grenelle de l’Environnement jusqu’aux processus stratégiques menés l’année dernière : un effort de concertation fondé sur un diagnostic partagé et une volonté de co-construction des décisions avec l’ensemble des parties prenantes.