L'Organisation maritime internationale (OMI) progresse dans le processus de négociation de ses mesures de moyen terme visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre du transport maritime international. Les discussions récentes (17-21 février) ont montré que l'option d’une taxe est désormais soutenue par une large coalition, mais des incertitudes majeures subsistent quant à l'architecture globale et à l'utilisation des revenus générés. Ce billet de blog examine les progrès réalisés, le débat en cours sur une transition juste et équitable, et les prochaines étapes cruciales du processus.
La stratégie de l'OMI pour réduire ses émissions et les mesures de court terme
L'OMI réglemente le transport maritime international par le biais de la convention MARPOL1, qui régit la réduction de la pollution. Le transport maritime contribue à hauteur de 2 à 3 % aux émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES)2. En 2023, l'OMI a fixé un objectif global ambitieux de zéro émission nette d'ici 2050 environ, ainsi que des objectifs intermédiaires : une réduction de 20 à 30 % d'ici 2030 et une réduction de 70 à 80 % d'ici 2040. Pour tenir cet engagement, l'OMI négocie actuellement un ensemble de mesures juridiquement contraignantes, appelées mesures à moyen terme (Iddri, 2024), comprenant une norme plafonnant l'intensité carbone des carburants utilisés, et une composante économique, qui pourrait prendre la forme d'un mécanisme de tarification de toutes les émissions du transport maritime (une taxe) et/ou d'un mécanisme d'échange de crédits carbone, par lequel les navires dépassant la norme sur les carburants pourraient échanger des crédits avec des navires moins performants.
Progrès sur le projet d'amendement et soutien à la taxe
Le projet de texte juridique mettant en œuvre les mesures de moyen terme continue de prendre forme, de nombreux éléments clés étant désormais stabilisés. Les discussions ont notamment porté sur l'architecture de la mesure économique, qui prendra la forme soit d'un prélèvement universel, soit d'un mécanisme d'échange de crédits, soit d'une combinaison des deux.
La taxe reste l'option la plus soutenue, bénéficiant de l'appui de 70 % des signataires de l'annexe VI de la convention MARPOL, notamment les pays africains, les Petits États insulaires en développement (PIED), les pays les moins avancés (PMA) et des économies développées participant au débat (Fricaudet et al., 2024). Nombre de ces pays considèrent la taxe comme le moyen le plus efficace et le plus transparent d'encourager la réduction des émissions des navires et de générer des revenus qui peuvent être utilisés pour soutenir la transition vers des carburants net zéro et atténuer les effets négatifs disproportionnés sur les économies vulnérables. Toutefois, l'opposition de certains pays à revenu moyen et faible persiste, car ils craignent l'impact sur leur compétitivité commerciale.
Les discussions ont également précisé que toute mesure économique nécessiterait un fonds géré par l'OMI pour gérer la collecte et le décaissement des revenus, dont le volume est toutefois encore incertain. S'il est largement admis que les revenus devraient être utilisés pour récompenser l'adoption rapide de carburants à émissions de gaz à effet de serre nulles ou quasi nulles et pour financer la recherche, le développement, le déploiement et l'affectation précise de ces revenus reste une question controversée.
Pour une transition juste et équitable : exemptions ou revenus ?
L'un des thèmes centraux des discussions à l'OMI a été de savoir comment assurer une transition juste et équitable pour tous les pays, en particulier les plus vulnérables à l'augmentation des coûts du transport maritime. Le débat s'est articulé autour de deux approches distinctes : les exemptions ciblées ou la répartition des revenus.
Certains États membres préconisent des exemptions qui modifieraient les objectifs d'intensité des émissions pour les navires desservant les ports des pays vulnérables. Cela permettrait de réduire les coûts de mise en conformité pour les routes commerciales qui ont un impact disproportionné sur les pays à faible revenu. D'autres, en revanche, estiment que les exemptions pourraient compromettre l'intégrité environnementale de la stratégie de l'OMI et créer des distorsions de marché. La Clean Shipping Coalition a souligné le risque important que de larges exemptions affaiblissent la trajectoire de réduction des émissions et retardent l'adoption de carburants alternatifs.
L'autre approche, qui consiste à donner la priorité à la distribution des revenus, bénéficie d'un soutien plus large, y compris de la part des PEID et des PMA. Selon ce modèle, une partie des revenus provenant d'une taxe sur les GES ou d'un mécanisme de conformité serait affectée à l'atténuation des effets sur les économies vulnérables. Toutefois, l'ampleur des revenus générés dépendra de l’inclusion dans la mesure économique finale d’une taxe ou seulement d’un mécanisme d'échange de crédits, ce dernier devant générer beaucoup moins de revenus. En outre, les avis sont partagés quant à l'utilisation des revenus. La plupart des pays s'accordent sur le fait qu'une partie des recettes devrait soutenir la transition énergétique du secteur du transport maritime, notamment les incitations en matière de carburant, la recherche et le développement, la formation de la main d'œuvre et les infrastructures portuaires (c’est le volet « au sein du secteur » dans la figure 2, en notant toutefois qu'il s'agit d'une interprétation des auteurs plutôt que d'une définition officielle de l'OMI). De nombreux pays ne se prononcent pas sur l'utilisation des fonds à des fins autres que le secteur du transport maritime (« hors secteur » dans la figure 2), tandis que d'autres, moins nombreux, approuvent explicitement ce type d'utilisation. Certains pays s'opposent même à l'affectation des recettes à des initiatives hors secteur, en particulier en direction de la finance climatique (figure 2).
Toutefois, lors des discussions sur la sécurité alimentaire, environ la moitié des pays participants ont suggéré que la distribution des recettes pourrait contribuer à répondre à ces préoccupations (Iddri, 2025). La manière dont ces pays estiment que les revenus devraient être alloués n'est pas claire : soit vers les infrastructures portuaires, la RD&D (recherche, développement et déploiement) ou le renforcement des capacités de transport maritime pour les nations vulnérables à l'augmentation des coûts de transport, soit vers des investissements hors secteur tels que l'amélioration des systèmes de production et de la chaîne de valeur alimentaires.
Figure 1. Positions exprimées par les États membres au cours de l'ISWG-18 quant aux secteurs pouvant bénéficier des revenus générés par une taxe maritime (Fricaudet et al., 2024)
Note : les pays pouvant exprimer plus d’une position, la somme totale est supérieure au nombre de pays ayant exprimé une opinion.
Figure 2. Positions exprimées par les États membres au cours de l'ISWG-18 quant à l’utilisation des revenus générés par une taxe « dans » ou « hors » du secteur du transport maritime (Fricaudet et al., 2024)
Une option de compromis : quels impacts potentiels sur une transition juste et équitable ?
Afin de combler l’écart entre les partisans d'une taxe et ceux de l'échange de crédits, une option de compromis a été présentée, qui consiste en un mécanisme d'échange de crédits utilisant une approche par paliers dans laquelle les navires ayant des intensités d'émissions variables seraient soumis à différents niveaux d'obligations de conformité ; les navires utilisant des combustibles au-dessus d'une certaine intensité de carbone seraient soumis à un prix du carbone par tonne de CO2-e plus élevé que les navires du palier intermédiaire, et les navires du palier inférieur ne seraient soumis à aucun prix du carbone (Smith & Fricaudet, 2025).
Toutefois, une évaluation de cette approche (Smith & Fricaudet, 2025) montre qu'elle ne pourrait permettre de promouvoir efficacement une transition énergétique ou de garantir une transition juste et équitable, et ce pour deux raisons principales :
- des travaux de modélisation montrent que l'approche proposée pourrait créer une incertitude en matière d'investissement, car l'efficacité du système pour combler l'écart entre les carburants alternatifs et les carburants conventionnels dépendrait des niveaux imprévisibles de revenus générés ;
- en outre, cette approche ne générerait pas de revenus stables permettant de soutenir une transition juste et équitable, ce qui soulève des inquiétudes quant à sa capacité à traiter les effets négatifs disproportionnés. Smith & Fricaudet (2025) estiment que les mesures de moyen terme devraient permettre de collecter environ 800 milliards de dollars pour soutenir la transition énergétique vers une consommation nette zéro et garantir une transition juste et équitable. Une taxe pourrait générer ce niveau de revenus, mais l'option de compromis actuellement discutée ne serait pas en capacité de le faire.
En conséquence, la proposition n'a pas eu beaucoup de succès au cours de la semaine de négociation et reste une option en annexe plutôt qu'un élément central du projet d'amendement.
Les prochaines étapes seront cruciales
Les mois à venir seront décisifs pour finaliser l'architecture des mesures de moyen terme de l'OMI. Le calendrier d'adoption et de mise en œuvre est le suivant :
- printemps et automne 2025 : l'architecture générale des mesures économiques et techniques sera finalisée et adoptée lors de la réunion MEPC 83 et des réunions suivantes ;
- 2027 : mise en œuvre des mesures, marquant le début des obligations de conformité pour l'industrie du transport maritime.
Entre l'adoption des mesures de moyen terme et 2027, d'autres aspects de ces mesures seront développés dans des lignes directrices, en particulier sur l'analyse du cycle de vie (ACV) pour la comptabilisation des émissions des carburants, essentielles pour définir ce qui constitue des carburants à émissions nulles ou quasi nulles et pour garantir que les émissions sont mesurées de manière cohérente dans les différentes filières de production de carburants. En outre, des lignes directrices sur la distribution des revenus et la gouvernance des fonds seront nécessaires pour garantir que les mécanismes financiers soutiennent efficacement les pays vulnérables et facilitent une transition équitable. Si la décision générale sur la taxe OMI sera probablement prise au moment de la COP 30 sur le climat, le débat plus large sur la répartition des revenus entre « secteur » et « hors-secteur » ne sera probablement pas tranché avant un ou deux ans.
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Et ces émissions pourraient augmenter significativement d’ici 2050 (cf. Commission européenne)