Dans un Policy Brief publié en octobre 2017, l’Iddri constatait l’importance croissante – en France – de l’Agenda 2030 pour le développement durable des Nations unies et de ses 17 Objectifs de développement durable (ODD). À l’époque, le gouvernement français venait d’annoncer – par la voix de la secrétaire d’État au ministère de la Transition écologique et solidaire – l’élaboration d’une feuille de route sur les ODD. Lors d’une réunion interministérielle qui s’est tenue le 8 février 2018, dans le cadre du CICID (Comité interministériel à la coopération internationale et au développement), le gouvernement a réaffirmé son intention de disposer rapidement d’une feuille de route et en a dressé les grandes lignes : pilotage de haut niveau, revue des politiques publiques, inclusion des ODD dans le processus budgétaire et dans les études d’impact des futures lois.
Les ODD listent tous les grands défis à relever au niveau mondial et les besoins de transformation dans les modèles de développement des pays. Ils fixent des cibles à atteindre sur tous les sujets – de la faim dans le monde à l’éducation, en passant par les inégalités, la pollution, les changements climatiques ou la biodiversité –, et l’un des enjeux clés de leur mise en œuvre est de réussir à faire travailler ensemble tous les ministères et administrations, de faire « danser les silos ». Les pays testent actuellement diverses solutions, forcément dépendantes du contexte national, et il est heureux que les conclusions du CICID garantissent le portage des ODD par un comité interministériel. Comité qui devra – pour être efficace – être de suffisamment haut niveau pour mobiliser tous les ministères et les conduire à mettre leurs politiques publiques en cohérence avec les objectifs mondiaux.
Une nouvelle impulsion stratégique pour le développement durable
Le gouvernement a par ailleurs confirmé que ce travail poserait les bases d’une révision de la stratégie française de développement durable (SNDD) pour la décennie 2020-2030. Attirons l’attention ici sur deux points de vigilance. Le premier est de savoir si cette stratégie couvrira uniquement les enjeux environnementaux – comme elle le fait actuellement – ou l’ensemble des sujets des ODD – comme le fait par exemple l’Allemagne. Entre le risque du silo écologique et la méta-stratégie qui, en parlant de tout, risque de ne parler de rien, une solution intermédiaire pourrait émerger. Dans la logique de transversalité chère aux ODD, la future SNDD pourrait insister sur les liens entre les politiques environnementales et les politiques d’innovation, de coopération, de lutte contre la pauvreté, de commerce ou encore de fiscalité́. Le second point de vigilance est le degré de portage politique de cette stratégie qui déterminera si elle peut être un guide de moyen terme structurant pour l’action et le débat publics et mobilisateur pour les ONG, les entreprises et les investisseurs, ou un rapport de plus sur les étagères de la communauté du développement durable.
Sortir le développement durable de son propre silo
Pilotage interministériel, revue des politiques publiques, stratégie de développement durable… Toutes ces annonces issues du CICID sont importantes. Mais deux autres le sont tout autant, voire plus, dans la mesure où elles pourraient permettre aux ODD de sortir de leur propre silo du développement durable et d’influencer deux moments clés de la politique française : l’élaboration du budget et les débats sur les nouvelles lois.
La première annonce est que le gouvernement mettra en cohérence, « quand cela est pertinent et possible », ses indicateurs de performance budgétaire avec les ODD. À l’heure actuelle, le programme transport par exemple dispose de 7 indicateurs tels que la part des transports collectifs ou la part de marché des grands ports maritimes. Sont-ils suffisants pour suivre et piloter la nécessaire transition de la mobilité en France ? A minima, des indicateurs complémentaires – sur les véhicules alternatifs aux véhicules thermiques ou sur la précarité d’accès à la mobilité – devraient être envisagés. La révision des indicateurs de performance budgétaire à l’aune des ODD, si elle n’est pas faite a minima, pourra se révéler utile, en ce que les ODD fournissent un cadre global et cohérent. Ils pourraient aussi contribuer différemment à l’amélioration des discussions budgétaires. D’autres options, complémentaires, doivent être envisagées, en s’inspirant d’expériences réalisées à l’étranger et d’autres menées en France.
La France a en effet commencé à expérimenter l’utilisation de 10 « indicateurs de richesse » complémentaires au PIB (tels que l’empreinte carbone ou l’espérance de vie en bonne santé) pour son budget. La loi Sas de 2015 impose au gouvernement de publier chaque année un rapport sur les progrès de la France en amont des discussions budgétaires. Ce rapport et ces indicateurs n’ont malheureusement pas trouvé leur place dans le débat politique français – on attend d’ailleurs toujours le dernier rapport – or la mise en œuvre des ODD est l’occasion de leur donner un nouveau souffle. Différentes propositions existent pour cela, de l’OFCE ou même de l’Iddri, et d’autres sont déjà en discussion au Parlement.
Au-delà du budget, les ODD peuvent influencer un autre moment clé de la politique française : la conception des nouvelles lois. Dans ses conclusions du CICID, le gouvernement a annoncé que la France intégrera « quand cela est pertinent » les ODD dans la construction de la loi en proposant une analyse d’impact sur l’atteinte des ODD. La France soumet d’ores et déjà toutes ses propositions de loi à des études d’impact sur les différentes dimensions du développement durable. Mais ces études – peu connues – ne nourrissent que rarement le débat public et parlementaire ou le travail interministériel, et n’ont donc que peu d’impact sur la cohérence des politiques. Les ODD seront l’occasion de relancer ce chantier.
La France a accéléré dans la mise en œuvre des ODD. Les grandes lignes directrices de la future feuille de route actées par le gouvernement vont définitivement dans la bonne direction. Les ODD pourront-ils se révéler utiles, mobilisateurs, transformateurs ? Vont-ils avoir un impact concret sur les orientations et les politiques publiques françaises ? Ce sont les détails de la feuille de route, la traduction concrète des orientations gouvernementales qui en décideront.