La loi Climat et Résilience a acté la mise en place de zones à faibles émissions mobilité (ZFE-m) dans toutes les agglomérations de plus de 150 000 habitants d’ici 2025. Les ZFE-m représentent indéniablement un puissant levier pour la transformation du parc automobile, l’évolution des modes de transport, et l’amélioration de la qualité de l’air et la santé des populations les plus exposées, qui constitue un enjeu social et non seulement environnemental. Mais leur mise en œuvre fait l’objet de controverses en raison des impacts économiques et sociaux pour les usagers les plus fragiles économiquement, qu’ils soient particuliers ou professionnels. Pour réussir la mise en œuvre de ce dispositif et créer une dynamique collective d’acceptabilité, le débat doit se recentrer sur les conditions de mise en œuvre et la concertation avec les parties prenantes.

Les ZFE-m, un dispositif nécessaire pour la transition et l’amélioration de la qualité de l’air

La mise en place des ZFE-m a pour objectif de réduire la pollution atmosphérique dans les agglomérations, or le transport routier est la principale source de ces émissions polluantes (en particulier s’agissant des NOx dont les impacts sanitaires sont de mieux en mieux caractérisés). Selon une étude Santé Publique France1 , chaque année, la pollution de l’air provoque 48 000 décès prématurés. Les ZFE sont un levier pour agir à la fois sur l’amélioration de la qualité de l’air et sur l’atteinte des objectifs de réduction des émissions de CO2 du parc roulant. 

Ce dispositif s’inscrit dans un contexte règlementaire et pénal français et européen bien défini, porté notamment par les associations qui militent pour la santé des habitants des villes, qui impose de respecter des normes de qualité de l’air, et prévoit de supprimer progressivement la circulation et la vente des véhicules les plus émetteurs, en cohérence avec les règlementations CAFE2 et EURO3 qui imposent progressivement aux constructeurs de proposer une offre de véhicule sans émissions à l’usage (principalement électrique).  

Un calendrier jugé parfois trop ambitieux, source de tensions et d’inquiétude pour les populations fragiles impactées

En dépit de l’urgence climatique et sanitaire, le calendrier des étapes de restriction de circulation envisagé par certaines collectivités est jugé par certains trop ambitieux au regard des impacts économiques et sociaux pour les usagers les plus fragiles, qu’ils soient professionnels ou particuliers, mais également d’un point de vue technique et pratique, notamment concernant les moyens de contrôle.

Les conséquences sociales et économiques potentielles constituent un enjeu d’acceptabilité majeur qui préoccupe les collectivités en charge de la mise en œuvre des mesures de restriction. Ces dernières ont généralement pris la mesure des enjeux, et ont engagé les programmes d’investissements nécessaires, ainsi que le travail de communication et de concertation associé. Pour les plus proactives, elles se sont préparées à élargir l’offre des alternatives à la voiture individuelle pour les particuliers. Conscientes que ces offres ne suffiront pas à satisfaire les besoins des populations qui dépendent fortement de leur véhicule, des dispositifs d’accompagnement financiers pour la conversion vers des solutions moins polluantes ou encore des systèmes de dérogations temporaires ou ciblées sont en réflexion.

La qualité de la concertation et la pertinence et la justesse du ciblage des dispositifs d’accompagnement doivent être garanties au travers d’un travail approfondi de caractérisation des enjeux par type d’usager, par sous-territoire et en fonction des situations sociales. Le partage de cette compréhension objective des besoins ou des options est la condition d’un dialogue plus riche et apaisé, et de l’efficacité de solutions ciblées coconstruites. Elle permet par ailleurs au décideur public de sécuriser sa décision en dimensionnant précisément les besoins budgétaires des dispositifs d’accompagnement ou en précisant les conditions d’éligibilité pour accroître leur équité et par là même leur acceptation, mais aussi de définir précisément les formes de dérogation en fonction d’une évaluation des coûts sociaux et des bénéfices sanitaires associés. 

Alors que plusieurs métropoles ont pris de l’avance sur le planning d’implantation des ZFE-m et prévoient l’interdiction des véhicules Crit’Air 24 , les enquêtes mettent en évidence un niveau d’information et d’anticipation de la part des usagers concernés loin d’être satisfaisant. Ce décalage représente un potentiel point de cristallisation des tensions liées au coût de la transition pour les ménages ou les entreprises ou à des difficultés individuelles à opérer une transformation technique ou opérationnelle dans un délai si court. Une approche ciblée et proportionnée en matière de restriction ou de mesures d’accompagnement est indispensable pour éviter que ce dispositif soit simplement perçu comme un effort demandé aux plus précaires (possesseurs des véhicules les plus anciens et les plus émetteurs) pour le bien collectif, alors que les plus aisés ont les moyens de se tourner vers des technologies récentes et autorisées en toutes circonstances, ou des reports modaux plus aisés dans les centres urbains que les zones suburbaines. Ce constat a conduit l’Iddri à proposer une méthodologie et des outils innovants de caractérisation de ces impacts socio-économiques comme support du dialogue, de la concertation et de la prise de décision. Cette approche vise notamment à documenter le champs des possibles ou du souhaitable en termes de dérogation ou de discrétisation des contraintes, sans perdre de vue les objectifs sanitaires qui doivent rester la métrique de l’action. C’est également l’objet des études d’impact requises par le processus réglementaire avant la mise en place des arrêtés ZFE-m. 

Recentrer le débat autour des conditions de mise en œuvre et de succès

L’accompagnement des usagers précaires et dépendants de leur véhicule ne doit pas servir d’excuse pour réduire les ambitions sanitaires et environnementales, et remettre en question l’existence des ZFE-m5

L’enjeu est de réussir à définir des conditions d’implantation efficaces pour l’atteinte des objectifs, sans fragiliser ni exclure les populations en situation de précarité en matière de mobilité. Cette mise en œuvre requiert une préparation et un accompagnement d’une ampleur sans précédent, que ce soit en termes d’investissements, d’évolution des infrastructures, de moyens de contrôle ou encore de dispositifs de soutien pour répondre aux besoins spécifiques (leasing pour l’accès à un nouveau véhicule, notamment électrique ; dérogation temporaire ou ponctuelle ; infrastructure ; borne de recharge ; aide financière ; etc.).

Les conditions de mise en œuvre sont partie intégrante du débat autour des ZFE-m, et nécessitent un travail de fond qui déterminera l’acceptabilité du processus.

Vers une harmonisation du calendrier ? 

Enfin, la disparité des calendriers définis par les agglomérations ne contribue pas à la clarté du dispositif. L’agenda très ambitieux de certaines métropoles présente un risque politique, de tension ou de rejet relativement élevé en raison du manque de préparation et de travail sur les conditions de mise en œuvre, or l’échec d’un acteur précurseur pourrait nuire au dispositif. Une harmonisation du calendrier, en particulier pour l’exclusion des Crit’Air 2 qui représente une étape charnière dans la transition, pourrait permettre aux collectivités d’engager un travail de fond sur les conditions de mise en œuvre et d’acceptabilité. 

Conclusion 

À la suite de la publication des résultats de la mission « flash »6 sur les mesures d’accompagnement de la création des ZFE-m, il convient d’être vigilant à ce que le débat porte bien sur les conditions de mise en œuvre et la concertation avec les parties prenantes et non sur l’opportunité de la mesure en elle-même. L’enjeu est de garantir l’acceptabilité et le succès d’un dispositif local qui permet de répondre à un double enjeu prioritaire : sanitaire et climatique.