La Commission européenne a présenté cette semaine sa proposition d’objectif climat 2040 pour l’Union européenne. Prévue de longue date, sa publication est un signal important pour sécuriser la transformation économique dans laquelle l’UE s’engage et renforcer la crédibilité des ambitions climatiques vis-à-vis de ses partenaires extérieurs. Plus que sur le niveau d’ambition de l’objectif proposé, qui suit les recommandations scientifiques pour lutter contre la crise climatique et est aligné sur les objectifs déjà entérinés pour 2030 et 2050, cette proposition doit permettre de se concentrer sur les conditions de mise en œuvre pour accélérer la transition bas-carbone dans l’ensemble des secteurs des sociétés européennes.
Un signal attendu et nécessaire
La proposition d’objectif présentée cette semaine par la Commission est tout sauf une surprise. Attendue et préparée depuis de long mois, elle était prévue par la loi climat européenne, adoptée en 2021 dans le cadre du Pacte vert, pour publication dans les six mois suivant le premier Bilan mondial achevé lors de la COP 28 de Dubaï en décembre dernier. Elle fournit les bases d’un débat politique nécessaire aux niveaux européen et international. Sur le plan européen, elle permet de renforcer la prévisibilité pour les acteurs économiques en engageant la définition du cadre règlementaire post-2030, et en confirmant la trajectoire amorcée avec l’Accord de Paris sur le climat, sujet crucial pour des décisions d’investissement prises aujourd’hui. Sur le plan extérieur, elle vise à mettre l’Union en capacité de définir sa contribution aux efforts mondiaux d’atténuation du changement climatique, dont les prochaines mises à jour doivent intervenir avant la COP 30 prévue à Bélem (Brésil) en 2025 et qui porteront largement sur les contributions pour l’après-2030 de l’ensemble des États de la planète.
Cette proposition est donc une étape à la fois attendue et nécessaire qui réaffirme l’adhésion des Européens à une trajectoire de développement cohérente avec la lutte contre le changement climatique. Autre signal important, en proposant un objectif de -90 % d’émissions nettes de gaz à effet de serre, la communication de la Commission fait explicitement référence au travail du Comité scientifique européen sur le changement climatique, institution également créée par la loi climat de 2021, qui recommandait dès juillet 2023 l’adoption d’un objectif de -90 à -95 % d’émissions de GES. L’UE montre à cette occasion sa capacité à s’aligner sur des recommandations scientifiques pour organiser les débats politiques nécessaires sur la manière de traiter les crises environnementales. Ce chiffre qui peut paraître à première vue impressionnant est à comparer d’une part aux 30 % de réduction d’émissions nettes déjà réalisées par l’UE entre 1990 et 2021 et d’autre part à l’accélération nécessaire de la réduction des émissions nécessaires pour atteindre l’objectif 2030 traduit dans le paquet Fit for 55 récemment adopté. Atteindre -90 % d’émissions nettes en 2040 signifie prolonger le rythme de transformation nécessaire pour atteindre l’objectif 2030 dans la décennie suivante. L’analyse de la Commission le souligne en indiquant que prolonger le niveau d’ambition du cadre européen 2030 sur la période 2030-2040 permettrait déjà d’atteindre une réduction de -88 % en 2040.
Figure 1. Émissions historiques de l'UE27, objectifs climat 2030 et 2050 et proposition d'objectif 2040 de la Commission européenne
Source : Iddri, d’après Agence européenne pour l’environnement et Commission européenne
Un cadre pour organiser le débat qui rappelle le besoin d’accélération de la transition dès aujourd’hui
Ensuite, cette communication se contente d’une recommandation sur l’objectif et ne propose pas de nouvelles mesures règlementaires ou financières supplémentaires. Elle renvoie celles-ci, à raison, au travail de la prochaine Commission européenne dont le mandat découlera des élections de juin prochain.
Néanmoins la communication et l’analyse d’impact qui l’accompagne offrent des éléments de cadrage importants pour le débat européen, en particulier au regard de la montée d’un discours critique de la transition écologique et de ses conséquences. Ils montrent les gains pour l’UE à poursuivre une stratégie de décarbonation profonde de la société, au-delà même de la réduction des coûts économiques des dommages climatiques. Garder le cap permettrait aux Européens de retrouver des marges de manœuvre importantes en réduisant de moitié la dépendance aux importations énergétiques d’ici 2040, diminuant ainsi la vulnérabilité de l’économie européenne aux chocs provenant de la volatilité des marchés des énergies fossiles. Ils quantifient aussi les gains substantiels en matière de qualité de l’air, de protection des écosystèmes et de réduction des coûts pour les systèmes de santé.
Il est donc critique de bien situer l’enjeu du débat qui doit suivre, non pas tant en le centrant sur le niveau de l’objectif climatique 2040 proposé qu’en le focalisant sur les conditions et les moyens nécessaires d’accélération de la transition dans l’ensemble des secteurs d’activités en Europe aujourd’hui. Or, cette accélération n’est à ce jour pas garantie, comme le soulignent l’analyse préliminaire des plans nationaux énergie-climat et le travail d’analyse de l’Agence européenne de l’environnement.
Une identification des enjeux clés et une méthode de dialogue à construire
Un autre apport de cette communication de la Commission est le rappel du chemin parcouru depuis 2019. Dans tous les secteurs économiques, elle part de l’acquis du Pacte vert pour identifier les défis, points de blocages et débats importants sans anticiper les réponses à ce stade. Deux conditions transversales de réussite sont mises en avant comme déterminantes dans l’ensemble des secteurs : assurer les conditions de la compétitivité durable pour l’économie européenne et engager des approches et réformes en soutien à une transition juste. Ces conditions de réussite mettent les acteurs économiques et les citoyens au centre des actions à mener, et soulignent l’importance de l’accompagnement du changement, la nécessité de bâtir des emplois et des compétences, ainsi que les enjeux redistributifs des politiques de transition : conditions cruciales pour accélérer, mais aussi renforcer le soutien politique à la transition écologique et points d’entrée importants pour définir les priorités d’action du prochain cycle européen.
Enfin, point notable, une méthode pour organiser le débat est proposée avec l’idée de prolonger l’approche des dialogues stratégiques sur l’industrie et l’agriculture lancés à la fin 2023 dont un premier point d’étape est prévu au mois d’avril. Cette méthode de dialogue reste néanmoins à construire et gagnerait à être clarifiée tant dans son périmètre que son organisation. S’agit-il d’un forum ad hoc pour préparer l’agenda de la prochaine Commission et le cadre règlementaire post-2030 ? S’agit-il de la mise en place d’une structure pérenne pour informer les décisions de l’UE ? Sur des sujets qui posent nécessairement des questions essentielles pour le projet européen, y compris celle de la bonne répartition des rôles entre l’échelon européen et les États membres, il faudra des délibérations suffisamment inclusives et sans angles morts pour donner du grain à moudre aux décisions par essence politiques qui suivront afin d’accélérer la transition, y compris dans des secteurs dont la transition semble aujourd’hui bloquée.
Héritage de la Commission qui achève son mandat, cette proposition n’est que le point de départ d’un débat qui continuera d’animer l’UE dans les prochains mois, celui de la suite à donner au Pacte vert, à commencer par la campagne des élections européennes du mois de juin prochain et la définition de l’agenda de travail de la future Commission. Un débat dans lequel l’Iddri va continuer à s’engager en décryptant les débats nationaux, produisant un état des lieux du Pacte vert, et dans le cadre de ses travaux thématiques.