Troisième dimension de la crise environnementale globale avec le climat et la biodiversité, la pollution par les produits chimiques et les déchets est appelée à être traitée au niveau mondial par une plateforme internationale à l’interface science/politique placée sous l’égide des Nations unies. La première réunion du groupe de travail dédié à la mise en place de cette plateforme s’est tenue il y a quelques semaines à Bangkok (Thaïlande) ; l’Iddri était présent sur place et analyse dans ce billet de blog les enjeux techniques, scientifiques et (géo)politiques liés à l’émergence de ce « Giec chimie », nouveau venu dans la gouvernance internationale de l’environnement.
Objectifs et mandat de la future plateforme intergouvernementale
La création d’une plateforme internationale science/politique « sur les produits chimiques, les déchets et les pollutions » a fait l’objet d’une décision favorable de principe lors de la cinquième réunion de l’Assemblée des Nations unies pour l’environnement (ANUE-5) qui s’est tenue à Nairobi en février-mars 2022 (en même temps qu’était lancée la négociation d’un traité international sur la pollution plastique). Un groupe de travail à composition non limitée (OEWG en anglais) a été mis en place, accompagné d’un mandat précis et détaillé tant sur le processus de la négociation que sur les questions qu’elle devra résoudre. À Bangkok s’est tenue fin janvier/début février 2023 la seconde partie de la première réunion de ce groupe qui en comportera quatre, en vue d’aboutir en 2024 à une conférence intergouvernementale.
L’objectif de la mise en place de cette plateforme est de fournir « un appui aux mesures relatives aux produits chimiques, aux déchets et à la prévention de la pollution » et mener, à ce titre, les activités suivantes :
- effectuer un tour d’horizon prospectif pour recenser les questions relevant de la décision politique et proposer des solutions fondées sur des données probantes ;
- procéder à l’évaluation des problèmes actuels et des solutions possibles ;
- fournir des informations pertinentes, identifier les lacunes dans les connaissances scientifiques ;
- faciliter l’échange d’informations entre pays et, en particulier, avec les pays en développement.
Le Groupe de travail doit produire des propositions sur :
- la structure institutionnelle de ce panel, qui devra être « intergouvernemental et indépendant », à l’exemple du Giec (climat) et de l’IPBES (biodiversité) ;
- son champ de compétence ;
- ses fonctions ;
- ses relations avec, notamment, les accords multilatéraux, les organisations internationales concernées telles l’OMS et la FAO et les parties prenantes telles l’industrie et les ONG ;
- le processus d’établissement du programme de travail.
D’autres questions, telles que les modalités de désignation des experts, les procédures d’adoption des évaluations, le secrétariat, le budget et le règlement intérieur doivent également être traitées.
Lors de la réunion de Bangkok, les États ont pu faire part de leur vision des objectifs, du champ de compétence et des fonctions de ce nouveau panel et de leurs préoccupations notamment relatives à la bonne coordination avec les institutions existantes, particulièrement nombreuses dans le domaine des produits chimiques.
Les objectifs du futur panel ont été réécrits, mais restent à entériner. Son champ de compétence a par ailleurs fait l’objet d’un premier examen. Les quatre catégories d’activités mentionnées ci-dessus ont été confirmées. Elles débordent quelque peu les fonctions du Giec et de l’IPBES (qui servaient de référence), notamment par l’introduction du thème « mener un tour d’horizon prospectif » (« horizon scanning ») qui confère une mission de prospective à cette plateforme.
Recherche et capacités, une attente des pays en développement
Outre ces activités, les groupes Afrique et GRULAC (pays latino-américains et caribéens) ont proposé que la plateforme contribue à la construction des capacités, et ce en tant que cinquième fonction qui s’ajouterait à celles mentionnées dans le mandat de l’ANUE. Là où l’Union européenne propose de limiter les fonctions de construction des capacités à l’appui aux activités de la plateforme, les groupes Afrique et GRULAC développent une vision très ambitieuse des missions de la plateforme dans ce domaine.
La question des capacités et de leur distribution inégale est en effet légitime dans la mesure où il existe un écart considérable entre les moyens des pays dans le domaine de la recherche scientifique. Selon l’Unesco, alors que les dépenses moyennes en recherche et développement s’élevaient à 2,63 % du PIB mondial en 2020, elles atteignaient 0,27 % pour les PMA et 0,32 % pour l’Afrique sub-saharienne contre 3,30 % pour l’Amérique du Nord. Les écarts sont considérables entre, par exemple, la Corée du Sud (4,81 %) ou Israël (5,44 %) et des pays comme le Myanmar (0,15 %), le Pérou (0,17 %) et même la Russie (1,10 %). Le nombre de chercheurs par million d’habitants, autre indicateur, donne 178 en moyenne pour les pays à faibles revenus contre 4 689 pour le groupe des pays à revenus élevés et 1 341 en moyenne mondiale. On note également qu’hormis des universités chinoises, aucune université des pays en développement ne figure dans les cent premières du classement de Shanghai. L’Objectif de développement durable relatif à la recherche et au développement n’est ainsi certainement pas en passe d’être atteint.
Cette situation ne peut qu’avoir des conséquences sur l’accès des chercheurs et des chercheuses des PED à la participation aux travaux de la plateforme pour la production d’évaluations1 . Il est important que cette dimension soit prise en compte pour respecter le critère de l’équilibre géographique même s’il s’écoulera du temps pour un début de rapprochement des potentiels scientifiques d’un pays à l’autre dans les champs scientifiques concernés. Ce sujet ne peut évidemment pas relever de la seule compétence des plateformes science/politique. L’Unesco y travaille avec le soutien des agences de financement.
Cette problématique des capacités s’ajoute aux nombreuses questions mentionnées par la résolution de l’ANUE déjà abordées qui vont faire l’objet de travaux en intersessions en vue d’une nouvelle réunion envisagée fin 2023/début 2024.
Le développement des plateformes au risque de la fragmentation
Le succès des plateformes science/politique représente une avancée incontestable dans la gouvernance mondiale de l’environnement qui, comme on le voit, demeure vivace au moment même où le multilatéralisme politique, stratégique et commercial est en difficulté. La tentation est de poursuivre dans cette voie avec de possibles plateformes sur les océans ou sur les pandémies. N’est-ce pas un rôle fondamental des Nations unies de que fournir une information partagée et légitime sur les grands problèmes de la planète et de contribuer, ce faisant, à une approche commune des bases scientifiques de l’action publique ?
Mais un risque de fragmentation existe qu’il convient de bien apprécier. L’articulation entre climat et biodiversité et leurs plateformes respectives s’est déjà posée avec acuité. Le besoin d’approches intégrées figure dans la résolution de l’ANUE ; il a été rappelé par de nombreuses délégations et reste à concevoir y compris en termes de gouvernance.
La plateforme chimie touche un ensemble de questions complexes et on doit encore répondre à de nombreuses interrogations telles que son champ précis de compétences (tous déchets et toutes pollutions, ou restrictions aux déchets et pollutions liés aux produits chimiques y compris plastiques ?) et son interface avec les conventions et autres processus portant sur les produits chimiques, étant entendu que son mode de fonctionnement interne devrait s’apparenter au Giec et à l’IPBES.
Quoiqu’il en soit, il est important de réussir la mise en place de cette nouvelle plateforme qui porte sur des enjeux cruciaux d’environnement et de santé. La volonté politique semble présente, et le retentissement des travaux du Giec et de l’IPBES a créé une dynamique incontestable qui devrait permettre de déboucher sur une mise en place en 2024/2025.
- 1 Voir Andreas Baldi, Brigitte Palotas (2020). “How to diminish the geographical bias in IPBES and related science”, Conservation Letters, 11 novembre 2020. Voir aussi Fatila Arkin (2018). « Peu de femmes dans la rédaction des rapports sur le climat », SciDev.Net, 17 octobre 2018.