Le projet de loi de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, présenté en Conseil des ministres le 11 mars 2020, vise à confirmer l’évolution structurelle de la politique de développement et affiche une volonté claire de l’inscrire dans le cadre de l’Agenda 2030 pour le développement durable et de ses Objectifs de développement durable. Cette inflexion est-elle à la hauteur de l’enjeu de cohérence des politiques publiques ?

L’esprit de la loi 

Le projet de loi sur le développement, qui a vocation à remplacer celle du 7 juillet 2014, qui avait été adoptée pour une durée de cinq ans (2014-2019), devrait être soumis en première lecture à l’Assemblée nationale avant l’été. Il a récemment été discuté avec les membres du Conseil national pour le développement et la solidarité internationale (CNDSI) et du Conseil économique, social et environnemental (CESE). Il se compose d’un exposé des motifs, de neuf articles et du cadre de partenariat global en annexe (qui fixe les grandes orientations, la stratégie renouvelée, les modalités centrales et locales de pilotage ainsi que le cadre de résultats de la politique de développement solidaire et de lutte contre les inégalités mondiales). 

Le projet de loi est censé, selon les termes employés par le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian devant le CESE, permettre « d’arrêter le saupoudrage ». Il confirme d’abord la volonté de renforcer l’aide en faveur des pays les plus vulnérables et le pilotage central (renforcement du rôle de l’Agence française de développement et de sa tutelle), également dans les pays partenaires (instauration de conseils locaux de gouvernance sous l’égide de l’ambassadeur), de la politique de développement. Par rapport aux orientations générales, il reprend l’essentiel des orientations décidées par le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) du 8 février 20181 , comme l’effort de ciblage de la politique française de développement solidaire sur l’Afrique subsaharienne, à travers les 19 pays prioritaires, et les axes prioritaires (crises et fragilités, éducation, climat et environnement, égalité femmes/hommes, santé, sécurité alimentaire, eau et assainissement, croissance inclusive et durable, et gouvernance).   

Pour la première fois, une loi sur le développement introduit des dispositions budgétaires : y est ainsi  déclinée la programmation des crédits concourant à la politique de développement sur la période 2020-2022, en vue d’atteindre l’objectif d’une aide publique au développement représentant 0,55 % du revenu national brut en 2022. Si le projet mentionne l’objectif historique d’atteindre 0,7 %2 , aucune date n’est indiquée ; ce point a été relevé par de nombreux acteurs (ONG, CESE), qui plaident pour que la loi mentionne clairement l’échéance de 2025. Une clause de révision anticipée est en effet prévue avant la fin de l’année 2022 sur le volet financier de la loi. En 2014 et 2015, l’APD française était descendue à 0,37 %. La loi vient ici confirmer l’augmentation initiée depuis 2016, qui se fera majoritairement en faveur de l’aide bilatérale, et bénéficierait pour partie aux ONG.

Ce projet de loi est le premier depuis l’adoption des trois accords multilatéraux majeurs de 2015 : le programme d’action d’Addis-Abeba, l’Agenda 2030 pour le développement durable et l’Accord de Paris sur le climat. La référence à l’Agenda 2030 et aux ODD y est omniprésente, à plusieurs niveaux : cadre de référence global, mention d'ODD individuels (ODD 6 relatif à l’eau, 8 à la croissance durable et 17 aux partenariats, notamment), et intégration d'indicateurs ODD dans le cadre de résultats ; la mention dans le titre même de la loi de la lutte contre les inégalités s’inscrit dans cette logique. 

On peut toutefois regretter que ces références ne prennent pas toujours assez explicitement en compte les promesses de l’Agenda 20303 , en particulier son caractère intégré. L’approche « en silos », déjà présente dans la loi précédente, domine encore, or les interactions et les frictions entre ODD devraient être traitées. Le CESE déplore ainsi que le lien entre chaque priorité et les ODD ne soit pas systématiquement explicité ; de même, l'articulation entre les différentes priorités thématiques (par exemple biodiversité et agriculture), et entre celles-ci et les priorités géographiques, n'est pas précisée. Cette cohérence globale permettrait pourtant de définir une stratégie véritablement intégrée.

Les enjeux d’une stratégie intégrée

L’enjeu de la cohérence des politiques publiques est bien mentionné dans le projet de loi. Plusieurs acteurs plaident pourtant pour que celui-ci soit plus précis sur les moyens qui permettront de s’assurer de la cohérence entre les objectifs et pratiques de la politique de développement de la France et ceux de ses autres politiques que le projet cite clairement : politiques sociale, commerciale, fiscale, migratoire, de sécurité et de défense, de recherche et d’innovation, et d’appui aux investissements à l’étranger. Ce n’est pas une problématique nouvelle, mais les réponses concrètes manquent, et dépassent le seul espace de cette loi. 

Dans quelle mesure l’ancrage de la loi dans l’Agenda 2030 peut-il permettre de renforcer la cohérence des politiques ?

Le renforcement de l'évaluation est un axe assez fort du projet de loi avec la création d'une nouvelle commission, rattachée à la Cour des comptes. Pour répondre aux ambitions affichées, il faudra s’assurer que cette commission s'approprie le cadre et les promesses de l’Agenda 2030 pour ces évaluations. On voit déjà dans une vingtaine de pays les institutions de contrôle des finances publiques commencer à jouer un rôle important en évaluant de plus en plus l'état de préparation des gouvernements à la mise en œuvre des ODD tant sur le plan interne qu’externe. 

En outre, l’article 3 de la loi met à jour le cadre de référence des politiques publiques menées par l’État et les collectivités territoriales en fonction de l’Agenda 2030 et des ODD. Cela sera-t-il suffisant, par exemple, pour renforcer l’usage de la loi « Eva Sas »4  sur la prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques ? Il aurait été utile de reprendre l’engagement du CICID5  d’intégrer, lorsque cela est pertinent, l’Agenda 2030 dans la construction de la loi, en proposant une analyse d’impact sur l’atteinte des ODD dans le cadre des textes et documents de nature législative, en concertation avec le Parlement.

Une autre piste de renforcement de la cohérence pourrait être de procéder à une meilleure lisibilité et évaluation du projet de loi de finances à l’aune de l’Agenda 2030 et des indicateurs des ODD. Plusieurs pays (Finlande, Norvège, Colombie, Indonésie, etc.) se sont lancés dans de tels processus d’analyse et alignement de leurs budgets nationaux avec cet agenda.

Toutes ces pistes mériteraient d’être creusées pour renforcer la cohérence des politique publiques de la France, et plus particulièrement l’efficacité de cette loi sur le développement solidaire et la lutte contre les inégalités mondiales.


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