Le 11 novembre, le gouvernement allemand a définitivement adopté son Plan de protection du climat à l’horizon 2050, longtemps attendu (résumé en anglais ici). L’adoption du plan est le fruit d’un processus de deux ans de développement technique, de consultations publiques intensives et de mésententes ministérielles sur les objectifs par secteurs d’ici 2030. Néanmoins, grâce à une entente de dernière minute, la ministre de l’Environnement, Barbara Hendricks, dispose désormais d’un plan à l’horizon 2050 (comprenant des objectifs sectoriels pour 2030) qu’elle a présenté à la COP22 à Marrakech, soulignant ainsi l’engagement de l’Allemagne vis-à-vis de l’Accord de Paris. Que devons-nous penser de ce nouveau plan allemand ?
Que dit le plan ?
Le plan définit une stratégie globale pour atteindre l’objectif allemand actuel d’une réduction des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050 de 95 % par rapport aux niveaux de 1990. Il présente ainsi un aperçu des transformations nécessaires requises dans chacun des principaux secteurs émetteurs de l’économie – comme le bâtiment, l’énergie, l’industrie, l’occupation des sols, etc. – pour atteindre cet objectif. Le plan entame également la traduction de ces stratégies de transformation sectorielle en objectifs et mesures à court terme. Par exemple, des objectifs sont fixés pour réduire les émissions d’ici 2030 dans les secteurs du bâtiment (-66-67 %), de l’énergie (-61-62 %), de l’industrie (-49-51 %), des transports (-40-42 %), et de l’agriculture (-31-34 %), par rapport aux niveaux de 1990. Les types de mesures qui seront nécessaires pour atteindre ces objectifs sont également listés, comme par exemple augmenter les incitations aux rénovations énergétiques profondes et échelonnées dans le secteur du bâtiment, veiller à ce que la plupart des voitures neuves soient électriques d’ici 2030, réformer la fiscalité environnementale, réduire les engrais azotés, etc. Si les cibles 2040 et 2050 ne sont pas précisées par secteurs, le plan indique les grandes lignes des orientations d’ici 2030 et au-delà en énonçant les grands principes d’action, ainsi que certaines étapes pratiques importantes pour la préparation de ces objectifs. Bon nombre de ces mesures sont très positives et conformes aux idées et recommandations qui ont émergé des scénarios « non officiels » de décarbonation à l’horizon 2050 pour l’Allemagne, comme ceux présentés dans le cadre du projet Deep Decarbonisation Pathways. Le plan allemand 2050 reconnaît également la nécessité d’accélérer l’amélioration de la transition nationale par rapport à sa trajectoire actuelle, comme l’Iddri l’a récemment préconisé tant pour l’Allemagne que pour l’UE dans son ensemble.
Émissions de GES, cibles et objectifs sectoriels de l'Allemagne (MtCO2eq) Source: Iddri, d’après des données de (BMUB, 2016) Klimaschutzplan 2050 ; Agence fédérale allemande pour l’environnement.
Dans le même temps, le plan passe sous silence certains problèmes importants qui devront être réglés pour que l’Allemagne puisse atteindre ses objectifs de 2050. Par exemple, la décision d’éliminer les centrales au charbon bien avant 2050 a été retirée de la version finale du plan. Les objectifs pour 2030 en matière de transport ont été édulcorés en raison des pressions de l’industrie. Par ailleurs, le plan n’évoque pas assez la façon dont les Allemands pourraient être incités à faire d’importants changements comportementaux, comme manger moins de viande rouge. En outre, bien qu’il fasse de son mieux pour être cohérent avec l’action mondiale visant à atteindre l’objectif de « moins de 2 °C », le plan reconnaît son incompatibilité avec l’objectif de 1,5 °C introduit à Paris (voir graphique).
Trajectoires des émissions de GES en Allemagne Source: Iddri, d’après des données de l’Agence fédérale allemande pour l’environnement
Que signifie le plan pour la politique climatique allemande ?
Pour l’Allemagne, le plan est un outil imparfait pour atteindre les objectifs du pays, mais il représente incontestablement un grand pas en avant. Comme nous l’avons indiqué, il existe encore des contradictions entre ce que le plan considère comme nécessaire et les actions spécifiques qui sont proposées, et davantage de détails quantitatifs sur les transitions de chaque secteur au-delà de 2030 auraient sans doute été souhaitables. Mais ces faiblesses du plan doivent également être replacées dans leur contexte, et notamment l’approche à grands pas de l’élection fédérale allemande en septembre 2017. Mais surtout, on ne peut pas s’attendre à ce qu’un seul exercice de planification permette de résoudre toutes les questions sociales, économiques et politiques devant être abordées pour décarboner complètement une économie aussi grande que l’Allemagne. Au contraire, ces exercices permettent de lancer et de structurer un processus visant à résoudre ces problèmes, comme l’explique un récent document de l’Iddri sur les leçons tirées par les équipes DDPP. Si on l’évalue suivant ces critères, le plan invite à l’optimisme.
- Premièrement, le plan fait suite à près de 2 années de travaux analytiques intensifs, de débats nationaux et de consultations publiques au sujet de la voie à suivre pour la politique climatique nationale. Cela donne aux décideurs une base assez solide pour mettre en œuvre les orientations, les cibles et les mesures qui sont déjà dans le plan.
- Deuxièmement, si le processus a permis d’identifier d’importantes difficultés économiques et politiques de mise en œuvre, il a aussi permis de mettre l’accent directement sur les bonnes questions dans ces débats politiques. Par exemple, même s’il manque encore un plan d’élimination des centrales au charbon, le gouvernement a reconnu le besoin d’élaborer des plans régionaux de transition industrielle pour les zones minières de lignite dans un premier temps. On peut ainsi voir comment les résultats de l’exercice de planification pourraient mettre en mouvement d’autres travaux indispensables pour débloquer certains enjeux parmi les plus difficiles.
- Troisièmement, le plan reconnaît ses lacunes et, par conséquent, il sera révisé tous les cinq ans, conformément aux cycles d’ambition de l’Accord de Paris. La possibilité d’explorer les implications de 1,5 °C n’est pas non plus exclue par ce plan, qui n’a pas de statut juridique. Une certaine place a délibérément été laissée pour l’amélioration. Les futures révisions seront étayées par de nouveaux arrangements de gouvernance qui devraient aider à renforcer le plan au fil du temps. Cela comprendra un renforcement du rôle d’un comité consultatif indépendant pour conseiller les gouvernements successifs et la création d’une nouvelle commission sur les mutations structurelles.
Que signifie ce Plan pour l’Accord de Paris?
Malgré ses imperfections, le plan 2050 de l’Allemagne démontre le véritable engagement de la plus grande économie européenne à honorer l’Accord de Paris. C’est aussi un rappel opportun que le processus de Paris ne se réduit pas à une élection américaine. Cependant, pour que l’engagement de l’Allemagne continue à être significatif, d’autres éléments sont nécessaires. Premièrement, l’Allemagne devra continuer à améliorer les faiblesses de son plan de 2050 – et relativement vite. Par exemple, si l’Allemagne ne parvient pas à accepter l’élimination des centrales au charbon polluantes bien avant 2050, il sera difficile d’exiger que des pays beaucoup plus pauvres le fassent. Par ailleurs, l’engagement de l’Allemagne envers l’Accord de Paris pourrait rapidement sembler insignifiant si d’autres pays ne suivent pas son exemple avec leurs propres plans (sérieux) à l’horizon 2050. D’autres pays de l’UE, en particulier, doivent lui emboîter le pas. Mais qu’on ne s’y trompe pas, ce n’est pas une tâche facile. Et ce n’est pas censé l’être : la valeur principale d’un plan à long terme est de rendre explicite les choix difficiles qui doivent être faits, les compromis et les avantages, comme le montre l’expérience allemande. Et il est urgent que chaque pays s’engage sérieusement dans cet exercice d’élaboration de stratégie à plus long terme.