Le nouvel accord sur la conservation et l'utilisation durable de la diversité biologique marine dans les zones situées au-delà de la juridiction nationale (BBNJ) établit un processus dédié à la création d'aires marines protégées (AMP). Ce billet de blog se penche sur la question de la gestion future de ces AMP en se basant sur des discussions qui ont eu lieu lors d'un atelier d'experts organisé par l’Iddri le 27 mars 2024.
Préparer la mise en œuvre
L'accord BBNJ établit une procédure spécifique pour la création d'AMP en haute mer, qui comprend la soumission de propositions d'AMP par un ou plusieurs États parties, une évaluation par un organe scientifique et technique (STB), une phase de consultation et une adoption formelle qui peut se faire par un vote à la majorité des trois quarts. Les propositions d'AMP doivent inclure un "projet de plan de gestion englobant les mesures proposées et décrivant les activités de surveillance, de recherche et d'examen proposées pour atteindre les objectifs retenus"1 . Si ces dispositions constituent les fondements de la mise en place des AMP en haute mer, de nombreuses inconnues subsistent quant aux modalités pratiques de leur gestion.
La première COP du traité haute mer devra décider des modalités de fonctionnement de l'ensemble du cadre institutionnel, tel que le STB, qui permettra de soumettre des propositions d'AMP. Les efforts en cours pour conserver la mer des Sargasses ont montré que l'engagement des parties prenantes, la collecte des connaissances scientifiques et traditionnelles et la formulation d'un projet de plan de gestion prennent beaucoup de temps et de ressources. C'est pourquoi les États, les scientifiques, les organisations de la société civile, les organisations intergouvernementales et les autres parties prenantes ne devraient pas attendre l'entrée en vigueur de l'accord BBNJ pour commencer à préparer des propositions de futures AMP en haute mer. Il est à cet égard essentiel d'identifier le bon scénario de gestion et d'anticiper les défis opérationnels pour créer et maintenir le soutien politique nécessaire au bon fonctionnement des AMP de haute mer.
Trois scénarios de gestion des AMP
L'expérience des AMP dans les eaux sous juridiction nationale montre que les modèles de gestion sont généralement basés sur : (i) des objectifs de conservation, le plus souvent inclus dans des plans de gestion et de mise en œuvre ; (ii) un organe de gestion spécialement créé avec un personnel de taille variable ; et (iii) un budget dédié avec des ressources provenant de diverses sources. En revanche, seule une poignée d'AMP ont été créées en haute mer, de sorte que l'expérience à cet égard reste limitée. De plus, les meilleures pratiques et les leçons apprises concernant les AMP établies au niveau national ne sont pas toutes applicables au contexte de la haute mer.
En haute mer, les États du pavillon sont responsables de l'exercice effectif de la juridiction et du contrôle des navires battant leur pavillon2 . Les États parties à la Convention pour la conservation de la faune et de la flore marines de l'Antarctique (CCAMLR) et à la Convention pour la protection du milieu marin de l'Atlantique du Nord-Est (OSPAR) ont créé des AMP en haute mer. Ces AMP n'ont pas d'organe de gestion spécifique chargé de superviser ce qui s'y passe au quotidien ; la gestion repose principalement sur leurs membres et sur la coopération et la coordination avec les autres organisations régionales et internationales compétentes dans la zone.
Sur la base des dispositions du traité BBNJ et des pratiques existantes en haute mer, il est possible d’identifier trois scénarios pour la gestion future des AMP en haute mer :
- Scénario 1 : le maintien du statu quo, c’est à dire sans organe de gestion spécifique, et à travers une gestion basée sur la coopération et la coordination entre les organisations existantes ;
- Scénario 2 : un modèle de gestion centralisée par l'intermédiaire d'un organisme compétent pour toutes les AMP en haute mer, par exemple sous l'égide du secrétariat du traité haute mer ;
- Scénario 3 : un modèle décentralisé avec un organe de gestion par AMP qui sera hébergé soit dans une organisation régionale ou sectorielle existante, soit via la création d’une autorité spécialement créé à cet effet
Les États parties à l'accord BBNJ peuvent d'ores et déjà commencer à réfléchir à la faisabilité et à l'opportunité de chaque scénario. Faut-il créer un organe de gestion spécifique pour chacune des futures AMP en haute mer ? Ces organismes doivent-ils être spécialement créés ou peuvent-ils être hébergés au sein d'organisations existantes ? Quels seront les besoins en personnel ? Un mécanisme de gestion centralisée de toutes les AMP en haute mer serait-il préférable, par exemple par l'intermédiaire du futur secrétariat du traité ? Quels seraient les avantages et les limites de chaque scénario ? Quelles conséquences sur les relations avec les organisations compétentes existantes ?
La solution la plus appropriée dépendra certainement du contexte institutionnel dans lequel l'AMP sera créée, mais, dans tous les cas, il semble essentiel de disposer d'un mécanisme de gestion et/ou d'un personnel dedié pour assurer la coordination avec les organisations intergouvernementales concernées (l'Organisation maritime internationale et les organisations régionales de gestion de la pêche, par exemple). L'accord BBNJ ne devant pas porter atteinte aux organisations existantes, la coopération et la coordination sont donc essentielles pour l'efficacité des futures AMP en haute mer. Dans le même temps, un mécanisme de contrôle centralisé à l'échelle mondiale permettrait d'intégrer des considérations de transparence et d'inclusivité.
Gestion collective versus leadership individuel
La haute mer étant un bien commun mondial, les AMP doivent être gérées par le biais de mécanismes de coopération intergouvernementale. Toutefois, certains États sont plus actifs que d'autres en fonction de leur volonté politique et de leurs capacités. L'expérience des AMP existantes en haute mer montre que leur gestion repose à la fois sur des mécanismes de collaboration et sur les contributions de certains États. Dans le contexte de la CCAMLR, par exemple, certains membres fournissent des contributions en nature telles que des patrouilles avec des navires ou des avions, ainsi que des activités de recherche dans la région. Le niveau de leurs contributions est souvent basé sur leurs budgets nationaux ainsi que sur leurs intérêts géopolitiques, économiques ou de défense.
La question est donc de savoir comment équilibrer la nécessité d'une gestion collective et la contribution spécifique de chaque pays. Alors que certains États « adjacents » à des sites proposés pour des AMP en haute mer pourraient être disposés à jouer un rôle de champion (en termes de financement, en nature ou de moyens de contrôle, par exemple), on ne peut attendre des promoteurs qu'ils jouent un rôle plus important en termes de financement ou d'application, car cela pourrait décourager les promoteurs potentiels de soumettre une proposition. Le leadership politique ne repose sur aucune méthodologie standardisée, de sorte qu’il est essentiel d'établir des relations et de maintenir l'intérêt pour les AMP en haute mer.