Le Pacte vert (Green Deal), proposé par la Commission d’Ursula Von der Leyen, fixe les lignes directrices d’un projet ambitieux pour tout le continent européen : assurer une transition juste vers une société neutre en carbone, qui préserve les écosystèmes. Sa réussite ne peut passer que par un alignement de l’ensemble des politiques sectorielles vers cet objectif. La réforme de la Politique agricole commune (PAC) apparaît dans cette perspective comme une pièce essentielle de la mise en œuvre du Pacte vert, du fait de son importance à la fois globale (elle représente le premier poste budgétaire de l’UE) et sectorielle (elle a structuré de part en part les transformations du système alimentaire européen depuis son lancement en 1962). Ce billet de blog identifie trois inflexions nécessaires pour que la réforme de la PAC engagée en juin 2018 joue pleinement son rôle de « catalyseur » du Pacte vert.
Atteindre les objectifs du Pacte vert : une nécessaire transformation du système alimentaire européen
S’appuyant sur les conclusions récentes du Giec (rapport spécial sur les terres) et de l’IPBES (évaluation globale), le Pacte vert souligne la nécessaire transformation du système alimentaire européen pour prendre en charge les objectifs de neutralité carbone et de conservation des écosystèmes. La stratégie européenne « de la fourche à la fourchette » (Farm to Fork Strategy for Sustainable Food), qui sera publiée en mars prochain, doit servir de catalyseur à ces transformations, en cohérence avec le renouvellement de la Stratégie Biodiversité (Biodiversity Strategy), qui octroie une place centrale au système alimentaire. Outre la nécessité de réduire les émissions du secteur, prise en charge dans par le volet climat du Pacte vert, ces deux documents (Farm to Fork et Biodiversity strategy) doivent en particulier permettre de fixer des cibles ambitieuses en matière :
- de réduction de consommation et de risques associés à l’usage des pesticides et des fertilisants de synthèse (les cibles en discussion à Bruxelles vont de -30 à -50 % d’ici à 2030) – en lien avec l’objectif de long terme de « zéro pollution » affiché par le Pacte vert ;
- d’augmentation des surfaces en agriculture biologique (atteindre 15 à 30 % de la surface agricole utile en AB d’ici à 2030) ;
- de restauration des écosystèmes dégradées, notamment les agroécosystèmes.
Du Pacte vert à la réforme de la PAC
La réforme de la PAC actuellement en cours jouera un rôle crucial pour atteindre ces cibles – bien que leur niveau d’ambition final ne fasse pas encore consensus. C’est en effet au niveau de la PAC que se trouvent les leviers financiers les plus forts pour engager les transformations nécessaires. Pour comprendre les enjeux de cette réforme face aux objectifs du Pacte vert, il faut revenir rapidement sur les principales dispositions du texte mis sur la table par la précédente Commission européenne en juin 2018. Celui-ci prévoit deux changements majeurs par rapport au cadre actuel. Le premier porte sur le mode de gouvernance, et donne aux États membres une responsabilité extrêmement forte dans la définition des modalités de versement des aides de la PAC, dans le cadre de Plans stratégiques nationaux qui devront être validés par la Commission. Le second porte sur une nouvelle tentative de « verdissement » du pilier 1 de la PAC, à travers l’instauration d’un « éco-régime » et le renforcement de la conditionnalité environnementale. Dès avant le lancement du Pacte vert, de nombreuses analyses ont pointé les risques pour l’environnement associés à ces propositions : le manque de définition du contenu et du niveau de financement de l’éco-régime, et la faiblesse du cadre de redevabilité entre les États membres et la Commission font en effet craindre une course au moins-disant environnemental entre les États membres, dont les producteurs sont en concurrence pour l’accès au Marché commun européen.
Les mécanismes par lesquels les objectifs du Pacte vert vont pouvoir être traduits concrètement dans le contenu de la PAC sont aujourd’hui peu clairs et incertains. Cependant, trois enjeux majeurs se dessinent pour que la PAC puisse effectivement constituer un instrument au service du Pacte vert. Il appartient désormais aux parlementaires et aux membres du Conseil européen de s’assurer que ces enjeux sont réellement pris en compte.
- En premier lieu, une PAC alignée avec le Pacte vert doit donner à l’éco-régime une place centrale, tant budgétairement que normativement. Dans le cadre actuel, les États membres ont l’obligation de proposer des mesures éligibles à l’éco-régime aux agriculteurs, mais sans que le montant dédié à ce dernier ne soit contraignant, et sans que les objectifs environnementaux à atteindre ne soient spécifiés. Il faut au contraire que dès les cibles environnementales adoptées par les stratégies Farm to Fork et Biodiversity, celles-ci puissent servir à fixer le niveau d’ambition de l’éco-régime dans chacun des pays (en matière de réduction de l’usage des pesticides et des fertilisants, et d’augmentation de la part des surfaces agricoles en bio).
- Les objectifs fixés au niveau communautaire doivent ensuite servir de cadre aux négociations entre États membres et Commission quant au contenu des plans stratégiques nationaux, permettant ainsi d’articuler objectifs européens et objectifs nationaux. La logique pourrait être en cela proche de celle de l’Effort Sharing Regulation (« régulation sur le partage de l’effort ») qui, en matière climatique, vise à mettre en cohérence les réductions d’émissions de gaz à effet de chaque État membre avec l’ambition globale de l’Union. Il est en effet indispensable que le surcroît de subsidiarité envisagé dans le texte de la Commission ne conduise pas à une course au moins-disant environnemental, comme cela a été le cas au cours de la mise en œuvre de la réforme de la PAC de 20131 . Des capacités d’expertise indépendante devront permettre d’évaluer le niveau d’ambition des objectifs.
- Enfin, une PAC à même d’accompagner le Pacte vert agit au-delà du seul maillon agricole et accompagne la transformation de l’ensemble du système alimentaire. À ce titre, l’échec du plan Écophyto en France est venu opportunément rappeler qu’une stratégie exclusivement centrée sur le volet agricole/agriculteurs, sans considération pour la restructuration des filières en amont comme en aval des producteurs, ne peut lever les verrouillages socio-techniques à l’œuvre aujourd’hui. La réduction de l’usage des intrants de synthèse ne se décrète malheureusement pas : elle se construit en rendant possible une re-diversification des cultures à l’échelle de la ferme, par le développement des filières amont (semences de qualité, conseil agricole) et aval (collecte, stockage, transformation et valorisation). Une PAC accompagnant le Pacte vert devra prendre sa part dans la (re)structuration de l’ensemble des filières agricoles pour permettre cette re-diversification.
- 1Alliance Environnement and Thünen Institute, 2017. Evaluation study of the payment for agricultural practices beneficial for the climate and the environment. Final Report. Publications Office of the European Union, Luxembourg.