Le 5 septembre dernier, Michel Barnier a été nommé Premier ministre par le Président de la République. Cette nomination intervient dans un contexte politique national incertain depuis les élections législatives du début de l’été, et s’inscrit par ailleurs dans une séquence européenne marquée par le renouvellement des institutions bruxelloises à la suite des élections de juin 2024 et la définition d’orientations stratégiques pour l’UE. Au carrefour d’impératifs économiques, sociaux et démocratiques, quelles devraient être les priorités de la nouvelle équipe gouvernementale française en matière de politiques environnementales et de transition écologique ?

Un nouveau gouvernement, issu d’une élection législative, même inopinée et donc peu préparée et peu nourrie de débats, va chercher à construire sa propre vision des politiques à mener. Outre la compétitivité de l’économie, qui sera largement déterminée par les politiques négociées à Bruxelles, le débat politique est très centré sur des enjeux sociaux, et notamment de justice sociale. Les enjeux environnementaux n’ont cependant pas disparu des préoccupations des Français. Le Premier ministre Barnier a d’ailleurs évoqué conjointement la dette de l’État et la dette écologique comme déterminantes pour l’avenir de notre société, et dont la prise en charge ne peut être repoussée à plus tard. Les grands enjeux en matière de transition écologique sont donc inévitablement à l’agenda des choix politiques de ce gouvernement, et au premier chef la question de l’adaptation au changement climatique, que plus aucun territoire, plus aucun secteur économique ne peuvent considérer comme secondaire. De plus, ces choix en matière de transition et de son financement auront une forte composante de justice sociale. Et la manière de négocier et de mettre en œuvre les orientations politiques sur ces sujets sera également essentielle pour démontrer que notre démocratie est encore capable de fonctionner, en dépit de la crise de défiance envers les institutions et des risques d’instabilité.

Dans tous les secteurs, le nouveau gouvernement va faire face à de nombreux déterminants qu’il doit identifier en vue d’évaluer sa marge de liberté d’action. Sur l’environnement, ces déterminants sont très présents et ancrés : obligations européennes, notamment les objectifs climatiques (« Fit for 55 »), biodiversité (législation « Restauration de la nature »), redevabilité pour les entreprises et obligations internationales notamment en préparation de la 29e COP Climat, avec sa dimension de financement des pays du Sud. Ajoutons à cela les objectifs que la France s’est donnée par la loi, par exemple dans le domaine de l’économie circulaire, où les indicateurs ne sont guère positifs. 

Dans ce contexte d'engagements pris par la France, le nouveau gouvernement dispose cependant de marges d’actions qu’il lui appartient d’utiliser de façon positive.

  • Sur la gouvernance nécessairement interministérielle du pilotage de la transition, on attend que le Secrétariat général à la planification écologique (SGPE), qui constitue une innovation positive dont l’action a été largement appréciée, soit conforté. Ceci suppose qu’il puisse mener à bien les grandes planifications1 qui doivent être encore finalisées et associé aux arbitrages budgétaires qui devraient en être la traduction.
     
  • Sur les questions budgétaires, qui sont un élément clé – mais pas unique – de la mise en œuvre de la transition, il importe de privilégier le concret et le sérieux à la communication et à l’intermittence. Le sort du Fonds vert, qui soutient les investissements de transition des collectivités locales, est une question décisive et illustrative. Le gouvernement précédent avait fixé son montant à 2,5 milliards d’euros pour 2024. Un abattement substantiel a eu lieu en janvier 2024. Pour le budget de 2025, le Premier ministre sortant a limité son montant à 1 milliard, dans sa « lettre-plafond » signée fin août. Pourtant, le même Premier ministre, mais en tant que président du groupe parlementaire Ensemble, affichait le 12 août dans une lettre à ses collègues présidents de groupes relative à un « Pacte d’action pour les Français » son souhait de « sanctuariser le Fonds vert à destination de nos communes ». Peut-on mener une politique de soutien aux initiatives territoriales si essentielle pour la transition sans la continuité et la cohérence nécessaires ? Quel peut être le ressenti des collectivités locales face à un État si versatile et imprévisible ? L’État ne peut, dans ses engagements avec les collectivités territoriales, afficher des signaux aussi contradictoires et contraires à la philosophie de la planification. Aussi, le sérieux prôné par le nouveau Premier ministre devrait se traduire par la reconduction à son niveau primitif du Fonds vert ainsi que des crédits d’intervention de l’Agence de la transition écologique (Ademe) et de l’Office français de la biodiversité (OFB). Dans les périodes de restrictions budgétaires, il est habituel que l’État fasse porter le gros des efforts sur les interventions au bénéfice des collectivités et des acteurs extérieurs, tout en ménageant ses propres moyens de fonctionnement qui lui paraissent plus contraints. Cela revient à sacrifier lourdement les acteurs locaux et la société civile. Dans le cas de la transition écologique, cette approche devrait être reconsidérée pour garantir l’engagement de tous les acteurs pour la transition. 
     
  • Sur la mise en œuvre et la suite du Pacte vert européen, il y a désormais un acquis important dont les conséquences concernent au premier chef les entreprises tant en termes de redéploiement stratégique que d’investissements et de redevabilité. À Bruxelles, les autorités doivent définir une politique industrielle permettant aux entreprises de s’engager pleinement dans la transition (Iddri, 2024). Le concours de la France est indispensable, également pour la mise en œuvre des recommandations du Dialogue stratégique sur l’agriculture, qui constitue une occasion unique de progresser vers une agriculture répondant aux impératifs de durabilité et d’autonomie stratégique.
     
  • Pour ce qui concerne la démocratie participative, on a noté ces dernières années des pas en arrière en matière de droit à la participation dans le domaine environnemental. Les conflits de terrain se sont multipliés, reflétant les lacunes des processus de concertation notamment autour des questions de gestion de l’eau. La simplification des procédures, demandée par les acteurs économiques, devra se faire dans le respect des principes de participation posés par la loi Barnier de 1995
     
  • Par ailleurs, l’action internationale de la France doit retrouver du dynamisme. On se souvient que le succès de la COP 21 conduisant à l’Accord de Paris sur le climat avait été rendu possible par une intense action diplomatique préparatoire. Nous avons besoin de garantir une telle dynamique dans le contexte de la négociation du futur traité plastiques (Iddri, 2024) ou de la préparation de la Conférence des Nations unies sur l’Océan qui aura lieu à Nice en 2025 (Iddri, 2024), de concert avec l’Union européenne. Plus généralement, la France, avec ses ministères compétents, ses capacités de recherche et ses think tanks, doit travailler à reformuler les bases d’un multilatéralisme rénové, accepté par l’ensemble des pays et propre à faire face aux grands enjeux planétaires au cours du XXIe siècle.
  • 1 Notamment, Stratégie nationale bas-carbone, Programmation pluriannuelle de l’énergie, Plan national d’adaptation au changement climatique.