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Les politiques climatiques doivent être mieux préparées à faire face aux risques climatiques transfrontaliers résultant des effets en cascade des risques climatiques et des mesures d'adaptation. Pour ce faire, il faut toutefois se demander si les connaissances scientifiques sur les risques climatiques transfrontaliers sont disponibles, et si la volonté politique existe.
En 2015, les pays ont collectivement décidé d'établir un objectif mondial d'adaptation dans le cadre de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) afin de générer des mesures de réduction des risques climatiques. En 2021, la CCNUCC a établi le programme de travail de Glasgow-Sharm el-Sheikh (décision 7/CMA.3) afin de contribuer à la manière de suivre les « progrès globaux accomplis dans la réalisation » de l'objectif mondial d'adaptation en vue du processus de Bilan mondial (GST en anglais, article 14.1 de l'Accord de Paris sur le climat). La première évaluation du GST est prévue pour 2023 et aura lieu tous les cinq ans.
Les discussions sur l'identification de cadres et de méthodologies pertinents pour évaluer l'adéquation et l'efficacité des efforts d'adaptation au niveau mondial témoignent de la complexité et de la diversité des points de vue. La CCNUCC pour sa part fait référence à « l'adéquation et l'efficacité », respectivement, pour analyser si divers instruments (par exemple, le financement) aident à répondre aux besoins d'adaptation identifiés par les pays, et quels sont les résultats des efforts de planification et de mise en œuvre. Les rapports nationaux prévus pour alimenter le GST limitent le champ d'application aux mesures d'adaptation et aux avantages nationaux. Or, la recherche scientifique préconise une approche plus globale des progrès en matière d'adaptation, qui consiste notamment à déterminer si les mesures d'adaptation mises en œuvre aujourd'hui à différentes échelles réduisent effectivement les risques climatiques actuels et futurs, ou si elles risquent d'être contre-productives pour certains secteurs et groupes de population, dans d’autres juridictions, et au fil du temps. Une telle approche plus globale nécessite de reconnaître que les impacts climatiques ne s'arrêtent pas aux frontières nationales, et que les risques climatiques et les actions d'adaptation dans un contexte donné peuvent avoir des implications sur les pays voisins et éloignés (Benzie et al., 2018 ; Carter et al., 2021 ; Benzie et Harris, 2022 ; AWB, à paraître).
Dans son 6e rapport d'évaluation, le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) souligne les risques climatiques transfrontaliers, tant à l'intérieur qu'au-delà des frontières (Giec, 2022). Le Giec prévient que les risques en cascade se combineront pour influencer substantiellement l'ampleur, la durée, l’horizon d'émergence et la propagation géographique des risques individuels dans les économies, les sociétés et les systèmes naturels, de sorte que les risques climatiques graves seront probablement plus élevés, dureront plus longtemps et se produiront à la fois plus tôt et à des échelles plus grandes, et seront donc plus complexes à anticiper et à gérer.
Il faut donc revoir les politiques d'adaptation afin d'être mieux préparé à faire face à une grande variété de risques climatiques transfrontaliers résultant des effets en cascade des aléas climatiques (par exemple, une sécheresse affectant la production agricole, puis les marchés) et des réponses d'adaptation (par exemple, la construction de barrages pour gérer le stress hydrique, mais avec des conséquences écologiques et économiques en aval). Pour se préparer à ces risques, la CCNUCC pourrait encourager les pays à inclure une nouvelle composante dans leurs documents officiels d'adaptation (plans nationaux d'adaptation, communications sur l'adaptation) pour décrire les risques transfrontaliers qui les concernent, ainsi que les stratégies pour y faire face (Magnan et al., 2022). Toutefois, cela suppose, d'une part, que les connaissances scientifiques sur les risques climatiques transfrontaliers soient disponibles aux niveaux régional et mondial et, d'autre part, que la volonté politique de haut niveau soit présente pour faire valoir les risques climatiques non domestiques.
Quelle est la faisabilité scientifique des méthodes proposées pour évaluer les risques climatiques transfrontaliers ?
Des preuves basées sur des études de cas concernant les risques climatiques transfrontaliers et les mécanismes de gouvernance émergent pour certains secteurs (par exemple, sur les ressources naturelles océaniques, les chaînes d'approvisionnement industrielles et la sécurité alimentaire ; AWB, à paraître) et régions (par exemple, l'Hindu Kush Himalaya ; Prabhakar et al., 2018 ; Wester et al., 2019). Nous voyons deux principales façons de renforcer cette tendance :
- Premièrement, des indicateurs pourraient être élaborés pour suivre l'évolution du niveau de risque climatique dans les systèmes transfrontaliers tels que les ressources naturelles partagées (par exemple, l'évolution des captures de poissons dans des zones économiques exclusives voisines dans le Pacifique), les marchés de produits de base (par exemple, l'évolution des exportations/importations de céréales) et les flux financiers internationaux (par exemple, liés aux chaînes de valeur économiques). Ces indicateurs seraient principalement basés sur des données mondiales relatives aux flux transfrontaliers. Des ensembles d'indicateurs nationaux et systémiques pourraient alors être combinés pour créer une image à l'échelle mondiale du risque climatique transfrontalier actuel.
- Deuxièmement, nous devons également nous faire une idée des risques climatiques transfrontaliers futurs dans le cadre de divers scénarios de changement climatique et socio-économiques. À cet égard, les approches fondées sur les jugements d'experts pourraient contribuer à combler en partie les lacunes actuelles en matière de connaissances et à fournir les premières analyses des tendances mondiales futures. Les approches fondées sur les jugements d'experts se sont avérées efficaces et pertinentes dans le contexte du Giec pour soutenir les évaluations des risques climatiques, en particulier lorsque les données et/ou les informations font défaut, comme pour les motifs de préoccupation (Reasons for Concern en anglais) illustrant les types de risques climatiques agrégés, inter-systèmes et mondiaux (Zommers et al., 2021 ; O'Neill et al., 2022).
Dans un premier temps, au cours des prochains mois, il est nécessaire d'entreprendre une consultation avec les scientifiques pour s'assurer que ces approches ont un réel potentiel pour traiter le risque climatique transfrontalier, et donc qu'il est utile d'approfondir les méthodologies et les exercices d'évaluation.
Quelle serait la pertinence politique des nouvelles connaissances sur les risques climatiques transfrontaliers dans la perspective du cycle quinquennal du GST ?
Sur le plan politique, une deuxième étape consiste à comprendre les conditions dans lesquelles les nouvelles connaissances sur les risques climatiques transfrontaliers et la manière de les gérer pourraient effectivement soutenir et influencer les décisions politiques aux niveaux mondial, régional et national. Le sujet étant relativement nouveau dans les négociations internationales sur le climat, il est nécessaire de consulter les experts et décideurs politiques pour comprendre (i) l'appétit politique pour une meilleure compréhension des risques climatiques transfrontaliers ; (ii) les possibilités d'inclure les risques climatiques transfrontaliers dans les discussions/processus orientés vers le GST ; (iii) le niveau d'information scientifique qui est concrètement nécessaire pour informer efficacement le processus du GST ; et (iv) les obstacles réels et les facteurs favorables à la mise en œuvre.
Il est essentiel d'intégrer les risques climatiques transfrontaliers dans le processus du GST afin de remédier à un point aveugle qui entrave actuellement tout progrès réel vers l'adaptation mondiale. Nous soutenons que le programme de travail Glasgow-Sharm el-Sheikh en cours dans le cadre de la CCNUCC pourrait servir d'accélérateur de changement à cette fin.
References
AWB (forthcoming). The global transboundary climate risk report. Adaptation Without Borders, SEI-IDDRI-ODI. To be released in early 2023.
Benzie M. et al. (2018). Meeting the global challenge of adaptation by addressing transboundary climate risk. SEI Brief, 4 p.
Benzie, M. & Harris, K. (2022). Tackling cascading climate risk to meet global adaptation challenge: which countries have the interest, capacity and responsibility to act? (SEI Perspective, March 2022). Stockholm Environment Institute. https://www.sei.org/perspectives/countries-tackling-climate-risks/
Carter T.R. et al. (2021), Glob. Env. Change 68, 102307. https://doi.org/10.1016/j.gloenvcha.2021.102307
IPCC (2022). Summary for Policy Makers. In Climate Change 2022: impacts, adaptation and vulnerability, H.-O. Pörtner et al., Eds.
Magnan A.K., Anisimov A., Duvat V.K.E. (2022). Strengthen climate adaptation research globally. Science, 376: 1398-1400. https://www.science.org/doi/10.1126/science.abq0737
O’Neill B.C. et al. (2022). Key risks across sectors and regions. In Climate Change 2022: impacts, adaptation and vulnerability, H.-O. Pörtner et al., Eds.
Prabhakar S.V.R.K. et al. (2018). Transboundary Impacts of Climate Change in Asia: Making a Case for Regional Adaptation Planning and Cooperation. IGES Discussion Paper. Institute for Global Environmental Strategies and Global Development Network: Hayama, Japan. https://www.iges.or.jp/en/pub/transboundary-impacts-climate-change-asia/en
Wester P. et al. (2019). The Hindu Kush Himalaya assessment: Mountains, climate change, sustainability and people. Springer, 638 p.
Zommers Z. et al. (2020). Burning Embers: Towards more transparent and robust climate change risk assessments. Nature Reviews Earth & Environment, 1: 516-529. https://www.nature.com/articles/s43017-020-0088-0#citeas