Capitol Us

Dix jours après les élections américaines de mi-mandat, qui ont vu les démocrates reprendre le contrôle de la Chambre des représentants et les républicains conserver leur majorité au Sénat, l’on peut déjà tirer quelques enseignements de ce scrutin. Sur les questions relatives au climat et à l’environnement, la recomposition politique permet d’anticiper quelques évolutions dans les deux ans à venir : il faut s’attendre à des avancées institutionnelles en demi-teinte au Congrès, qu’il convient de mettre en perspective d’un renforcement de l’action climatique au niveau local. En revanche, le scrutin a également entériné la victoire des lobbies industriels sur l’activisme de terrain, ce qui promet des batailles très dures à l’avenir, tant locales que nationales.

La reprise en main de la Chambre des représentants par les démocrates n’aura qu’un impact législatif limité sur le climat

La victoire des démocrates est bien là

Même si la vague bleue attendue n’a pas été le tsunami espéré par certains, la nouvelle majorité à la Chambre est solide, avec plus d’une trentaine de sièges d’avance, et signale une dynamique de changement. Quant au Sénat, où réside le pouvoir constitutionnel de ratifier les traités et de consentir aux nominations politiques, la majorité républicaine se trouve légèrement confortée et l’on ne peut pas s’attendre à un revirement en faveur de l’action climatique internationale, ni pour rester au sein de l’Accord de Paris, ni pour rétablir les financements au Fonds vert, doté de 3 milliards de dollars par Barack Obama en 2014, mais auquel Donald Trump avait refusé de contribuer à son arrivée, privant le fonds des 2 milliards promis mais non versés.

Le Congrès sera donc divisé durant les deux ans à venir, ce qui éloigne toute perspective de législation ambitieuse sur le climat, tels une taxe carbone au niveau fédéral ou des standards d’émissions de CO2

À moins que les démocrates ne parviennent à forger un accord bipartisan avec les Sénateurs républicains sur des sujets qui leur sont chers, tels que l’indépendance énergétique (afin de soutenir le déploiement des renouvelables), ou bien les baisses d’impôts (en les ciblant de façon à en faire des incitations à accroitre l’efficacité énergétique). Mais cela reste peu probable. Un dernier espoir réside dans la question des infrastructures, qui souffrent d’obsolescence partout à travers le pays, et sur lesquelles les deux partis se disent prêts à travailler ensemble. Nancy Pelosi, ancienne présidente démocrate de la Chambre (2006-2010), pressentie pour reprendre du service, a affirmé dans sa conférence de presse[1] au lendemain de l’élection avoir évoqué le sujet avec le Président Trump la veille au soir et être prête à collaborer avec lui sur ce sujet crucial pour le développement à long terme des États-Unis. Reste à savoir de quel type d’infrastructure il s’agit (routes ? ponts ? aéroports ?) et s’il sera possible d’y apporter une touche de durabilité, à travers des projets qui renforcent par exemple la résilience des zones côtières ou réduisent leur empreinte carbone.

Le changement majeur ne sera donc pas législatif mais bien institutionnel 

Les démocrates, en reprenant le contrôle des commissions parlementaires sur la Science, par exemple, ou sur le Commerce et l’Énergie, pourront faire évoluer la dynamique politique, réaffirmer la voix de la science face aux sceptiques et construire une offre politique pour 2020. Nancy Pelosi a même évoqué la possibilité de rétablir le Comité sur l’Indépendance énergétique et le Réchauffement climatique[2], crée en 2007 et supprimé par les républicains lors de leur retour aux affaires en 2011, et dont le rôle consultatif, à travers la tenue d’auditions parlementaires, pourrait permettre d’ancrer la lutte contre le changement climatique comme une question de justice sociale. Les travaux de ce Comité avaient notamment contribué au projet de loi démocrate d’un marché d’échange de quotas d’émissions retoqué par le Sénat en 2009. Ces commissions vont permettre à la majorité démocrate à la Chambre de jouer son rôle de surveillance et de contrôle de l’exécutif, mettant un terme au détricotage réglementaire forcené mené au pas de course depuis deux ans par l’EPA (Agence de Protection de l’Environnement), le Département de l’énergie et le Département de l’Intérieur, tant sur les standards d’émissions des véhicules que sur les objectifs en termes d’énergie renouvelable ou le contrôle des fuites de méthane industrielles. Ce contrôle accru sur l’Administration, qui peut se manifester à travers des auditions, des commissions d’enquête et des rapports parlementaires, devrait également permettre de limiter les dérives de ces dernières années (conflits d’intérêts, corruption…).

Rééquilibrage géographique des forces politiques : l’action climatique va se poursuivre au niveau local

Les élections de mi-mandat ont également une portée locale puisque de nombreux Etats fédérés votaient pour le renouvellement de leur législature et/ou de leur Gouverneur. De ce côté-ci, la victoire revient aux démocrates qui ont pris la tête de l’exécutif dans sept nouveaux États, et notamment dans les régions très industrielles de la Rust Belt et dans le centre et l’ouest du pays[3].

C’est une excellente nouvelle pour l’action climatique aux États-Unis, puisque depuis l’élection de Donald Trump, ce sont les acteurs locaux et particulièrement les villes et les États fédérés, regroupés dans des coalitions très dynamiques telles que « We are still in » ou « US Climate Alliance » qui ont été la seule source d’avancée réglementaire et législative dans le pays en l’absence d’action fédérale. Ces nouveaux élus, tels Steve Sisolak au Nevada ou Gretchen Witmer dans le Michigan, ont mis la question climatique au cœur de leur priorité et de leur plateforme de gouvernement et devraient donc activement promouvoir des réglementations et législations permettant d’avancer dans la transition bas-carbone. Ils ont le pouvoir pour le faire et la volonté politique forte du mandat confié par leurs électeurs. Il est désormais temps d’agir !

Référendums locaux : une déconfiture pour les pro-climat

Selon l’État dans lequel ils votent, les électeurs américains devaient également approuver ou non certains référendums d’initiative populaire locaux. Cinq en particulier portaient sur des questions relatives au changement climatique :

  1. à la surprise générale, l’Etat de Washington, l’un des plus progressistes du pays, a rejeté en bloc un projet de taxe carbone sur les plus grands émetteurs (lequel avait déjà été rejeté il y a deux ans sous une forme différente) ;
  2. le Colorado a refusé d’imposer des règles supplémentaires afin d’encadrer davantage la fracturation hydraulique à proximité des habitations et des écoles ;
  3. l’Arizona a rejeté la proposition de se fixer un objectif de 50 % d’énergies renouvelables dans la production électrique d’ici à 2030 ;
  4. Le Nevada a, en revanche, adopté une mesure similaire qui fixe à 50 % la part des énergies renouvelables à 2030 ;
  5. La Floride a confirmé l’interdiction du forage offshore dans ses eaux territoriales.

Il était difficile d’anticiper une telle déconvenue dans ces trois Etats puisque les premiers sondages semblaient très favorables. Elle s’explique principalement par deux facteurs combinés : d’une part un système électoral américain qui n’impose aucune limite aux dépenses de campagne ; et d’autre part la puissance des industries fossiles et particulièrement des pétroliers qui ont mené une virulente campagne d’opposition.

Depuis la décision de la Cour Suprême américaine Citizens United versus FEC de 2010 qui a supprimé toute limite aux entreprises, syndicats et associations sur leurs dépenses de campagne, au titre de la liberté d’expression étendue aux personnes morales, l’influence de ces entités dans les scrutins électoraux s’est accrue. Par le biais de véhicules de financement de campagne appelés Super PACs, les entreprises et associations peuvent dépenser sans limite et sans contrôle pour soutenir des « causes politiques », par exemple à travers des publicités ou appels téléphoniques robotisés contre la taxe carbone, sans que les partisans de l’action climatique n’arrivent à mobiliser autant en faveur de leur cause. L’industrie pétrolière a en effet dépensé près de 100 millions de dollars, dont plus de 30 millions dans l’Etat de Washington et une somme équivalente dans le Colorado, faisant ainsi de ces campagnes les plus chères de leur histoire, dépensant parfois plus de 40 fois le montant investi par les promoteurs de ces référendums. Cette élection-ci a ainsi mis en lumière le double discours tenu par les grands énergéticiens qui, d’un côté, prétendent réclamer aux pouvoirs publics la mise en place d’une tarification du carbone afin de réduire leur empreinte carbone et de convertir leur business model, et de l’autre dépensent des fortunes pour bloquer toute forme de signal prix ou de quota d’énergie renouvelable qui pourrait avoir un impact négatif sur leurs résultats financiers.

La leçon à retenir de ces scrutins locaux est que la communauté climatique dans un grand nombre d’Etats américains doit se préparer à devoir combattre le secteur pétrolier avec les mêmes armes, si elle espère pouvoir faire avancer la transition énergétique aux Etats-Unis. Encore une fois l’expression « green always wins » est malheureusement vérifiée, mais cette fois en faveur du billet vert.

Avec une majorité démocrate que l’on sait pro-climat à la Chambre des représentants, mais une majorité républicaine qui se maintient au Sénat, les prochaines années seront déterminantes pour estimer si la cause du climat aura connu une simple parenthèse aux Etats-Unis et si elle peut trouver un nouveau souffle, lors du prochain changement d’occupant à la Maison Blanche.

 

[1] “Last night I had a conversation with President Trump about how we could work together, one of the issues that came up was ... building infrastructure for America, and I hope that we can achieve that”.

[3] D’ouest en est -  Nevada, Nouveau-Mexique, Kansas, Wisconsin, Illinois, Michigan, Maine