Partie d’une contestation sur la hausse du prix des carburants, la crise des « gilets jaunes » a révélé une incompréhension des citoyens sur la manière de mener la transition écologique en France et a remis au cœur des débats publics la question du lien entre justice sociale et politiques environnementales. Après le gel de la taxe carbone annoncé début décembre 2018, le débat s’est ouvert sur l’avenir de cet outil. Si la taxe est souvent présentée comme un outil efficace pour la transition, force est de constater que sa mise en œuvre est parsemée d'écueils, en France comme ailleurs dans le monde1 . Quels enseignements tirer de cette nouvelle crise, la troisième au niveau national après l’arrêt du Conseil constitutionnel de 2000 relatif à l’élargissement de l’assiette de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) aux consommations d’énergie et d’électricité en relation avec la lutte contre le changement climatique puis le renoncement par le gouvernement Fillon à la taxe carbone en 2010 ?
- 1On peut rappeler ici le retrait de la taxe carbone en Australie en 2014 après seulement deux ans d’application.
Tout d’abord, malgré la grogne, on constate qu’une attente sociale forte sur la lutte contre le changement climatique et la préservation de l’environnement émerge, tant des doléances exposées lors du Grand débat national que des initiatives citoyennes actuelles (pétition « L’Affaire du siècle » et manifestations pour le climat). Confronté à l’urgence et au retard accumulé dans l’atteinte des objectifs fixés, pointé par l’évaluation menée en octobre 2018 par l’Iddri, le sujet n’est donc pas de réduire l’ambition environnementale, mais bien de ré-interroger l'équilibre des outils et des mesures mobilisées pour mettre en œuvre la transition écologique en France. De nombreuses initiatives ont émergé ces dernières semaines pour remettre à l’agenda la politique de transition énergétique. Le 12 mars, 86 députés appelaient à une « fiscalité carbone équitable » qui s’inspirerait du fléchage des recettes de la taxe carbone des exemples étrangers réussis, en Colombie-Britannique (Canada), Suède ou Suisse. Fin février, les think-tanks I4CE et Terra Nova proposaient trois scénarios pour sortir de l’impasse sur la fiscalité carbone. La semaine dernière, c’est un collectif de 19 organisations syndicales, sous la houlette de Laurent Berger et de Nicolas Hulot, qui proposait un « pacte social et écologique » contenant 66 propositions, parmi lesquelles la fixation d’une trajectoire carbone compatible avec l’Accord de Paris sur le climat et le reversement de la totalité des recettes aux ménages et au financement de la transition.
Quels enseignements tirer de la mise en œuvre de cette mesure, idéale en théorie mais contestée dans la pratique, pour la mise en œuvre de la transition ? C’est l’objet du Document de propositions de l’Iddri dans lequel nous dégageons quatre priorités pour relancer la transition écologique en France. Au-delà d’un exercice de transparence nécessaire sur l’utilisation des recettes de cette taxe, il nous paraît essentiel de prendre acte des limites connues de la tarification du carbone pour orienter le changement de la société et les choix des individus. Si le renchérissement des combustibles fossiles reste un élément central pour réussir la transition écologique et s’il faudra certainement revenir à une trajectoire haussière à terme, aujourd’hui, la priorité est de mettre à profit cette pause pour reconstruire la confiance.
Pour cela, une première priorité consiste à encourager l’investissement dans les solutions bas-carbone permettant à la société et aux individus de s’adapter. Offre unique pour la rénovation énergétique, favoriser l’achat des véhicules les plus propres et sobres dans le neuf comme dans l’occasion, donner les moyens nécessaires au plan vélo : de nombreuses solutions existent, sur la base de constats partagés, il s’agit donc de s’en emparer. Ensuite, la taxation carbone devrait être rendue plus équitable pour ne pas buter à nouveau sur les critiques actuellement formulées. D’une part, l’idée du reversement d’une prime de transition écologique ciblée sur les ménages les plus modestes, réduisant ainsi la régressivité de la taxe carbone et préservant leur pouvoir d’achat, devrait être débattue : nous proposons deux scénarios pour verser cette prime dès à présent sur la base de 50 % des recettes actuelles de la taxe carbone. D’autre part, tous les secteurs devraient être à terme mis à contribution, ce qui implique de s’attaquer aux exemptions de taxe carbone, en particulier celles des transports aérien et maritime par le biais de coopérations renforcées entre pays européens. Les prises de position des Pays-Bas et de la Belgique en faveur de l’usage de la tarification carbone dans le secteur aérien ouvrent une voie qui doit être poursuivie. Enfin, des trajectoires claires d’évolution, secteur par secteur, compatibles avec l’atteinte de la neutralité carbone, devraient être débattues et endossées par les pouvoir publics : à quelle date faudra-t-il avoir rénové son logement ? Quand passer à un véhicule bas-carbone ? L’envoi de signaux clairs permettrait de ne pas enfermer les citoyens dans des « pièges technologiques », dont la dépendance au diesel des plus grands rouleurs est le dernier exemple. C’est en travaillant sur ces différents fronts que la confiance dans les politiques de transition pourra être restaurée et une reprise de la hausse de la taxe carbone à terme envisagée.
Sans relance des politiques de transition, l’amélioration de la performance climatique française deviendrait illusoire, et c’est bien la crédibilité même d’une politique bâtie sur des objectifs ambitieux mais non accompagnée des moyens nécessaires qui serait mise en cause. A contrario, faire la démonstration d’une transition possible et accessible à tous renforcerait le message d’ambition que porte la France au niveau multilatéral et auprès de ses partenaires européens sur le climat.