La crise sociale et économique liée à la pandémie de Covid-19 est annoncée pour la plupart des pays comme profonde et longue. Quelles que soient les incertitudes sur ces pronostics, on ne peut que saluer la mobilisation par les gouvernements de fonds publics à des niveaux très importants et avec rapidité, pour sauvegarder l’emploi, relancer l’économie et soutenir l’investissement. Le plan de relance français (présenté officiellement cette semaine), comme ceux de l’Allemagne et de l’Union européenne, s’inscrit dans cette logique. Cependant, comment sera-t-il possible de combiner effectivement ambition économique et ambitions sociale et environnementale ? Ce billet de blog pointe plus spécifiquement les enjeux de mise en œuvre et de suivi des engagements.
Pour une reconstruction plus juste et plus écologique ?
Au-delà des appels au changement de modèle et des déclarations sur l’impérieuse nécessité de ne pas reconstruire les économies à l’identique, les urgences sociales des impacts de la crise sanitaire sont criantes (risques de chômage, pauvreté et précarité) et constituent une priorité pour les autorités publiques. Les arbitrages sur les plans de relance constituent donc un premier test majeur de la faisabilité d’une reconstruction radicalement plus juste et plus écologique.
Cela a été le cas avec l’annonce du plan de relance de l’Union européenne, en mai, par la Commission von der Leyen, qui met en avant le principe du do no harm (« pas d’impact négatif »), soit, dans l’esprit de la taxonomie européenne, de s’interdire le soutien aux opérations les plus contraires à la transition écologique, et renforce le Fonds pour la transition juste. Cela a aussi été le cas avec le plan de relance allemand, annoncé début juin : il prévoit 35 milliards d’euros dédiés aux investissements en faveur du climat sur les 135 milliards d’un plan d’un volume financier inattendu ; il comprend des choix symboliquement forts, comme celui de privilégier une baisse transitoire de la TVA de 3 points plutôt que de relancer la consommation dans le secteur automobile par une prime à la casse.
Dans ces deux cas, l’orientation politique des plans et la répartition d’ensemble des aides sont claires et soulignent l’importance conjointe des objectifs sociaux et de la transition écologique, ce qui envoie un signal fort aux acteurs économiques du continent, mais aussi dans d’autres régions du monde. Mais c’est dans la mise en œuvre de détail de ces arbitrages que se révélera l’alignement ou la divergence de ces plans par rapport aux objectifs écologiques ou aux objectifs sociaux.
Plan de relance français : quelles orientations ? Quels points d’attention ?
Le plan de relance français, officiellement présenté jeudi 3 septembre, contient à la fois des mesures de sauvetage, de stimulus économique et d’investissements de plus long terme. Il donne un cadre organisé de mise en discussion de l’ensemble des aides apportées aux acteurs économiques, alors qu’on pouvait craindre que ne s’égrènent une série de soutiens de sauvetage en urgence, par rapport auxquels il aurait été difficile d’exiger une quelconque forme d’alignement avec les objectifs environnementaux.
D’après les grands équilibres financiers annoncés, ce plan fait une part importante à la transition écologique (32 milliards d’euros sur les 100 milliards annoncés), et met l’accent sur des secteurs clés importants à la fois pour l’emploi et pour l’environnement (notamment, la rénovation énergétique du bâtiment, ou le ferroviaire). Comme les plans européen et allemand, cela appelle à la vigilance sur le contenu concret des aides apportées qui ne sont pas fléchées explicitement comme vertes : pourra-t-on leur appliquer le principe du do no harm ? Lorsqu’il s’agit de sauvetage de secteurs clés (tourisme, aéronautique, automobile), dans quelle mesure les aides seront-elles assorties d’un mécanisme de suivi permettant d’engager la transition écologique ? Le cas d’Air France avait été particulièrement discuté dès le printemps, et a conduit à un engagement de ne pas relancer les lignes intérieures pour lesquelles il existe une alternative ferroviaire performante. Au-delà de cet exemple, la prise d’engagements et leurs mécanismes de suivi seront essentiels pour la bonne cohérence entre plan de relance et transformation de l’économie vers l’atteinte des objectifs sociaux et environnementaux.
Le détail des plans et les modalités de mise en œuvre vont être absolument cruciaux : la pression politique tout à fait compréhensible à dépenser rapidement pour relancer l’économie va-t-elle permettre d’assurer que ces montants iront aux projets véritablement en ligne avec la performance environnementale ? Par exemple, en matière de rénovation énergétique du bâtiment, pourra-t-on mettre en place les mécanismes de garantie de la performance énergétique ? La filière est-elle suffisamment structurée pour un décaissement effectif et efficient des aides ? En matière agroalimentaire, les plans pour le développement des protéines végétales ou l’appui à la reconversion dans l’élevage, qui constituent effectivement des enjeux clés de la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC), seront-ils cohérents avec les orientations claires données par la SNBC dans ces secteurs, et confirmées par la Convention citoyenne pour le climat, ou serviront-ils à reconsolider les secteurs existants sans engager la transformation ? Les études et analyses ne manquent pas1 pour indiquer les points critiques de la transition dans ces différents secteurs, qui devront être mobilisés pour permettre que la mise en œuvre du plan de relance soit la plus verte possible : ils fournissent des objectifs et critères pour les appels à projets de la Banque publique d’investissement (BPI), pour les projets des territoires, pour les déclinaisons concrètes des plans sectoriels ; et permettent d’évaluer et de suivre la cohérence entre les investissements envisagés et les objectifs sociaux et environnementaux à court, moyen et long terme.
La coordination à toutes les échelles est donc indispensable, notamment pour laisser les territoires et les secteurs définir les projets et les investissements les plus pertinents au service des besoins des acteurs locaux et des vulnérabilités sociales spécifiques, mais en donnant un cadre d’incitation et un horizon clair et cohérent à l’échelle de la région, du pays, et de l’Union européenne.
À l’échelle européenne, des enjeux de cohésion
C’est en cela aussi que l’annonce du plan français, et la correspondance de sa logique et de son ambition par rapport à celui annoncé par l’Allemagne, constituent un message politique essentiel, offrant un bon potentiel de coordination entre ces deux pays et avec le plan européen. Les États membres et l’Union continuent donc le chemin esquissé depuis le début de la crise, au gré d’arbitrages politiques complexes. Mais cette coordination et ces complémentarités devront encore être consolidées : le plan allemand prévoit explicitement des coopérations européennes en matière d’hydrogène, et il faudrait s’assurer que le plan français fasse droit aussi à ce type de coordination dans des secteurs pertinents. Surtout, il faut s’assurer de la cohérence avec les dispositifs de relance élaborés dans les autres États membres, ce pour quoi l’échelon européen a un rôle majeur à jouer ; il sera essentiel que les plans nationaux ne soient pas élaborés indépendamment les uns des autres, sans prise en compte des impacts réciproques, des complémentarités et des synergies possibles.
Quels signaux les plans de relance européens envoient-ils au reste du monde ? Avant tout, ils indiquent une direction politique claire et stable, et partagée par deux des grandes économies du continent. Même si les décisions de mise en œuvre, de moindre visibilité politique, seront déterminantes en matière d’atteinte des objectifs sociaux et environnementaux, cette orientation générale montre aux autres grandes économies de la planète une trajectoire économique de transformation ambitieuse, comme c’était le cas avec le Pacte vert pour l’Europe. Cela ne suffira pas à emporter l’adhésion des autres pays au même type d’arbitrages, mais entre pression par les pairs, volonté de coopérer et de se coordonner pour franchir des étapes en matière de normes sur les marchés, et compétition pour être les pionniers des technologies de demain, plusieurs mécanismes pourraient amplifier ce signal à l’échelle mondiale. Ce n’est aucunement une condition suffisante pour enclencher les transitions dans les autres pays. Mais c’est une condition nécessaire, et les acteurs européens ont pour l’instant tenu la ligne.