La présidence émiratie a mis l'accent sur la « nature » lors de la COP 28, en organisant une série d'événements et par des annonces de haut niveau. Cet accent s’inscrit dans la lignée de l'élan croissant en faveur de la biodiversité et des écosystèmes dans le cadre des négociations sur le climat1 . Cependant, de nombreux défis restent à relever pour répondre à l'impératif scientifique de protéger et de restaurer les écosystèmes et la biodiversité tout en poursuivant des réductions fortes, rapides et durables des émissions de gaz à effet de serre, sans lesquelles les objectifs de l'Accord de Paris sur le climat et du Cadre mondial pour la biodiversité Kunming-Montréal (KMGBF) seront compromis. Avant la Journée de la nature, de l'utilisation des terres et des océans de la COP 28, le 9 décembre, ce billet de blog s’appuie sur les travaux de l'Iddri sur le lien entre climat et biodiversité pour proposer quelques idées sur les domaines d'action prioritaires à la COP 28 et au-delà.
- 1 Le Pacte de Glasgow de la COP 26 a souligné l'importance de garantir l'intégrité des écosystèmes pour atteindre les objectifs de la CCNUCC, et la décision finale de la COP 27 a mis l'accent sur la « nécessité urgente de traiter, de manière globale et synergique, les crises mondiales interdépendantes du changement climatique et de la perte de biodiversité ». L'adoption du Cadre mondial pour la biodiversité Kunming-Montréal lors de la COP 15 de la CDB a encore amplifié l'appel à l'alignement, les Parties s'engageant à déployer des efforts pour stopper et inverser la perte de biodiversité d'ici à 2030 et incluant un objectif spécifique liant l'action en faveur du climat et de la biodiversité (Cible 8).
Synergies et compromis : mieux intégrer la biodiversité dans le Bilan mondial
Une décision ambitieuse sur le Bilan mondial (GST) de la COP 28 est l'un des résultats les plus attendus à Dubaï. Mandaté pour évaluer la mise en œuvre de l'Accord de Paris et évaluer les progrès collectifs vers les objectifs climatiques mondiaux, y compris l'objectif de 1,5 °C, le rapport de synthèse d'octobre du GST sur les éléments possibles de sa décision finale a mis en évidence des aspects à la fois rétrospectifs et prospectifs. Le projet actuel de décision du GST pour la COP 28 souligne en particulier l'importance de protéger les écosystèmes et de lutter contre la perte de biodiversité, notamment en mettant un terme à la déforestation et en l'inversant d'ici à 2030.
Cependant, plusieurs éléments clés n'ont pas été inclus dans le projet de décision actuel. Les éléments rétrospectifs négligent de reconnaître les difficultés collectives rencontrées jusqu'à présent par les pays pour mettre un terme à la déforestation tropicale (principalement due à l'expansion de l'agriculture), principale source d'émissions annuelles de 4 à 7 GtCO2 dues au changement d'affectation des terres, et facteur important de perte de biodiversité. L'absence de remise en question de la faisabilité de la (sur)dépendance des Parties à l'égard de la capture du dioxyde de carbone (CDR en anglais) par les terres dans leurs contributions déterminées au niveau national (CDN) et leurs stratégies à long terme (LTS) est également à noter2 .
Dans les sections prospectives, les éléments clés qui devraient être inclus sont : une référence explicite au KMGBF pour obtenir des résultats globaux et synergiques en matière de climat et de biodiversité ; la reconnaissance de la nécessité d'un financement accru pour les pays en développement afin de protéger la biodiversité ; et la reconnaissance du fait que pour atteindre l'objectif de 1,5ºC, la protection et la restauration de la nature doivent venir en complément, et non à la place, de réductions d'émissions profondes dans tous les secteurs. La décision du GST devrait également appeler à la protection et à la restauration de « l'intégrité des écosystèmes » – formulation tirée de l'Accord de Paris – plutôt que les vagues « nature et écosystèmes » actuels, qui pourraient laisser la porte ouverte, par exemple, au boisement en monoculture. Les négociations ministérielles (et techniques) en cours sur la décision politique relative au GST au cours de la seconde semaine de la COP 28 montreront dans quelle mesure le langage des écosystèmes reste dans le texte, au cœur de tensions sur des questions telles que l'inclusion d'objectifs sectoriels et l'appel très attendu – et très controversé – en faveur d'une transition énergétique avec l'élimination progressive des combustibles fossiles. La Colombie et l'Allemagne ont publié une lettre exhortant les pays à inclure de manière plus complète « le rôle de la nature et de la biodiversité pour répondre à l'urgence climatique » dans le GST, mais elle décrit succinctement les modèles de transition qui nuisent le plus à la biodiversité.
Aligner les stratégies et les plans relatifs à la biodiversité et au climat
S'appuyant en partie sur l'évaluation de l'Iddri selon laquelle l'alignement de la planification nationale en matière de climat et de biodiversité est essentiel pour permettre une ambition et une action élevées en faveur des objectifs mondiaux de la CCNUCC et de la CDB, la COP 28 lance pour la première fois un appel aux pays pour qu'ils relient leurs CDN et leurs stratégies et plans d'action nationaux pour la biodiversité (SPANB) de la CDB. Lors de la réunion ministérielle du 9 décembre, les Parties devraient s'efforcer non seulement d'assurer une meilleure cohérence entre les instruments– CDN, plans nationaux d'adaptation (PAN) et SPANB –, mais aussi de maximiser les synergies entre le climat et la biodiversité et de réduire au minimum les compromis. Cette invitation à un meilleur alignement arrive à un moment crucial, les Parties à la CDB devant communiquer leurs SPANB et leurs objectifs nationaux avant la COP 16 en octobre 2024, tandis que, informées par le GST, les Parties à la CCNUCC mettront à jour leurs CDN d'ici le début de 2025.
Pour les secteurs clés tels que les systèmes alimentaires et l'agriculture, les engagements et les plans d'action de la prochaine série de CDN (promis par un grand nombre de pays dans les premiers jours de la COP 28 dans la Déclaration sur l'agriculture durable, les systèmes alimentaires résilients et l'action climatique, et informés par la feuille de route 1,5ºC de la FAO qui sera publiée cette semaine) devraient viser une ambition maximale pour le climat et la biodiversité, à refléter dans les SPANB, les LTS, les PAN et les plans d'action nationaux de la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification (UNCCD) des pays. Une voie encore sous-explorée et prometteuse pour l'alignement et la constitution de plans et de stratégies consiste à encourager la gestion de la demande énergétique et alimentaire : selon l’étude de l’Iddri croisant les rapports du Giec et de l'IPBES, et le rapport de l'atelier Giec-IPBES, ces options offrent d’importantes opportunités « gagnant-gagnant » pour le climat et la biodiversité, tout en garantissant la résilience de la sécurité alimentaire et énergétique.
Deux autres voies prometteuses pour l'alignement que l'Iddri a appelées de ses vœux, mais qui restent peu explorées à la COP 28, sont l'intégration de la biodiversité dans les stratégies de développement à faibles émissions à long terme (LTS) des Parties3 , et l'alignement des outils de transparence des trois Conventions de Rio (climat, biodiversité, désertification)4 . Une meilleure intégration de la biodiversité dans les LTS pourrait aider les Parties à ne pas s'enfermer dans des trajectoires incompatibles avec la réalisation des objectifs en matière de climat, de biodiversité et de développement durable, tels que ceux posés par le CDR, et contribuer à une élaboration plus intégrée et cohérente des politiques à moyen terme en matière de climat et de biodiversité (en rapport avec les CDN et les SPANB).
Garantir un financement du climat favorable à la biodiversité sans compromettre l'objectif de 1,5 °C
Les défis posés par le changement climatique et la perte de biodiversité soulignent la nécessité d'un changement de paradigme majeur dans les stratégies de financement internationales. Plusieurs rapports5 montrent qu’il faut recalibrer les pratiques financières (publiques et privées) pour faire face à ces crises ; ce qui est également reconnu dans les cadres et objectifs mondiaux en matière de climat et de biodiversité6 . La COP 15 de la CDB a introduit une approche préconisant l'alignement de tous les flux financiers sur les objectifs internationaux en matière de biodiversité, qui se concentre sur la réduction des subventions et des incitations néfastes, la mobilisation de ressources additionnelles à partir de sources diverses et l'amélioration de l'efficacité de l'utilisation des ressources. La nécessité de renforcer l'alignement entre le financement du climat et celui de la biodiversité est essentielle à ce changement.
Des discussions complexes sont en cours sur la meilleure façon de transférer les fonds du Nord vers le Sud, y compris l'opérationnalisation et l'affectation de fonds supplémentaires pour les projets relatifs au climat, à la biodiversité et au développement. Alors que divers fonds et entités7 se spécialisent dans des domaines distincts, il est contre-productif d'aborder ces questions en silos, d'où la nécessité d'une action coordonnée. Pour ce faire, les défis macroéconomiques et les situations nationales spécifiques doivent être pris en compte.
La COP 28 est considérée comme un rendez-vous important pour faire avancer la réforme de l'architecture financière internationale (IFA). La biodiversité est souvent absente des discussions sur le changement climatique et son impact sur le surendettement, à l'exception de la question des crédits biodiversité. Celle-ci doit être examinée de manière plus approfondie, une voie prometteuse étant le lancement de la Revue mondiale d'experts sur la dette, la nature et le climat, dont le rapport devrait être présenté lors de la COP 29.
Les paquets nationaux et les plateformes nationales pour le climat et la biodiversité (JETP sur l'énergie, partenariats pour la conservation positive ou partenariats d'investissement dans les forêts et l'utilisation des terres sur les forêts) sont une autre voie qui peut offrir une approche ciblée pour aborder les problèmes majeurs au niveau national en concentrant l'intervention des bailleurs de fonds sur un plan de transformation. Il convient de tirer les enseignements de ces projets pilotes, en veillant à ce qu'ils soient inclusifs, que le pays s'approprie les projets et que les populations autochtones et les communautés locales ainsi que la société civile y participent. Leur lien avec la réforme de l'IFA, leur responsabilité et leur lien avec les forums respectifs au niveau des Nations unies sont essentiels. L'approche stratégique « ne pas nuire », « faire plus » et « faire mieux » est impérative dans le financement du développement, en s'alignant sur les objectifs en matière de climat et de biodiversité. Les transformations financières sectorielles et socio-économiques à faibles émissions de carbone et favorables à la nature devraient prévenir les coûts et les impacts futurs, en garantissant des actions subsidiaires et supplémentaires en faveur de la biodiversité et de la restauration. Plus récemment, des propositions ont également été faites pour intégrer la biodiversité et les écosystèmes dans les discussions sur le financement des pertes et dommages, qui pourront être approfondies maintenant que le nouveau fonds pour les pertes et dommages a été rendu opérationnel au cours de la première semaine de la COP 28.
Enfin, la COP 28 a été le théâtre d'une multitude d'annonces volontaires liées aux marchés carbone. Leur intégrité doit être analysée, en particulier lorsqu'il s'agit d'accords tels que les récents accords Blue Carbon visant à acheter de vastes étendues de terres dans les pays africains afin de compenser à grande échelle les émissions de combustibles fossiles, en contradiction avec la science qui indique clairement que le respect de la limite de 1,5 °C nécessite une forte diminution des émissions et la protection de la biodiversité. Cela souligne la nécessité d'un examen plus approfondi et de réglementations plus strictes. Les discussions autour de l'article 6 de l'Accord de Paris, en cours lors de la seconde semaine de la COP 28 et au-delà, doivent se concentrer sur des solutions financières transformatrices et équitables, évitant ainsi les systèmes de compensation discutables et appliquant le principe d’intégrité environnementale et sociale. De nouveaux concepts tels que le fonds Tropical Forest Forever proposé par le Brésil, qui prévoit le paiement d'hectares de forêts par le biais de contributions de fonds souverains et d'autres entreprises, constituent des idées intéressantes pour aller au-delà des compensations carbone, mais posent également des questions de mise en œuvre et de meilleure connexion des paiements pour les services écosystémiques – comme le suggère l'Iddri – dans le cadre d'une approche de co-investissement pour le développement durable qui renforce les politiques environnementales saines pour s'attaquer aux moteurs de la perte de la biodiversité.
Principales étapes vers la COP 30 au Brésil
Les agendas internationaux sur la biodiversité et le climat posent des jalons importants pour les années à venir. La COP 16 de la CDB mettra l'accent sur l'agrégation de l'ambition collective au sein des SPANB. Parallèlement, les parties à la CCNUCC commenceront à préparer des CDN actualisées qui seront soumises en 2025. Il est essentiel d'en anticiper les lignes directrices pour inclure les principes et les transformations sectorielles clés pour le climat et la biodiversité avant la COP 29. À la suite de la présentation des plans d'action nationaux et des CDN, une évaluation de l'ambition commune pour le climat et la biodiversité pourrait éclairer la COP 30, qui devrait connaître un élan important, notamment sous l'impulsion des efforts du gouvernement brésilien, en plaçant les forêts tropicales et la déforestation au premier rang des priorités de l'agenda international. Cet accent souligne l'urgence de protéger les écosystèmes vitaux et la biodiversité, en insistant sur la nécessité de mettre en place des mesures politiques de haut niveau consacrées au financement de la biodiversité au-delà des compensations climatiques, ce qui doit être considéré comme une priorité politique essentielle dans la perspective de la COP 30.
La collaboration scientifique entre l’IPBES et le Giec est également cruciale. Lors de la prochaine session de cadrage du Rapport d'évaluation 7 (AR7) en janvier 2024, les Parties qui défendent le climat et la biodiversité doivent joindre le geste à la parole en demandant à l’AR7 du Giec d'intégrer les considérations relatives à la biodiversité, en particulier par le biais du Rapport du Groupe de travail III, et en soulignant les limites des stratégies de CDR basées sur les terres en termes de durabilité.
- 2 Le Land Gap Report, récemment mis à jour, révèle que les pays prévoient d'utiliser 1,2 milliard d'hectares (l'équivalent des terres cultivées dans le monde) d'ici 2060 (https://landgap.org/downloads/2023/Land-Gap-Report_2023-Briefing_FINAL.pdf) pour le CDR basé sur les terres, dont environ la moitié implique un changement supplémentaire dans l'utilisation des terres (boisement ou reboisement, probablement principalement par le biais de monocultures) ; les engagements les plus importants dans ce cadre proviennent des pays exportateurs d’énergies fossiles à revenu élevé (États-Unis, Russie, Arabie saoudite, Canada).
- 3 Il convient de noter que la CDB n'appelle pas à l'élaboration de stratégies de long terme en matière de biodiversité.
- 4 En 2021, l'Iddri a proposé plusieurs principes clés pour aligner l'ambition et l'action en matière de climat et de biodiversité : https://www.iddri.org/en/publications-and-events/study/aligning-high-climate-and-biodiversity-ambitions-and-action-2021-and
- 5 Par exemple : Deutz, A. et al. (2020). Financing Nature: Closing the global biodiversity financing gap. The Paulson Institute, The Nature Conservancy, and the Cornell Atkinson Center for Sustainability; Songwe V, Stern N, Bhattacharya A (2022). Finance for climate action: Scaling up investment for climate and development. London: Grantham Research Institute on Climate Change and the Environment, London School of Economics and Political Science.
- 6 Article 2.1c de l’Accord de Paris ; Objectif D, Cibles 14, 15, 18 & 19 du KMGBF ; et stratégie de mobilisation des ressources de la COP 15.
- 7 Il s'agit notamment du Fonds vert pour le climat, du Fonds pour l'environnement mondial, du récent Fonds du cadre mondial pour la biodiversité, du futur Fonds pour les pertes et dommages, et d'autres acteurs du développement tels que les banques multilatérales de développement.