Dans le sillage du lancement du Pacte vert, la Commission européenne prépare une révision de sa stratégie d’adaptation pour l'Europe, qui constituera la tête de pont de l'action européenne en faveur de la résilience climatique. Prévue pour être adoptée en 2021, elle remplacera la stratégie de 2013. Le défi pour l'UE est de promouvoir des mesures d'adaptation à long terme et de réduire les vulnérabilités tout en tirant les leçons de la crise sanitaire actuelle et en intégrant mieux les objectifs d'adaptation (au niveau européen et dans les États membres) conformément à l'Accord de Paris sur le climat. Quels progrès ont été réalisés ? Que contient la proposition de cette nouvelle stratégie, et quels en sont les points aveugles ? Et permettra-t-elle d'encourager le leadership de l'UE au niveau mondial et son engagement d'atteindre l'Objectif mondial d'adaptation ?
État des lieux des progrès réalisés depuis 2013
Depuis l'adoption de la précédente stratégie d'adaptation de l'UE en 2013, des progrès ont été réalisés sur les trois objectifs qui lui avaient été assignés : promouvoir l'action des États membres ; aligner les actions et les mesures sur les impératifs climatiques au niveau de l’UE ; et faciliter une prise de décision informée. En outre, tous les États membres ont adopté des stratégies nationales d'adaptation globales qui permettent d'améliorer la coordination, l'intégration et le partage des informations. Les tableaux de bord élaborés par la Commission permettent d'évaluer ces stratégies ainsi que leurs forces et faiblesses en matière de dispositifs de gouvernance, de processus de planification des mesures et de soutien à la production et au partage des connaissances. En outre, la gouvernance à plusieurs niveaux a été renforcée par la Convention européenne des maires pour le climat et l’énergie, qui engage le niveau infranational (par exemple les villes). Et, afin de garantir des prises de décision informées par la science, des études techniques et des modèles sur les tendances, les risques et les vulnérabilités liés au climat sont produites par la plateforme Climate-Adapt, les services climatiques de l'UE tels que Copernicus et les projets de recherche Horizon 2020. Enfin, les fonds liés à la prise en compte des impératifs climatiques ont permis, avec un relatif succès, d’intégrer les questions d’adaptation aux processus de décision.
Malgré ces progrès, l'évaluation réalisée par la Commission européenne en 2018 a appelé à « passer de la production de connaissances à l'action ».
La nouvelle stratégie conduira-t-elle l'UE vers une adaptation « transformative » ?
Tout d'abord, le renforcement de l'action bénéficiera d'un cadre actualisé, qui s’appuiera sur de nouvelles mesures relatives au rapportage (reporting) de l’action en faveur de l’adaptation. En alignant la stratégie sur les accords internationaux sur le climat, notamment l'art. 7 de l’Accord de Paris et l'Objectif mondial d'adaptation, la stratégie prévoit de nouvelles dispositions de gouvernance et de nouvelles politiques en matière de transparence et de reporting. En s'appuyant sur ces nouveaux outils, les États membres pourront faire une priorité du suivi et du reporting des actions en faveur de l’adaptation, et ainsi nourrir le Bilan mondial de 2023 (cf. article 14 de l'Accord de Paris) ; en outre, la redevabilité des plans nationaux sera encouragée afin d’évaluer les progrès et faire pression sur les processus de coordination du niveau local au niveau national pour nourrir ce suivi. L’accent étant pour l’instant mis sur les gouvernements nationaux et infranationaux, une marge de progression est possible quant à l'engagement, la participation et la responsabilité du secteur privé.
Deuxièmement, la stratégie actualisée devrait permettre de passer de la connaissance à l'action, c'est-à-dire de s'attaquer aux risques systémiques tels que les impacts du changement climatique sur les marchés et les institutions financières. Les parties prenantes souhaitent tirer parti des diverses capacités techniques et de modélisation des programmes climatiques de l'UE pour identifier les points critiques de vulnérabilité, ce qui pourrait permettre de soutenir les plans de continuité des activités. La résilience de ces plans et des modèles d'affaires met en évidence l'interconnexion des économies et les effets en cascade des risques climatiques. Comme le montrent les effets économiques de la crise sanitaire actuelle, les risques transfrontaliers sur les chaînes d'approvisionnement mondiales représentent un problème crucial pour l'UE. La stratégie d'adaptation devrait donc utiliser l'expertise et les données disponibles pour intégrer ces potentiels effets indirects dans le cadre de la politique commerciale de l'UE (voir Adams et al., 2020). Parmi les questions critiques soulevées dans le cadre de la révision de cette stratégie figurent également les liens entre le climat et la sécurité (migrations induites par le climat et conflits potentiels) (Adelphi research gemeinnützige GmbH, 2020), les effets transfrontaliers de l'adaptation, le manque d'adaptation ou même la maladaptation dans les pays non-européens (Magnan et al., 2015) ; ces préoccupations appellent un dialogue international sur la conception de mécanismes de coordination, et devraient être traitées par la stratégie d'adaptation de l'UE.
Troisièmement, il est encore possible d'améliorer l'intégration (mainstreaming) des politiques et programmes de l'UE, l'évaluation de 2018 sur le succès de la prise en compte de la résilience comme condition d'accès aux fonds de l'UE (comme les Fonds structurels et d'investissement européens), par exemple dans des secteurs comme la pêche, ayant montré des résultats mitigés. Sur 25,3 % des dépenses liées au climat dans les différents fonds de l'UE, 11,4 % ont été alloués à l'atténuation, 3,1 % à l'adaptation et 10,8 % ont été classés comme soutenant les deux (Commission européenne, 2018).
L’alignement des investissements en faveur de la protection du climat sera au cœur d'une action d'adaptation ambitieuse, particulièrement dans le contexte du Pacte vert et des plans de relance liés aux impacts de la pandémie de Covid-19. Un ensemble révisé de règles de taxonomie comprenant de nouveaux critères d'adaptation jettera les bases d'investissements alignés avec la lutte contre le changement climatique. Toutefois, reste à déterminer comment le secteur privé et le secteur public utiliseront cette taxonomie et comment les investissements dans l'adaptation seront renforcés et mesurés. Parallèlement, les chefs d'État ont convenu cet été que 30 % du Fonds de relance de l'UE devraient être alignés sur les objectifs environnementaux (Berghmans, 2020). Les États membres ont suivi ce signal fort en intégrant la résilience climatique dans leurs plans de relance nationaux. Par exemple, la France a publié un plan de relance qui comprend trois mesures particulières relatives à l'adaptation : le renforcement de la résilience des écosystèmes dans les zones côtières, le renforcement de la résilience des infrastructures contre les cyclones dans les Grandes Antilles, et l'adaptation des systèmes d'eau potable (Gouvernement français, 2020). Ces initiatives, associées à des plans d'action renouvelés, appellent à un suivi systématique des investissements pour l’adaptation et de leurs bénéfices afin de renforcer l'intégration de l'adaptation dans les fonds de l'UE.
Adaptation et résilience dans le contexte de la crise de la COVID19
La dynamique rapide du changement climatique, les risques transfrontaliers et les vulnérabilités socio-économiques profondément enracinées que révèle la crise sanitaire actuelle soulignent l'urgence d'une planification à long terme, ainsi que d'une action politique renforcée et d'un investissement dans la résilience et l'adaptation. La stratégie européenne actualisée vise à faire de la santé un domaine prioritaire, avec un nouvel observatoire de la santé et des systèmes d'alerte précoce pertinents. La pandémie a également mis en évidence la nécessité d'anticiper et d'agir sur les risques dans le cadre d'un effort international, car ces crises sont mondiales. La lutte contre les risques transfrontaliers en Europe et avec les partenaires extérieurs sera un pilier central de cette nouvelle réflexion systémique sur l'adaptation, qui nécessitera de nouveaux modèles de coopération et de coordination internationales, ainsi qu'une participation importante des États membres de l'UE.
L’alignement sur les impératifs de lutte contre le changement climatique des politiques européennes en matière de commerce, d'agriculture, de pêche et d'infrastructures devrait faire partie de la nouvelle trajectoire de l'Europe pour « reconstruire en mieux » au lendemain de la crise actuelle. Plus encore, au carrefour des programmes récemment annoncés (Pacte vert, Loi climat, plan de relance), le renforcement des investissements d'adaptation en tant que dépenses distinctes et complémentaires des dépenses d'atténuation permet de préciser le cadre de finance durable de l’Union et l’engage sur la voie de la résilience climatique. Avec le lancement d’une stratégie d’adaptation actualisée, l'UE a un rôle essentiel à jouer en termes de leadership sur le suivi et la transparence des actions d’adaptation et sur les actions permettant d’atteindre l’Objectif mondial d'adaptation.