Le règlement européen pour la restauration de la nature récemment adopté est un instrument clé pour l’atteinte des objectifs de protection de la biodiversité, mais aussi pour améliorer la résilience des territoires. En préparant leurs plans d’action nationaux dédiés, les États membres peuvent se saisir de la restauration de la nature pour poursuivre plusieurs cibles afin d’améliorer la santé environnementale et s’adapter au changement climatique. En France, les COP régionales de la planification écologique sont une échelle pertinente pour penser ces mesures et les déployer par la mobilisation d’acteurs multiples.

En adoptant le cadre mondial pour la biodiversité en décembre 2022, la France s’est engagée à restaurer 30 % de ses écosystèmes dégradés. La restauration de la biodiversité peut se faire de manière active (une action pour replanter, ramener des espèces là où il n’y en avait plus) ou passive (la diminution ou l’arrêt de pressions, qui entraîne un regain spontané de nature).

C’est l’un des piliers de la Stratégie nationale pour la biodiversité (SNB) publiée fin 2023. À ce titre, la restauration des écosystèmes entre dans le déploiement de la planification écologique, initié par la Première ministre Elisabeth Borne en novembre 2023 dans les territoires. Cette démarche de territorialisation, menée par les préfets et présidents de Régions, est fondée sur des processus participatifs appelés « COP (conférences des Parties) régionales »1 . Chaque Région devrait rendre sa feuille de route d’ici l’automne, les travaux ayant pris du retard par rapport au calendrier initial fixé à l’été 2024. L’impact des élections législatives de juillet sur le processus est incertain à ce stade. Ces travaux sont une opportunité pour réfléchir à l’action structurante des politiques de restauration sur le territoire. À cette échelle, les bénéfices de la restauration peuvent se faire sentir directement, en améliorant par exemple la qualité de l’eau ou en limitant les dommages causés par les événements climatiques extrêmes, dans les milieux agricoles et urbains. 

La majorité des Régions françaises disposent d’une stratégie régionale pour la biodiversité qui identifie des actions pour la restauration des écosystèmes. Les COP régionales peuvent redonner un élan et des moyens pour le déploiement de ces actions, en les reliant aux enjeux plus généraux de transition du territoire. On observe cependant que les COP régionales, qui visent à identifier des mesures pour la transition écologique avec les élus locaux, peinent à aborder la question de la biodiversité, y compris celle de la restauration. Nous identifions deux verrous à lever afin que les COP régionales puissent proposer des mesures de restauration résilientes et adaptées aux territoires.

Au-delà de la conservation de la nature, la restauration de la biodiversité comme levier transversal pour la résilience des territoires

Les COP ne devraient pas se limiter à aborder la restauration des habitats dégradés lorsqu’elles traitent de la préservation de la biodiversité. Lorsque les COP se penchent sur les leviers d’action pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre dans les activités agricoles et sylvicoles ou pour la gestion de l’eau, la restauration peut y être abordée selon trois angles :

  1. Repenser la résilience des territoires grâce aux écosystèmes : à l’échelle de bassins de vie, l’amélioration de la qualité de l’air, de l’eau et des sols et l’adaptation au changement climatique peuvent se fonder sur un panel d’actions incluant la restauration des écosystèmes (diversité d’essences ou de variétés locales dans les exploitations forestières et agricoles par exemple). Outre les bénéfices économiques, cette résilience concerne également la protection des personnes et des biens face aux pollutions chimiques (pesticides), aux feux de forêt (UICN Comité français, 2022) ou aux inondations (UICN Comité français, 2019). 
  2. Gérer durablement des écosystèmes productifs : la gestion durable des forêts publiques et privées ou la gestion des prairies et leur moindre retournement permettent d’atteindre des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre, en évitant de libérer du CO2 stocké dans ces écosystèmes. Il s’agit de restauration passive (coupes sélectives moins fréquentes ou moindre retournement des prairies, donc moindre perturbation des espèces entre deux cycles).
  3. Restaurer par des travaux : la plantation de haies ou la remise en eau d’une zone humide sont des exemples de restauration active. Ils améliorent les services fournis par les écosystèmes, comme la gestion de l’eau : maintien de l’humidité en cas de faibles pluies, absorption en cas de fortes pluies.

Ainsi, lorsque les COP régionales envisagent les actions de restauration, celles-ci ne peuvent se réduire aux seuls espaces protégés. La restauration doit se penser en lien avec la production agricole, la gestion des forêts, de l’eau ou encore la construction de logements. Mettre la restauration au cœur des échanges sur l’ensemble des thématiques de la planification écologique permettrait de mieux faire comprendre à tous les acteurs les différentes facettes de la restauration des écosystèmes et la convergence des leviers pour la décarbonation, l’adaptation et la restauration. L’annexe VII du règlement européen fournit une liste de mesures qui participent à la restauration des écosystèmes et qui peuvent alimenter la réflexion des COP en la matière, permettant aux acteurs des différents groupes thématiques de la COP d’établir un diagnostic partagé.

Préciser quels acteurs peuvent œuvrer à la restauration de la nature, et avec quels moyens

Le rôle des collectivités (Régions, communes, EPCI2 , etc.) est bien sûr central dans les territoires. En ville, les solutions sont bien connues :  gestion des espaces verts, désimperméabilisation des sols et trames vertes et bleues (TVB) sont déployées par les mairies. En milieu rural, où la nature est plus visible et la notion de restauration plus difficile à matérialiser, les leviers d’action sont moins bien identifiés et relèvent d’une plus grande variété d’acteurs, notamment du secteur privé et de propriétaires individuels dans les domaines agricoles ou forestiers. Certains exemples existent pourtant. Des communes ont entrepris de restaurer les prairies humides en y instaurant des zones de pâturage en partenariat avec les agences de l’eau, les parcs naturels régionaux, les chambres d’agriculture, et des organisations professionnelles d’agriculteurs biologiques de la région. Les collectivités ont aussi la compétence de créer des zones agricoles protégées (ZAP) sur avis du conseil municipal, de la chambre d’agriculture et de la commission départementale d’orientation de l’agriculture (CDOA) pour préserver le potentiel agronomique, biologique ou écologique des terres cultivées. D’autres instruments comme les baux ruraux à clauses environnementales ou les obligations réelles environnementales peuvent être envisagés.

Cela implique pour les communes de penser ces actions de restauration, et de se coordonner entre collectivités périurbaines dans le cadre des forums de concertation existants, pour l’établissement des schémas de cohérence territoriale (SCoT) ou des feuilles de route régionales des COP.  

Au-delà de cet enjeu de coordination, la mise en œuvre d’actions de restauration ambitieuses par les collectivités requiert des accompagnements techniques et financiers. Quand bien même les communes devraient pouvoir financer la restauration grâce au mécanisme des sites naturels de restauration et de renaturation, il sera insuffisant en regard des surfaces concernées, qui dépassent d’ailleurs la seule propriété communale. Le Fonds vert apporte aux collectivités un soutien financier pour diverses actions relatives à la transition écologique, dont la restauration. Mais pour cette dernière, il exclut les zones agricoles de son champ d’application, laissant au ministère de l’Agriculture toute prérogative concernant ces milieux, à l’exception notable des Agences de l’eau qui ont lancé ces dernières années plusieurs actions de restauration avec des collectivités et des agriculteurs. 

Le Fonds vert pourrait donc mieux intégrer la restauration dans ses différents portefeuilles, liés à la gestion des risques naturels par exemple. En effet, les agroécosystèmes sont à la fois exposés à des risques (ex : sécheresses) et sources de solutions (ex : zones naturelles d’expansion de crue en cas d’inondation). Au vu de leur importance en milieu rural, une plus grande attention et des moyens plus importants devraient être dédiés à leur restauration dans les budgets de la transition écologique comme ceux du Fonds vert. L’objectif serait ici d’accroître le soutien direct aux agriculteurs s’engageant dans la transition agroécologique par des prêts, des subventions ou des paiements pour services environnementaux, afin de faire se rencontrer des projets territoriaux axés autour de la résilience et de la santé environnementale et les aspirations ou besoins d’agriculteurs engagés ou prêts à s’engager dans des pratiques favorisant la restauration de la nature. 

Les actions identifiées par les COP régionales pourront être intégrées dans les Contrats pour la réussite de la transition écologique (CRTE) signés entre l’État et les collectivités. Ces contrats incluent en effet les projets qu’une commune souhaite mener pour la transition écologique et identifient les sources de financement publics disponibles. Via le règlement européen, de nouveaux fonds seront également mobilisables. 

Enfin, en ce qui concerne l’accompagnement technique, de nombreux acteurs3 mettent en œuvre et expérimentent depuis plusieurs décennies des actions de restauration et de gestion durable des écosystèmes. En les mettant autour de la table dans les COP régionales, ces acteurs pourraient amener leur expertise sur les milieux à restaurer, les actions à mener et les moyens nécessaires.

Nous n’avons relevé ici que quelques instruments réglementaires et financiers dans un paysage foisonnant. Nombre d’entre eux n’ont pas encore réalisé leur potentiel. Les COP régionales offrent une opportunité pour que l’État et les régions fassent le point sur les outils disponibles, que les collectivités clarifient leurs besoins et idées en matière de restauration, et que les feuilles de route régionales ouvrent la voie à une meilleure coordination des initiatives existantes pour la restauration des écosystèmes, entre État, Région, collectivités, mais aussi avec les acteurs privés. Le croisement de l’élaboration du plan national de restauration pour répondre au règlement européen avec les réflexions des COP régionales permettrait à tous les acteurs, de l’environnement, mais également de l’aménagement du territoire, de ré-évaluer le rôle des écosystèmes et de leur restauration lorsque nécessaire dans les économies et le bien-être des riverains. Il apparaît alors évident d’élargir les politiques de restauration au-delà des cercles de la conservation de la nature, pour engager tout utilisateur des terres et des mers dans leur mise en œuvre. 
 

  • 1 Nous désignons ici par « COP régionale » l’ensemble du processus de territorialisation des objectifs de la planification écologique. Cela inclut l’ensemble des travaux déployés depuis l’automne 2023 : travaux par groupes thématiques au niveau des Régions et échanges et concertations avec les élus en vue d’élaborer une feuille de route régionale. 
  • 2 Établissement public de coopération intercommunale
  • 3 Par exemple, Parcs naturels régionaux, Parcs nationaux dans leurs zones d’adhésion, Conservatoire du littoral, Conservatoires d’espaces naturels, Office national des forêts, Centre national de la propriété forestière.