ESM Montenegro FR

Dans le cadre de son projet éditorial à l'approche des élections européennes de juin 2024, L’Union dans tous ses États – Réinventer le « Deal », l'Iddri publie (de novembre 2023 à mars-avril 2024) les idées de penseurs européens sur ce qui anime les débats politiques dans les différents États membres, sur le projet que l'Union européenne devrait soutenir, et sur la manière dont la transition écologique s'articule avec les dimensions sociales et économiques. 

Le Monténégro, désireux de rejoindre l'Union européenne, ambitionne de devenir un laboratoire de la transition écologique. Sous la plume du Prince du Monténégro, Nicolas Petrovitch Njegosh, ce billet de blog explore les attentes du pays vis-à-vis de l'UE, mettant en lumière ses richesses naturelles et son engagement en faveur du Pacte vert. Un appel à la coopération européenne pour concrétiser des projets novateurs et durables, ancrant ainsi le Monténégro dans une vision européenne et écologique.

Malgré les crises et les incertitudes actuelles (écologique, économique, politique et démocratique, conflits armés à proximité), le Monténégro se projette dans l’avenir, et l’accession à l’Union européenne constitue l’un des leviers clés de cette vision. Parmi les pays accédants, le Monténégro a le potentiel de devenir un laboratoire de la transition écologique et de trouver ainsi une place spécifique en Europe, mais aussi parmi les États dont la petite taille leur permet de se lancer des défis particulièrement audacieux en la matière. Le Pacte vert européen et la perspective d’accession joueront un rôle central pour soutenir un tel projet. Quelles sont dans ce cadre les attentes du Monténégro vis à vis du prochain mandat de la Commission européenne ?

Le Monténégro, « État écologique » : héritage historique et potentiel d’avenir

La République du Monténégro s’étend sur 13 500 km2 entre mer et montagne et compte 650 000 habitants. C’est le premier État à avoir inscrit, le 20 septembre 1990, « l’État écologique » dans sa Constitution. Toutefois, le conflit yougoslave, l’embargo qui s’en est suivi et les difficultés d’une transition non programmée ont fait oublier cet engagement. Qui prend aujourd’hui tout son sens face à l’urgence de la lutte contre le réchauffement climatique : face au développement incontrôlé de l’urbanisation et du tourisme de ces dernières années, l’État écologique devient en effet pour beaucoup une nécessité et le seul espoir de pouvoir préserver notre plus grande richesse, une nature exceptionnelle, et sortir le Monténégro des rivalités et des conflits qui le paralysent, en lui proposant un projet, un avenir désirable et durable. 

Les écosystèmes naturels du Monténégro, particulièrement accidentés et remarquables, ont permis par le passé au pays de se protéger et de maintenir son indépendance ; ce sont eux qui ont inspiré le projet d’État écologique. En outre, le pays dispose de richesses naturelles telles que des mines (bauxite, fer, lignite), un réseau hydraulique important, une forêt qui couvre plus de 60 % du territoire, et une côte de 250 kilomètres avec plusieurs sites remarquables dont un port commercial convoité. 

La difficile transition entre une bureaucratie statique, un temps modèle de « socialisme à visage humain » mais qui n’a pas su se réinventer, et un capitalisme primaire laisse une trop grande place aux questions identitaires qui restent les questions dominantes dans les anciennes républiques yougoslaves. Mais la petite taille du Monténégro et la proximité dont bénéficient ses habitants font que, même dans les pires moments du conflit, le Monténégro a su préserver son « vivre ensemble ». 

Sur le plan économique, la Yougoslavie socialiste avait privilégié l’industrie et développé des sites industriels (Kombinat d’aluminium, central thermique, métallurgie, papeterie industrielle, usine d’électroménager). La plupart de ces installations vétustes et polluantes sont aujourd’hui à l’arrêt ou devraient l’être, laissant des sites industriels à l’abandon en attente de nouveaux projets. Le tourisme et la construction se sont beaucoup développés et restent les principales ressources et activités du pays. Mais, incontrôlés, ils représentent également la principale source de dégradation de son environnement. En dehors des vignes et du tabac exploités par l’État, durant la période socialiste, l’agriculture a été marginalisée, constituant le plus souvent une activité complémentaire et familiale malgré des conditions très favorables (soleil, eau en abondance, alpages).  En l’absence de pollution industrielle et agricole, elle représente un potentiel inexploité pour une agriculture « méditerranéenne » biologique. Enfin, la forêt du Monténégro, l’une des dernières forêts primaires en Europe, est mal exploitée et mal contrôlée ; pourtant, une gestion raisonnée pourrait en faire une source de développement durable et d’emplois qualifiés, particulièrement dans le bâtiment. 

Le Parti démocratique des socialistes (DPS en monténégrin) et son dirigeant, le Président Djukanovic, ont occupé le pouvoir sans partage pendant environ 30 ans (1991-2020), évitant au Monténégro de s’engager dans le conflit yougoslave et le conduisant à l’indépendance en 2006. Cependant, accusés d’une gestion inégalitaire et corrompue, ils ont perdu le pouvoir aux législatives d’août 2020. Le Monténégro a alors découvert le pluralisme et la difficulté de gouverner sans majorité. Le nouveau Président centriste élu en avril 2023 a su cependant réunir une large majorité autour de l’entrée dans l’Europe et en essayant de dépasser les clivages identitaires. Un nouveau gouvernement vient d’être élu ; il devra proposer et animer un projet pour le Monténégro et rompre avec les deux dernières années de jeux politiques stériles.  

Un nouveau projet politique à la croisée de l’Europe et de la transition écologique 

Jusqu’ici portée par des ONG et une petite partie de la population, la notion d’État écologique réapparaît au sein des Institutions, des médias et de la communication, le plus souvent sous forme de questions plutôt que de réponses : quel tourisme pour demain ? Comment éduquer les citoyens aux bonnes pratiques ? Que faire de nos déchets ? Quid des éoliennes, des fermes solaires, des mini hydrocentrales ? C’est par rapport à ces questions que l’Union européenne peut jouer un rôle capital et nous aider à trouver ensemble les bonnes réponses et à mettre en œuvre des projets innovants, durables et réplicables, au service des citoyens. Et c’est ainsi que l’adhésion au pacte européen pourra trouver son véritable ancrage, au-delà de la dimension strictement institutionnelle, au Monténégro et plus globalement dans les Balkans, qui constituent encore une fragilité aux portes de l’Union. Face aux appétits commerciaux chinois, le choix pourrait se résumer en : Pacte vert ou Routes de la soie ? 
 
Des signaux encourageants existent dans la communauté politique et la société civile monténégrine : le nouveau Président a intégré l’écologie dans ses discours et, pour la première fois, la Présidence s’est entourée d’une conseillère en développement durable ; la nouvelle génération de ministres ainsi que beaucoup d’élus sont plus sensibilisés aux problèmes de l’environnement ; et les ONG sont toujours très actives. Mais le développement du tourisme et de la construction sans préparation des infrastructures crée des situations d’urgence dans différents domaines : circulation et transport, traitement des déchets et des boues des stations d’épuration, pollution du littoral et de la mer, artificialisation des sols, déforestation. 

Sur l’ensemble de ces sujets, des projets très concrets peuvent être proposés, comme l’illustrent quelques exemples de projets pilotes portés par la fondation Petrovic Njegos, en partenariat avec des institutions, des acteurs de la société civile, mais aussi des entreprises européennes proposant des technologies innovantes dans les domaines suivants : le traitement et la valorisation des déchets (Genio - Italie)1 , et  le stockage de l’énergie et la motorisation à air comprimé (Anthos air power – France)2 .

Projets pilotes

Sur la base de ces technologies, plusieurs projets ont été proposés localement et sont en cours d’étude sur différents sites, principalement dans le domaine des déchets qui, non traités, sont déchargés à ciel ouvert ou enfouis en site naturel et qui représentent des risques écologiques et sanitaires graves. 

EKOBRIGADA – En cours d’études avec l’armée du Monténégro
Le projet est d’équiper l’armée avec une unité mobile de traitement des déchets (station laser) entièrement autonome et de lui permettre de traiter sur place les dépôts municipaux et sauvages. 
Partenaires : ministère de la Défense – ministère de l’Écologie - Mairies

TIVAT – Bouches de Kotor
Installation d’une station de traitement à proximité de la station d’épuration de Tivat située sur la côte et qui couvre les villes de Kotor et de Tivat. Cette station permettra également le traitement conjoint des boues de la station d’épuration. Le transport des déchets sera assuré par mer au moyen de barges équipées de moteurs à air (0 co2).
Partenaires : Ville de Tivat – Ville de Kotor - ministère de l’Écologie 

ZELJEZARA NIKSIC – combinat sidérurgique de la ville de Niksic
Le combinat est à l’arrêt après la reprise du site par la compagnie nationale d’électricité du Monténégro (EPCG). Il est prévu d’accueillir sur le site un centre de recyclage. Nous proposons d’y adjoindre une station de traitement des déchets non recyclés fournissant de l’énergie à la station ; nous proposons également que l’usine envisage la fabrication et l’entretien des stations ainsi que des Kit Retrofix pour l’air comprimé en renouant ainsi avec sa vocation industrielle et sociale. 
Partenaires : EPCG – Ville de Niksic – ministère des Finances

Qu’attendre de l’Europe ?

La perspective de l’accession à l’UE est importante à court terme, afin de déployer un cadre de soutien et de coopération pour l’accession, et à plus long terme, dans la perspective de la place que le Monténégro trouvera en Europe avec ses atouts particuliers. Au-delà de la présence des missions européennes qui jouent un rôle important dans la stabilisation du pays sur le plan politique et économique, la réalisation de projets concrets et visibles permettrait d’ancrer la Monténégro dans sa destinée européenne. 

Pour les citoyens, le projet de l’entrée dans l’UE comme celui de l’État écologique manquent de visibilité dans la vie quotidienne. C’est dans ce sens qu’à son niveau, la Fondation s’investit dans des domaines comme le traitement des déchets qui reste un sujet crucial auquel l’Europe devrait pouvoir s’associer. Par ailleurs, le projet de coopération franco-Monténégrin de centre hospitalier universitaire avec l’APHP, inspiré des meilleurs savoir-faire européens dans l’écoconstruction et la santé publique, et dont le Monténégro souhaite faire un modèle à la fois écologique et d’humanisation des hôpitaux, pourrait toucher l’ensemble de la population du pays. 

Un tel projet, priorité du gouvernement et soutenu par l’UE, assurerait l’amarrage du Monténégro au port « Europe » après les tempêtes de l’histoire. Il créerait non seulement une dynamique régionale forte pour l’intégration, mais également un modèle de ce que peut apporter le Pacte vert.

  • 1 Il s’agit de stations légères de pyrogazéification brevetées (laser ou bombardement de billes d’acier à 1 000°C) et performantes (déchets : 1M3/H - production : entre 600 KWh et 1,5 MWh suivant le type de déchets – Résiduel : 7/10 % de cendres inertes). Le modèle laser plus compact permet un transport en container pour des traitements sur place.
  • 2 Il s’agit d’une part de « Kit retrofit » brevetés convertissant des moteurs thermiques de série en moteurs à air comprimé. Le système est également adaptable pour tous moteurs électriques en remplacement des batteries. Il s’agit également d’installations de stockage d’énergie sous forme d’air comprimé.