L'Inde et l'Union européenne (UE) sont des acteurs importants de la diplomatie climatique internationale, et le sommet (virtuel) UE-Inde à venir (8 mai) offre une opportunité pour définir de nouveaux domaines de coopération afin d'atteindre conjointement les objectifs de l'accord de Paris sur le climat et les objectifs de développement durable de l'Agenda 2030. À la suite de la signature entre les États-Unis et l’Inde du Partenariat Agenda 2030 sur le climat et l'énergie propre, lancé lors du Sommet des Leaders de la Maison Blanche à l'occasion de la Journée de la Terre (22 avril), ce billet de blog recense certains des domaines de coopération concrets potentiels pour un partenariat renouvelé entre l'UE et l'Inde sur le climat et le développement.

L'UE est l'une des régions du monde les plus engagées dans l'atténuation des effets du changement climatique, avec un objectif inscrit dans la loi de zéro émission nette de gaz à effet de serre (GES) d'ici 2050, et un objectif de réduction des émissions de GES de 55 % (par rapport aux niveaux de 1990) d'ici 2030. L'Inde a elle aussi mis en place des programmes ambitieux, notamment l'expansion des énergies renouvelables dans le secteur de l'électricité, un plan d'action national pour la climatisation et un plan national pour l'air pur, entre autres engagements en faveur du climat. L'Inde et l'UE entretiennent des liens commerciaux, financiers et industriels étroits (l'UE étant le premier partenaire commercial de l'Inde1 ) et toutes deux ont traditionnellement un intérêt marqué pour les processus de la Convention sur le climat. Les impacts de la crise liée à la Covid-19, associée à l'apparition d'événements climatiques extrêmes, ont renforcé le lien entre économie et écologie au niveau mondial. Compte tenu des défis de transition les plus urgents pour l'Inde et l'UE, ce billet se concentre sur cinq domaines thématiques : l'énergie, la transition industrielle, le transport, la mobilisation des financements et l'adaptation et la résilience.

Transition énergétique

Compte tenu du contexte macroéconomique et de sa trajectoire de croissance, l'Inde devrait être confrontée à une augmentation de la demande énergétique plus que tout autre pays au cours des deux prochaines décennies2 . Bien que l'Inde ait ajouté de l'énergie renouvelable à grande échelle à son mix énergétique dans le cadre de ses engagements, le déploiement d'une capacité renouvelable accrue, une élimination durable et juste du charbon et l'amélioration de la santé financière des sociétés de distribution sont les prochaines étapes nécessaires à franchir dans le contexte du secteur énergétique. Parmi les évolutions positives, citons la baisse du coût de l'énergie solaire photovoltaïque en Inde, qui est passé de 0,30 $/kwh à moins de 0,05 $/kwh pour la période 2010-20193 , avec des rapports récents faisant état de <0,03 $/kwh, sachant que l'Inde bénéficie globalement d'un très bon ensoleillement4 . La baisse du coût du solaire photovoltaïque est un facteur rassurant par rapport à l'ampleur de l'installation de l'énergie solaire. Toutefois, pour assurer une transition durable vers les énergies renouvelables en s'éloignant des combustibles fossiles, il faudra également réduire les coûts de stockage. Cela nécessite également une planification pour faire face à la variabilité solaire diurne (par exemple, il est nécessaire de disposer d'une alimentation de secours ferme et propre pendant la nuit, éventuellement en utilisant l'hydrogène produit pendant la journée). Enfin, une trajectoire claire de sortie du charbon est une pièce manquante essentielle dans la transition énergétique indienne actuelle. Celle-ci devrait s'inscrire dans une perspective de transition juste, en tenant compte des risques et des opportunités liés aux emplois, aux actifs échoués et aux aspects territoriaux. L'expérience de l'UE, notamment par le biais du mécanisme de transition équitable, sera essentielle pour explorer les moyens optimaux d'entreprendre la transition dans ce secteur.

Potentiel de coopération entre l'UE et l’Inde. L'UE et l'Inde sont toutes deux engagées sur la voie de la décarbonation et du développement de leur système électrique pour permettre l'électrification des transports, des bâtiments et de l'industrie légère. L'Inde a annoncé un objectif ambitieux de mise en place de 450 GW d'énergie renouvelable d'ici 2030 et travaille sur une feuille de route pour atteindre cet objectif. L'UE a été à l'origine de la plupart des premiers efforts visant à créer une demande pour l'énergie éolienne et l'énergie solaire photovoltaïque, et l'expérience ainsi acquise peut être utile pour répondre aux besoins de l'Inde en matière de production d'énergie propre pour un développement propre. L'Inde a également annoncé qu'elle consacrerait 214 millions de dollars au développement des énergies renouvelables et à la mission nationale sur l'hydrogène. L'expérience acquise par l'UE dans le cadre de son alliance pour l'hydrogène sera utile à l'Inde. Les deux régions pourraient collaborer dans le domaine des énergies renouvelables et de l'hydrogène vert, et travailler ensemble à l'acquisition de connaissances sur les services publics et les systèmes à source ouverte, afin de construire et d'exploiter des systèmes d'énergie renouvelable très variables, par exemple, comment garantir une énergie propre et ferme à bas coûts, en augmentant la transmission, la gestion de la demande, les batteries, l'hydrogène, etc. En outre, la collaboration en matière d'appareils à haut rendement énergétique et, en particulier, de climatisation à faible teneur en carbone pourrait contribuer à réduire les pics de demande d'électricité en Inde.

Transition industrielle

Une transition similaire vers des moyens de production plus écologiques pour des secteurs pour lesquels les réduction d’émissions sont plus difficiles sera un facteur déterminant pour atteindre une trajectoire à faibles émissions de carbone. L'Inde a tout intérêt à maintenir une industrie sidérurgique autosuffisante et propre. Cela a suscité un intérêt pour l'exploration de technologies et de moyens permettant de minimiser les émissions des secteurs où cela est difficile. Des technologies telles que le minerai de fer réduit à base d’hydrogène dans un four à arc électrique pour la fabrication de l'acier et l'utilisation accrue de l'hydrogène dans d'autres secteurs difficiles tels que le ciment, l'aluminium, la métallurgie et les produits chimiques, l'hydrogène étant produit de manière quasi exempte de gaz à effet de serre, constituent une avancée importante. Dans l'intervalle, même l'hydrogène brun est une technologie bienvenue. De même, les technologies de captage, utilisation et stockage du carbone (CCUS) sont également d'une importance capitale pour séquestrer les émissions inévitables.

Le leadership de l'Inde et de la Suède dans la Transition industrielle lancée lors du sommet pour l'action climatique de l'ONU de 2019 définit des voies importantes. On s'attend à ce que l'Inde joue un rôle clé au niveau mondial (pas seulement pour sa propre décarbonation) dans la transition des secteurs dont les émissions sont plus difficiles à réduire, notamment par le biais d'un mécanisme de club. Le verdissement de secteurs tels que l'acier et le ciment, qui sont essentiels pour la construction nationale à grande échelle ainsi que pour les exportations, nécessite un accès aux meilleures technologies disponibles et aux moyens de financement. En outre, la transition industrielle dépend essentiellement de la transition énergétique, de sorte que la production d'électricité au sein de l'industrie doit passer du charbon à l'électricité propre. On attend également des partenaires commerciaux mondiaux qu'ils se soutiennent et coopèrent entre eux plutôt que de se concurrencer sur la base de l'intensité des émissions des produits échangés au niveau mondial.

Potentiel de coopération entre l'UE et l’Inde. L'UE et l'Inde sont confrontées au défi de maintenir leur capacité industrielle tout en éliminant la combustion de charbon dans l'atmosphère. Il existe des opportunités communes dans le développement de la fabrication de fer et d'acier à réduction directe d'hydrogène et des applications ciblées du CCUS dans la fabrication du ciment. L'UE et l'Inde peuvent également partager des perspectives de soutien mutuel pour éviter l'utilisation d'instruments concurrentiels lorsque les industries adoptent des mesures respectueuses du climat. Les deux régions pourraient travailler sur des efforts communs en matière de recherche, de développement et de commercialisation précoce, par exemple par le biais de marchés pilotes rendus possibles par des contrats de différence5 .

Transports

Le secteur des transports en Inde est le troisième secteur le plus émetteur de gaz à effet de serre (GES), la contribution la plus importante provenant du transport routier. Sur le total des émissions de dioxyde de carbone en Inde, 13 % proviennent des transports6  ; 90 % de cette part proviennent du transport routier7 . Le secteur de la logistique et du transport de marchandises est essentiel pour l'Inde et il y a une forte volonté politique de développer le fret ferroviaire en Inde comme une composante de la décarbonation profonde8 . En outre, l'Inde possède l'une des plus grandes compagnies ferroviaires au monde. En juillet 2020, Indian Railways a annoncé que le système de transport national serait à zéro émission nette d'ici 2030. Cela signifierait l'élimination de 7,5 MteqCO2 chaque année9 . Le secteur du rail vise pour cela à améliorer son efficacité énergétique et à remplacer les sources de combustibles fossiles par des sources d'énergie renouvelables.

Quant à la décarbonation du transport routier, il est essentiel de passer aux véhicules électriques pour les trajets de courte et longue distances. Dans ce domaine, il faudra également renforcer les conditions d'une transition vers les véhicules électriques et développer l'infrastructure requise. L'Union européenne a elle aussi donné une forte impulsion à la décarbonation de son secteur des transports en révisant les normes relatives aux carburants et au CO2. Par exemple, en avril 2019, l'UE a approuvé une nouvelle norme d'économie de carburant pour les voitures et les véhicules utilitaires légers (2021-2030) et une norme d'émissions de CO2 pour les véhicules lourds (2020-30), avec des exigences spécifiques ou des bonus pour les véhicules électriques (VE)10 .

Potentiel de coopération entre l'UE et l’Inde. L'Inde possède l'une des plus importantes entreprises ferroviaires au monde et l'UE dispose des fournisseurs de technologies ferroviaires les plus avancés avec Alstom et Siemens. La coopération économique visant à poursuivre le verdissement des chemins de fer par l'électrification ferroviaire, les plates-formes multimodales, le renouvellement des locomotives électriques et autres systèmes de communication des trains, conduira à une plus grande diffusion des technologies à faibles émissions de carbone dans ce secteur.

Mobilisation des financements

Les secteurs analysés ci-dessus revêtent une importance considérable pour la transition de l'Inde et sont étroitement liés entre eux. Par exemple, il est essentiel de passer du charbon à une électricité propre pour permettre une transition propre de l'industrie. Il en sera de même pour la décarbonation du secteur des transports. Le potentiel de l'hydrogène en tant que source d'énergie propre dans chacun de ces secteurs est un domaine de grand intérêt qui peut être exploré par les experts de l'Inde et de l'UE. Cependant, au cœur de la transition dans la production d'énergie, l'industrie et les transports se trouve la question de l'accès aux meilleures technologies disponibles et à un financement évolutif. Il s'agit d'un domaine prioritaire, non seulement en raison de l'apparition de la pandémie et de la nécessité urgente de financer une relance verte, mais aussi parce qu'il faut garder à l'esprit l'objectif de mobiliser 100 milliards de dollars par an d'ici 2020. L'exploration de mécanismes et d'instruments permettant de canaliser le financement de projets de décarbonation à grande échelle sera capitale pour l'Inde. Le verdissement du système financier national et la prise en compte des risques climatiques sont également des domaines dans lesquels l'Inde a tout à gagner de l'expérience de l'UE. Enfin, la mobilisation de financements évolutifs pour accroître la capacité d'adaptation et la résilience est également un domaine d'exploration essentiel.

Potentiel de coopération entre l'UE et l’Inde. L'Inde et l'UE ont participé au lancement de la Plateforme internationale pour la finance durable (IPSF), ainsi qu'à d'autres groupes de travail bilatéraux tels que celui sur la finance durable entre l'Inde et le Royaume-Uni. Dans le contexte de l'ambition de l'Inde de mettre en place 450 GW d'énergie renouvelable d'ici 2030, l'UE et l'Inde ont l'opportunité d'augmenter les investissements requis par des mesures innovantes. Les instruments, les politiques et les cadres doivent être étudiés pour identifier les moyens de réduire le coût du financement pour les pays en développement. En outre, la nécessité d'une définition commune de la finance durable afin de normaliser la taxonomie des investissements verts pourrait être vitale pour encourager le secteur privé à investir davantage dans la finance durable. L'Inde peut tirer parti de l'expérience de l'UE dans l'élaboration de sa taxonomie verte pour mobiliser davantage de financements verts.

Adaptation et résilience

Selon l'indice de risque global 2020, l'Inde se classe au cinquième rang des pays les plus vulnérables au changement climatique. Étant donné que le développement de l'Inde dépend fortement de moyens de subsistance sensibles aux conditions climatiques (agriculture, pêche, élevage, etc.), il est nécessaire d'améliorer l'évaluation de la vulnérabilité dans le pays. La vulnérabilité de l'Inde doit être cartographiée à travers ses différentes géographies (zones marines, montagnes de haute altitude, zones arides et semi-arides, plaines fluviales, etc.), ses données démographiques (zones urbaines et rurales vulnérables, emploi, éducation, revenu, sexe, etc.) et ses secteurs économiques (agriculture, industrie, etc.).

Sur cette base, il y a un besoin primordial d'adaptation et de renforcement de la résilience. Cela permettra de réduire la vulnérabilité des personnes, des infrastructures et de l'économie et favorisera la croissance économique. Afin de protéger sa population et d'atteindre les Objectifs du développement durable, l'Inde a tout intérêt à évaluer les risques au niveau mondial, national, infranational et local pour planifier l'adaptation au climat et la résilience dans le cadre d'approches multisectorielles. Cet objectif peut être atteint en intégrant la gestion des risques climatiques dans les réglementations indiennes, comme les plans de développement.

Malgré sa grande vulnérabilité aux effets du changement climatique, l'Inde n'est pas un destinataire privilégié du financement international de l'adaptation. L'Inde a créé un Fonds national d'adaptation au changement climatique (NAFCC) pour couvrir les coûts d'adaptation afin de protéger les plus vulnérables. Dans le contexte de l'augmentation des événements extrêmes et de la grande vulnérabilité de l'Inde, un soutien international et bilatéral supplémentaire, au-delà des niveaux existants, est nécessaire de toute urgence, avec un accès plus direct et des modalités plus souples.

La Coalition pour des infrastructures résilientes face aux catastrophes - CDRI (Coalition for Disaster Resilient Infrastructure), une initiative multi-acteurs lancée par le Premier ministre Modi en 2019, vise à promouvoir la résilience des systèmes d'infrastructure nouveaux et existants face aux risques climatiques et aux catastrophes. Cette coalition peut être le forum international dans lequel l'Inde exprime son leadership – aux côtés de l'Alliance solaire internationale (ISA) et le groupe mondial Leadership Group for Industry Transition (LeadIT).

Potentiel de coopération entre l'UE et l’Inde. En ce qui concerne l'adaptation, la coopération entre l'UE et l'Inde pourrait se concentrer sur la collecte de données et les outils d'évaluation des risques, la planification de l'adaptation par de multiples parties prenantes, la mise en œuvre du renforcement de la résilience dans certains domaines (conditions météorologiques extrêmes, pénurie d'eau ou prévention des inondations, stress thermique) et la collaboration internationale autour de la résilience, y compris le financement. L'élimination des risques liés au financement de l'adaptation et de la résilience – en particulier pour les infrastructures résistantes aux catastrophes – et le financement d'actions sectorielles au niveau infranational pourraient présenter un intérêt, tout comme les instruments innovants de financement des risques.

NB : Le TERI et l’Iddri organiseront conjointement un forum informel de haut niveau pour échanger sur les questions de politique intérieure en matière de changement climatique et de diplomatie climatique internationale. La première session de dialogues devrait avoir lieu le 31 mai 2021.