La ville de Barcelone qui interdit en 2028 la location courte d'appartements aux touristes, la Grèce qui instaure une taxe aux croisiéristes débarquant dans certaines îles en haute saison, Marseille qui met en place une régulation des visiteurs dans ses calanques, etc. Depuis quelques mois, les mesures se multiplient pour répondre aux impacts économiques, sociaux et environnementaux liés au surtourisme. Des initiatives à portée locale essentiellement, qui invitent aujourd’hui à élargir le débat et à inscrire plus fermement les enjeux touristiques dans le champ de la coopération internationale et régionale.

Chaque saison estivale s’accompagne désormais de débats sur la place du tourisme dans nos sociétés. Les médias nous envoient les images de plages et sites touristiques bondés et rapportent les contestations de populations locales, bouleversées par un phénomène dont ils considèrent ne tirer aucun bénéfice. Car, et c’est le moins qu’on puisse dire, le secteur du tourisme connaît une résilience extraordinaire et s’est largement relevé de la crise Covid. En 2023, le tourisme a contribué, directement et indirectement, à 9,1 % du PIB mondial, soit une augmentation de 23 % par rapport à 2022, et l’année 2024 promet de battre de nouveaux records. Le secteur des croisières, un segment majeur du marché, a rebondi en 2023 avec 31,7 millions de passagers, dépassant de 7 % les niveaux de 2019, et les projections estiment que les 40 millions de passagers seront atteints d'ici 2027.

Les régions côtières sont particulièrement affectées par cette croissance continue. En Méditerranée, région qui accueille environ un tiers du tourisme international, les voyants sont au rouge. Le tourisme affecte des écosystèmes naturels déjà fragilisés et suscite parfois de fortes contestations locales de la part de populations fragilisées par la déstabilisation de certains secteurs, en particulier celui du logement. Dans les Caraïbes, les menaces qui pèsent sur le patrimoine naturel et culturel, l’accaparement des plages pour le développement hôtelier et l'exclusion des petites et microentreprises de la chaîne de valeur sont pointés du doigt par les communautés qui ne tirent que peu d'avantages de la croissance du secteur. Ces mêmes effets négatifs sont aujourd’hui constatés dans des régions qui s’ouvrent progressivement au tourisme, comme dans l’océan Indien occidental.

Sur le papier, les politiques touristiques ont pourtant opéré un changement majeur au cours des dernières années : les traditionnelles stratégies nationales basées sur des objectifs de croissance, conduisant au tourisme de masse, ont souvent été remplacées, ou complétées, par des approches basées sur la durabilité1 . Mais ces nouvelles orientations sont formalisées et mises en œuvre de diverses manières et à des rythmes différents selon les pays et les destinations. De plus, la nécessaire transformation du secteur vers davantage de durabilité requiert l’élaboration de stratégies – politiques et économiques – accompagnatrices qui restent aujourd’hui insuffisamment soutenues par les États. Enfin, le recours au concept « d’économie bleue », mantra de nombreux États, a encore tendance à faire privilégier les enjeux de développement au détriment de ceux liés à la durabilité. Les changements concrets sur le terrain tardent donc à se faire sentir, au-delà de quelques succès locaux.

Dans ce contexte, il y aurait de nombreux avantages à intégrer plus fortement les questions liées au tourisme dans l'agenda sur la gouvernance de l’Océan, duquel elles sont aujourd’hui largement exclues2 . C'est particulièrement vrai pour le secteur du tourisme de croisière, qui requiert des mécanismes de régulation supra-étatiques pour limiter ses impacts et tendre vers davantage de durabilité. Plus largement, une telle intégration permettrait l’élaboration de politiques transnationales, à l’échelle régionale par exemple, et éviterait les effets néfastes d’une concurrence entre les États et les destinations qui se traduit, le plus souvent, par une faible prise en compte des exigences de durabilité.

À cet égard, la troisième Conférence des Nations unies sur les océans (UNOC 3), qui se tiendra en juin 2025, offre une opportunité à saisir. Organisée conjointement par la France, destination touristique de premier plan, et le Costa Rica, connu pour son modèle de tourisme axé sur la nature, cette conférence a pour but « d’accélérer l'action et de mobiliser tous les acteurs en faveur de la conservation et de l'exploitation durable des océans ». Conformément à ce mandat, la conférence pourrait servir de plateforme de lancement pour réconcilier les agendas sur le tourisme et la conservation du milieu marin et côtier. Une telle initiative pourrait s’incarner, par exemple, par la création d’une coalition d’acteurs engagés pour répondre à ces défis, mais devrait surtout prendre date et marquer le début d’un rapprochement plus significatif entre ces deux agendas.

Les effets délétères du tourisme constituent aujourd’hui une préoccupation qui parcourt une grande partie de la société. Le sujet est complexe à traiter car à la croisée de différentes politiques sectorielles, et de divers acteurs, du global au local. La troisième Conférence des Nations unies sur l’océan n’a ni la vocation ni la capacité à résoudre le problème dans son entièreté, mais pourrait néanmoins contribuer, en parallèle des différentes initiatives en cours, à créer une dynamique politique pour nous préparer aux défis de demain.
 

  • 1 Ce processus a été soutenu par certaines organisations intergouvernementales comme l’Organisation mondiale du tourisme ou l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), qui ont contribué à l'élaboration d'initiatives politiques et d'indicateurs sur la durabilité.
  • 2 À titre d’exemple, le tourisme n’est jamais mentionné dans la déclaration finale de la Conférence des Nations unies sur les océans de 2022. De même, la deuxième évaluation mondiale de l’océan ne consacre pas un chapitre entier au tourisme, mais quelques développements limités seulement. Enfin, bien que la plupart des régions marines souffrent des impacts du tourisme sur les zones marines et côtières, aucun accord spécifique n'a encore été adopté et le tourisme n'est pas un sujet généralement abordé par les conventions et les plans d'action sur les mers régionales.