Cinquante-six ans après le traité de l’Elysée1 , le traité d’Aix-la-Chapelle signé le 22 janvier dernier par la France et l’Allemagne2 symbolise la volonté des deux pays de continuer à jouer le jeu du multilatéralisme et de la construction européenne. Il fixe aussi un objectif de convergence sociale et économique et identifie le développement durable, la protection de l’environnement et du climat comme des axes importants de coopération. Le défi consiste désormais pour les deux pays à préciser le cap à suivre et à décliner les transformations souhaitées dans leurs politiques nationales, bilatérales et européennes.
La portée de ce nouveau traité franco-allemand est d’abord symbolique. Dans un contexte géopolitique chamboulé, le message de l’attachement et d’une responsabilité commune de la France et de l’Allemagne vis-à-vis de la construction européenne, mais aussi, plus largement, du multilatéralisme et de l’Organisation des Nations unies, est bienvenu. L’identification des Objectifs de développement durable (ODD/Agenda 2030 pour le développement durable) et de la mise en œuvre de l’Accord de Paris sur le climat et de la protection de la biodiversité et des écosystèmes comme des fondements de la relation bilatérale entre les deux pays est un signal positif tant la réponse à ces défis nécessite la coopération de tous les États. Dès lors, comment les deux pays peuvent-ils faire avancer conjointement ces objectifs ?
Le premier enjeu consiste à s’accorder sur un cap commun. À ce titre, les ODD, qui constituent un agenda à la fois pour la solidarité et pour la transition écologique, peuvent servir de boussole. Un rapprochement franco-allemand serait bénéfique à trois niveaux : échanger de bonnes pratiques pour renforcer la mise en œuvre nationale (feuille de route française, Nachhaltigkeitsstrategie allemande) ; porter cet agenda, légitime par son caractère universel, comme un nouveau contrat social au niveau européen ; et préparer ensemble des annonces d’engagements forts pour le premier Sommet ODD en septembre 2019 à l’Assemblée générale de l’ONU.
Concernant le changement climatique, on peut bien sûr regretter que l’objectif de neutralité carbone, inclus dans l’Accord de Paris, n’ait pas été repris de façon explicite dans le traité. Néanmoins, c’est bien sa reprise dans le cadre européen qui sera décisive alors que les pays de l’Union s’engagent de façon commune dans le cadre de l’Accord de Paris. La publication par la Commission européenne de sa stratégie climatique à l’horizon 20503 , en rendant explicite les conditions des transformations pour atteindre la neutralité carbone, a ouvert un débat qui devrait connaître un moment clé lors du sommet de Sibiu prévu en Roumanie en mai prochain.
Ensuite, ce traité reconnaît le partenariat étroit existant dans le cadre de l’élaboration des politiques européennes. Il va ainsi au-delà des déclarations d’intentions et engage à « formuler des approches et des politiques communes (…) en mettant en place des dispositifs en vue de la transformation de leurs économies et en favorisant des actions ambitieuses de lutte contre les changements climatiques (…) par des échanges transversaux réguliers entre les gouvernements dans des secteurs clés ». Comment l’Allemagne et la France peuvent-elles renforcer de façon conjointe leurs transitions écologiques ? Deux points semblent importants à souligner ici.
D’une part, on peut se réjouir du lien clair établi entre transformation de l’économie et lutte contre les changements climatiques dans un traité qui vise plus largement à la convergence économique et sociale des deux pays. L’actualité récente en France, suivie avec attention en Allemagne, rappelle la nécessité de sortir les questions environnementales de leurs silos politiques pour réussir. Dès lors, deux interrogations doivent attirer notre attention pour la mise en œuvre du traité : la transition écologique sera-t-elle bien prise en compte dans l’élaboration des règles communes de la zone économique franco-allemande et les travaux du conseil économique et financier franco-allemand mis en place par le traité ? Et les enjeux environnementaux auront-ils une juste prise en compte dans les réflexions sur l’avenir franco-allemand du Forum sur les processus de transformation des sociétés ? Si oui, la capacité du couple franco-allemand à impulser la transition écologique sur le plan domestique et à l’échelle de l’Europe pourrait alors s’en trouver renforcer.
D’autre part, le traité place de façon opportune les discussions à l’échelle de secteurs clés qu’il convient d’identifier. C’est la bonne échelle pour expliciter les tenants et aboutissants de questions parfois difficiles à résoudre entre les deux États. L’Iddri a contribué et continuera à œuvrer à la compréhension de ces enjeux dans le système électrique et prochainement dans le secteur de la mobilité, avec ses partenaires allemands Agora Energiewende et Agora Verkehrswende. Quel équilibre entre la montée de la production électrique d’origine renouvelable, la sortie du charbon en Allemagne et le redimensionnement du parc nucléaire en France ? Quels investissements entreprendre dans le réseau électrique européen et quels outils communs mettre en œuvre pour accompagner ces transitions ? Quelle vision commune sur le futur de l’industrie automobile et les signaux à envoyer pour décarboner les flottes automobiles ? Quelle coopération entre la France et l’Allemagne, tous deux producteurs de trains et d’avions, pour inventer et diffuser un modèle de mobilité longue distance cohérent avec un objectif de neutralité carbone ? L’échange dans l’élaboration de plans nationaux énergie-climat que chaque État européen doit finaliser avant 2019, alors que les recommandations de la « commission sur l’avenir du charbon » en Allemagne4 viennent d’être dévoilées5 et que la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) vient d’être détaillée en France, est une première occasion de formuler des réponses communes avec leurs partenaires européens.
L’Allemagne et la France pourront-elles avec ce traité donner un nouveau souffle au développement durable ? Les questions posées et parfois difficiles à résoudre entre les deux États ne seront certes pas résolues par la signature d’un traité d’amitié. Celui-ci donne néanmoins un cadre à la relation bilatérale en reconnaissant les pratiques actuelles et crée quelques nouveaux lieux de dialogue. Et c’est bien par un dialogue continu que la coopération entre les deux pays peut contribuer à former des compromis vertueux à l’échelle de l’Union européenne. Il s’agit désormais pour les deux pays de faire vivre ce traité ; ils ont tous les outils en main pour le faire.
- 3https://www.iddri.org/fr/publications-et-evenements/billet-de-blog/que-peut-attendre-de-la-strategie-climatique-de-lunion
- 4https://www.iddri.org/fr/publications-et-evenements/billet-de-blog/industrie-du-charbon-en-allemagne-2018-lannee-du-tournant
- 5https://www.euractiv.fr/section/energie/news/whats-in-the-german-coal-commissions-final-report/