En septembre dernier, les États membres de l'ONU se sont engagés à la réalisation de 17 Objectifs de développement durable (ODD). Le nouvel agenda du développement est utile pour guider la compréhension des principaux défis auxquels répondre d’ici à 2030, mais pour inciter à l’action et concrétiser l’ambition de cet agenda, chaque pays doit aujourd’hui travailler à l’élaboration de sa propre trajectoire de développement, notamment pour le secteur agricole et alimentaire, qui contribue à impacter positivement ou négativement l’atteinte d’au moins 8 des 17 ODD. Comment élaborer des trajectoires de développement durable pour le secteur agricole, qui permettent de donner à voir et de mettre en discussion l’ampleur des transformations nécessaires dans les prochaines décennies et la faisabilité des trajectoires qui y mènent ? C’est l’objectif que s’est fixé l’initiative Agricultural Transformation Pathways (ATP), dont la phase pilote vient de s’achever.
L’Iddri, en association avec Rothamsted Research (Royaume-Uni) et avec le soutien du SDSN, a travaillé pendant plusieurs mois à la réalisation de cet objectif avec des équipes d’experts dans trois pays aux situations économiques et agricoles très contrastées : l’Uruguay, la Chine et le Royaume-Uni. Dans ces trois pays « pilotes », l’idée était de tester la possibilité de mettre en œuvre une méthodologie basée sur le backcasting, destinée à appuyer les décideurs pour la construction de trajectoires nationales de transformation du secteur agricole vers plus de durabilité économique, sociale et environnementale.
La méthodologie élaborée par l’initiative ATPI comporte plusieurs étapes. Il s’agit tout d’abord, au travers d’une analyse de la situation actuelle, de déterminer les principaux défis en matière de durabilité pour chaque pays (pour certains, la question de la pollution azotée sera parmi les plus urgentes à traiter ; pour d’autres, les émissions de gaz à effet de serre pourront être considérées comme une problématique plus importante). De cette analyse découlent ensuite des choix concernant les priorités accordées à certains indicateurs de durabilité représentatifs du changement désiré, ainsi que des choix possibles concernant l’échelle de la transformation.
Des objectifs quantitatifs sont ensuite assignés pour l’horizon 2030 à ces indicateurs de durabilité. L’agrégation de ces objectifs quantitatifs forme l’image du « futur désiré », vers lequel le processus de backcasting va ensuite permettre de dérouler une trajectoire balisée d’actions concrètes. Ces actions concrètes peuvent par exemple être tirées de pratiques existantes au sein de groupes d’acteurs innovants, comme les agriculteurs du réseau FUCREA (Federación Uruguaya de los Grupos Crea) en Uruguay, ou encore les parcelles tests des projets ISSM en Chine.
Afin de vérifier la faisabilité des objectifs à 2030, ces derniers sont explicités en termes techniques intermédiaires, qui permettent d’alimenter un débat sur les politiques publiques autour d’une représentation concrète d’une image du secteur agricole futur : par exemple, que représente un objectif d’augmentation de la production de bœuf uruguayen de 25 % en nombre de vaches allaitantes, en âge à l’abattage, en taux de gestation ? Cette explicitation permet de construire une base de discussion concrète avec les acteurs, plus précise que des questions telles que « pensez-vous que l’objectif d’une augmentation de 25 % de la production soit faisable sur l’ensemble des fermes Uruguayennes ? ».
Car la discussion est un autre des éléments clés de l’initiative ATPi. Il est fondamental que les trajectoires soient élaborées par des équipes nationales (chercheurs et décideurs politiques) ayant une très bonne connaissance des enjeux propres au pays (car une « agriculture durable » ne sera pas construite selon les mêmes critères dans un pays ou dans un autre, en fonction des défis auxquels celui-ci fait face), et pouvant à terme s’approprier les trajectoires et les discuter avec d’autres acteurs nationaux.
Cette méthodologie de backcasting participatif a été développée et appliquée par le passé dans des secteurs où la dimension des investissements et la durée de vie des équipements nécessitaient de prendre en compte le long terme pour chaque décision d’investissement (comme le secteur énergétique, voir projet DDPP). Cependant, jusqu’à présent, le backcasting participatif avait été relativement peu utilisé pour la construction de trajectoires de long terme dans le secteur agricole. Pourtant, dans ce secteur également, la lenteur des changements nécessite de réfléchir dès à présent à l’élaboration de trajectoires de long terme (blocages comportementaux et sociologiques à l’évolution des pratiques, nécessité d’entretenir ou de construire des infrastructures de stockage, apparition et disparition de nouvelles filières, etc.). Les résultats prometteurs de la phase pilote de l’initiative ATPi prouvent qu’il est possible de mettre en œuvre le backcasting participatif pour la construction de trajectoires dans le secteur agricole. En Uruguay, cet exercice a déjà abouti à la mise en place de task forces régionales regroupant les différents acteurs de la chaîne de production de bœuf et octroyant des responsabilités à chacun pour la mise en œuvre des actions recommandées par la trajectoire de transformation élaborée par les équipes nationales.
Ainsi, les études pilotes montrent que l’initiative ATPI permet de :
- forger une connaissance détaillée des trajectoires nationales de transformation, appuyant un débat public au travers d’approches participatives ;
- façonner une plateforme d’apprentissage internationale au travers de la constitution d’un réseau d’experts et de praticiens ;
- produire une expérience sur les moyens concrets d’atteindre les Objectifs de développement durable.
L’Initiative a vocation à s’inscrire dans la durée et s’échelonne en deux phases principales. La première avait pour objectif de produire une première série de cas d’étude pilotes développant des modèles et des conclusions qui ont alimenté un premier rapport et son résumé. L’ambition de l’initiative est d’encourager d’autres pays à participer au fur et à mesure de son avancement, en vue d’amorcer une dynamique de long terme au service de la mise en œuvre des ODD. L’initiative associera notamment au cours de l’année 2016 la France, les Pays-Bas et la Nouvelle-Zélande au travers du projet TSARA.