Transition écologique et transition numérique sont toutes deux à l’œuvre dans la société. Si la première n’est pas encore à la hauteur des enjeux d’un développement véritablement durable, la seconde n’en porte a priori pas le dessein, mais pourrait y contribuer de manière significative... à condition que nous l’orientions collectivement en ce sens.


La transition écologique semble aujourd’hui bien installée dans les politiques publiques. Des objectifs de moyen et long terme de plus en plus détaillés sont sur la table, un arsenal de normes et d’outils de planification pour penser et appliquer le développement durable a été mis en place, une professionnalisation d’experts dans l’environnement et l’énergie est à l’œuvre. Pourtant, force est de constater qu’elle n’avance pas assez vite compte tenu de l’urgence de la situation. Sa force de changement, la puissance de son récit, ne semblent pas toujours suffisants pour faire évoluer les structures et les comportements, pour bousculer les façons de faire les politiques, pour surmonter un certain nombre d’obstacles auquel fait face le développement durable (susciter la participation des citoyens, générer des innovations, vaincre l’inertie des structures, etc.).


Une autre transition bouscule quant à elle de nombreux aspects de notre société par sa puissance d’innovation et de diffusion à grande échelle : la transition numérique. Internet et les réseaux sociaux ont modifié notre façon de partager l’information et de communiquer. Le numérique pénètre également notre système économique, fait émerger de nouveaux géants, modifie les modèles d’affaires et progressivement nos modèles d’administration. Enfin, les outils numériques donnent vie à de nouvelles pratiques collaboratives à grande échelle.



Pourtant, et c’est le constat de l’initiative Transitions² (portée par la Fondation Internet Nouvelle Génération) à laquelle participe l’Iddri, la transition numérique apparaît comme une force sans but, sans un horizon partagé collectivement. Quel projet de société porte-t-elle ? Ses acteurs prêtent-ils assez d’attention aux grands défis de notre temps ? N’y a-t-il pas là une formidable opportunité de mettre en commun les énergies, de mettre la force de changement du numérique au service de l’horizon écologique ?


L’Iddri s’attaque à la question, sur la base d’une intuition confirmée par ses premiers travaux : les innovations numériques ne sont a priori ni bonnes ni mauvaises pour la transition écologique. Il faut donc œuvrer à leur convergence, leur faire faire cause commune ! Et il faut interroger les idées reçues et les bousculer. Non, la ville intelligente ou le big data ne seront pas les remèdes miracle aux problèmes urbains ! Non, l'économie collaborative n’est pas forcément vertueuse d’un point de vue environnemental !


Les plateformes de l’économie collaborative ont montré à quel point le numérique permet de mettre en lien un grand nombre de contributeurs et de faciliter leurs échanges à tel point que de nouveaux services ont massivement émergé (Blablacar, Airbnb, échange de biens et de services…). Le numérique permet très clairement de faire évoluer les pratiques en profondeur. Mais cela est-il pour autant bénéfique à la transition écologique ? Rien n’est moins sûr. C’est ce que l’Iddri observe par exemple dans le cadre du projet PICO sur les plateformes d’échange de biens.


Nous observons plutôt que les innovations les plus vertueuses d’un point de vue environnemental ne se développeront pas toutes seules : le modèle de la « disruption » spontanée et irrésistible d’une start-up en contact direct avec ses millions d’utilisateurs ne fonctionne pas partout et pour tout. Par exemple, si Blablacar rayonne aujourd’hui sur l’Europe du covoiturage longue distance, on n’observe pas de telles dynamiques au niveau local sur les courtes distances, pourtant déterminantes pour la performance environnementale. Pour fonctionner efficacement et se développer, le covoiturage courte distance devra probablement s’intégrer, parmi d’autres offres, dans une forme de service public de la mobilité. L’action publique doit intégrer cela. Elle doit être capable de faire des produits de la transition numérique des atouts pour le projet écologique.


La transition numérique à laquelle nous assistons a ceci d’intéressant qu’elle est le produit réussi entre des outils technologiques et de nouveaux usages. Sur des bases techniques, nombre d’innovations permettent de modifier la façon dont nous effectuons différentes tâches, dont nous interagissons avec d’autres personnes, entreprises ou services publics. Le développement des smartphones l’illustre bien. La transition numérique s’ancre profondément dans nos pratiques sociales et contribue à les faire évoluer. Ce sont également de nouveaux modèles sociaux qui sont débattus et réinvestis par les acteurs du numérique, comme l’effervescence autour des modèles de gestion collective de biens communs l’illustre bien. Peut-elle contribuer à transformer nos projets collectifs, notre citoyenneté, notre capacité à participer aux projets qui nous tiennent à cœur ? C’est tout l’objet du projet de développement durable. L’open data, les outils de crowdsourcing ou encore les initiatives de financement participatif peuvent-ils renforcer la dimension collective de ce projet ? Par exemple, peut-il y avoir une émulation entre des outils permettant de faciliter le dialogue entre habitants et collectivités locales et notre besoin de mieux co-construire des villes plus soutenables ? Une nouvelle investigation que va mener l’Iddri avec ses programmes Nouvelle Prospérité et Fabrique urbaine.