Dans le régime climatique, équité et différenciation constituent les deux faces d’une même médaille, des concepts symboliques impliquant une comparaison entre pays. Leur appréhension ne peut passer par la seule logique. Ils sont porteurs d’une charge politique et émotionnelle touchant aux perceptions de l’identité nationale forgées par l’histoire et les mythes populaires, et profondément ancrée dans les attitudes des négociateurs. Pour ces raisons, toute modification des approches conventionnelles de ces concepts – déjà visible dans l’Appel de Lima pour l’action pour le climat (Lima Call for Climate Action) – doit s’appuyer sur un processus prudent, pragmatique et intelligible.
Des deux concepts, celui de la différenciation est le plus facile à appréhender. Chacun reconnaît que l’accord de Paris devra introduire une certaine dose de différenciation. Les pays sont différents. Reste à savoir à quoi s’applique cette différenciation et sur quelles bases.
La différenciation conventionnelle Nord-Sud, pays donateurs-pays bénéficiaires, a traditionnellement guidé l’approche de la CCNUCC en matière d’apport et de mobilisation des financements. Or, l’Appel de Lima prend acte de l’émergence de l’appui financier complémentaire apporté par d’autres Parties ("complementary [financial] support by other Parties ") (paragraphe 4), ainsi que la vulnérabilité particulière au dérèglement climatique de certains pays en développement bénéficiaires. Plusieurs Parties non visées à l’Annexe II ont annoncé des contributions au Fonds vert pour le climat. Par ailleurs, la coopération Sud-Sud a depuis longtemps prouvé son utilité pour le renforcement des capacités, sachant que la clause de la CCNUCC relative au transfert de technologies respectueuses de l’environnement (article 4.5) stipule que les autres Parties en mesure de le faire peuvent également aider à faciliter le transfert de ces technologies ("other Parties […] in a position to do so may also assist in facilitating the transfer of such technologies"). On voit par là qu’il existe déjà une nuance dans la différenciation relative aux moyens de mise en œuvre ("means of implementation"). La question de la différenciation en matière d’atténuation (l’adaptation étant, dans ce contexte, assimilée au financement) paraît plus délicate.
L’Appel de Lima sert de base pour l’autodifférenciation des actions d’atténuation. Il ne fait pas de distinguo entre les catégories de Parties tenues de préparer et de soumettre leurs contributions nationales (INDC). Tout se joue ici dans l’expression utilisée dans l’Appel, qui prévoit que ces contributions peuvent notamment inclure (« may include ») telle ou telle information (paragraphe 14). D’une certaine manière, cette question de la différenciation des contributions aux actions d’atténuation est donc pour l’instant réglée, quand bien même ces actions continuent d’être conduites sous l’autorité de la Convention ("under the Convention", laquelle enjoint les pays en développement Parties à prendre l’initiative ("take the lead"), et que ces actions doivent représenter une avancée au-delà de l’engagement actuel de la Partie en question ("represent a progression beyond the current undertaking of each Party") (Appel de Lima, paragraphe 10).
Plusieurs points restent en suspens dans le débat actuel, dont l’application éventuelle de la différenciation au caractère juridique des contributions nationales attendues dans le cadre de l’Accord de Paris, au processus de redevabilité (la transparence) s’appliquant au respect de ces engagements, à la durée et au périmètre des futurs cycles d’engagements et aux voies possibles vers un objectif de long terme commun. Dans ce contexte, la progression vers un système unifié de redevabilité enverrait un signal politique fort.
L’équité est quant à elle traditionnellement envisagée sous l’angle du juste partage du fardeau – une vision qui, comme la différenciation, incite les négociateurs à camper sur des positions défensives.
D’où deux grandes interrogations. Premièrement : quel est ce fardeau à partager ? Quel est l’objectif quantitatif de long terme à atteindre ? Faut-il imposer l’effort par le haut ou bien l’envisager depuis la base (à l’évidence, la seconde option jouit aujourd’hui d’un avantage politique certain) ? La formulation récente par le GIEC d’un budget carbone limité pour contenir le réchauffement climatique à 2°C relance le débat.
La seconde interrogation porte sur la réconciliation possible entre cette approche de partage du fardeau et la prise de conscience croissante de la rentabilité des investissements sobres en carbone (voir le rapport Calderón sur la New Climate Economy), voire le concept positif d’accès équitable à un développement durable. Le passage à un discours positif sur l’atténuation transformera le débat sur l’équité.
Ces deux questions – équité et atténuation – ont surtout trait à l’atténuation. Mais un aspect souvent méconnu de l’équité tient au fait que ne rien faire pour limiter les émissions de gaz à effets de serre, au profit de la seule adaptation, serait non seulement dangereux mais aussi fondamentalement injuste, puisque tous les pays ne sont pas exposés aux risques de la même manière.
Finalement, ces deux débats ont en commun l’ambition. Il est possible de négocier une solution acceptable, qui soit à la fois équitable et correctement différenciée, mais en même temps inopérante face au défi climatique. L’ambition doit donc rester le moteur de l’action ; la manière d’envisager l’équité et la différenciation orientera les voies choisies vers cet objectif commun.